Randonnée au sillon de Talbert

Balade au sillon de Talbert, à la rencontre des habi­tants de Pleu­bian et de la pres­qu’île de Lézardrieux.

Entre côte d’émeraude et côte de granit rose, le sillon de Talbert est une curio­sité géolo­gique. 3 km de galets et de sable balayés par les marées, les courants, les tempêtes. Point le plus au nord de Bretagne, c’est la termi­naison nerveuse de la presqu’île de Lézar­drieux, qui concentre un peu tout ce que les côtes d’armor (près de la mer) comptent de richesses, de mystère et de beauté. Au contact de ses habi­tants, ostréi­cul­teurs, restau­ra­teurs, guides, marins, j’ai touché du doigt un peu de ce qui lie les Bretons à la mer…

Road trip en Bretagne, jour 2. Après les grands sites de la côte d’émeraudeplein soleil sur Binic qui languit en terrasse le long du quai du port. Par la fenêtre de ma chambre, j’observe une dame ranger ses baguettes dans son panier à l’avant et le gâteau emballé sur le porte bagage arrière de son vélo élec­trique. C’est l’heure du petit-déjeuner !

Binic, le grain de beauté des côtes d’Armor

À l’hôtel Le Benhuyc, la vie s’écoule comme un dimanche (bon ok, c’est dimanche…). Par la verrière, la lumière fait étin­celer la vais­selle sur les tables. Un couple et ses trois enfants lèvent des tasses fumantes et des tartines beur­rées. Si la récep­tion­niste était un person­nage de BD, il y aurait des notes de musique dans ses bulles.

Dehors, lunettes de soleil, t‑shirt coloré, journal et café… La jolie petite station balnéaire légère et frivole avec ses bars et ses restau­rants en aligne­ment a des airs de côte d’azur, sauf que la nuit en hôtel *** coûte 75€ (hors saison), le parking est gratuit et le beurre salé. Pour un week-end farniente, ce doit être idéal. Il faudra revenir…

Randonnée au sillon de Talbert - L'hôtel Le Benhuyc à Binic

Lanmodez, chez les paysans de la mer

J’arrive à Lanmodez par des chemins sinueux mangés d’herbe grasse jusqu’au hangar des Chau­mard, ostréi­cul­teurs de père en fils. Les mains caleuses et l’accent rugueux du père contrastent avec les lunettes carrées et le pull col en V du fils. Le métier évolue…

L’arrivée des gros­sistes qui gagnent de l’argent sur le volume et désta­bi­lisent les cours de l’huître, les grandes surfaces qui tirent les prix vers le bas pour maxi­miser leur marge, la concur­rence des huîtres triploïdes… Même avec la médaille d’argent au concours général agri­cole en 2019, l’entreprise vend plus mais ne vend pas « mieux ».

« Ça fait quoi deux ans que je suis ici pour changer la manière de vendre, déve­lopper la vente en ligne, la vente en directe… Et puis il y a notre petite folie… »

Randonnée au sillon de Talbert -Chez les ostréiculteurs de Lanmodez

La « petite folie » de Benoît Chau­mard, c’est le bar à huîtres qu’il souhaite ouvrir cet été. Le GR34 passe juste au pied de sa terrasse. Pour moi qui suis randon­neur, ça ressemble à l’idée du siècle !

« Ça va marcher non ?

– Le problème, c’est la loca­li­sa­tion. On est un peu paumé.

– Mais c’est ce qui fait le charme ! Moi je suis venu en voiture, rien que comme ça c’est cham­pêtre, c’est super agréable !

– Ben voilà, l’objectif c’est juste­ment de laisser un peu tomber les centres villes qui sont bondés. Avoir un truc un peu plus aéré, pour des gens qui ont envie d’être peinard au bord de la mer, à déguster des huîtres avec un verre de vin blanc… »

L’huître idéale ? Bien bombée sur le dessous, bien aplatie sur le dessus, très blanche à l’intérieur, avec un taux de chair maximum et une saison opti­male entre mars et avril. Le top, du 3 ou du 4, pas trop grosse, pas trop de mâche. Bien sûr, le goût dépend de la nature du sol. Comme le vin, l’huître reflète le terroir. À l’ostréiculteur de les disposer selon les parcelles pour obtenir en bouche un bel équi­libre entre le sucré et le salé.

Je me lance : 3 huîtres à la suite, un record histo­rique ! Parce qu’en fait… J’aime pas les huîtres !

Randonnée au sillon de Talbert -Benoît Chaumard, ostréiculteur à Lanmodez

Le Bigouden blues, au pied du sillon

Au Bigouden blues, le bar-restau­rant situé juste au pied du sillon de Talbert, la spécia­lité, c’est la pomme de terre au four. Pour agré­menter ma patata du sillon, saumon fumé, crevettes, moules, salade et… hari­cots de mer. Les algues sont au cœur de la vie de la presqu’île et j’attends la personne qui m’emmènera faire leur découverte.

Attablé à la terrasse du bar-restau­rant, j’échange avec Isabelle et Caro­line, en charge de la promo­tion touris­tique de la côte de granit rose. Toutes les deux ont quitté leur vie et leur carrière pari­sienne pour venir vivre autre chose ici.

« Vivre ici, c’est un luxe. On a quand même une des plus belles côtes de Bretagne. Et puis, avec les marées, ça bouge tout le temps. En fait, la mer, c’est une drogue. En tout cas, ça l’est devenu. »

Le patron du restau­rant qui me voit prendre des notes me glisse en douce :

« Si vous pouvez dire quelque chose sur le poten­tiel nautique… Parce qu’il y énor­mé­ment de kite, c’est devenu un spot de kite­surf ici mais ils le font un petit peu… Sans tolé­rance. De temps en temps, ils se font virer quoi…

– Par qui ?

– Par le conser­va­toire du littoral ! Nous, on aurait aimé qu’il y ait une struc­ture fixe pour eux. Il y a le cham­pion de France qui vient. Le kayak de mer, c’est merveilleux aussi pour aller voir les phoques qui nichent derrière les rochers, au bout du sillon. »

Pas opposé à la pratique, le conser­va­teur du littoral Julien Houron recon­naît l’impact du kite sur la faune. Près de la dune, des oiseaux ont aban­donné leur nid. En cause : les voiles qui dépo­saient du sable sur les œufs. L’équilibre est fragile…

Brigitte des algues, greeters à Mer Melen

À Mermelen, de l’autre côté de la baie, je retrouve Brigitte, une « gamine » du pays. Native de Lézar­drieux et fille d’ostréiculteur, elle a passé son enfance dans les parcs à huîtres de la baie de Paimpol à l’estuaire du Trieux.

« Moi mon lieu de vie c’est ça, c’est l’estran. L’estran c’est la partie entre la bande d’algues, ici, le plus haut et le niveau le plus bas de la mer. C’est tout ce qui se découvre à marée basse. Pour moi, cet univers là, l’air qu’on a là, c’est un bonheur. »

On balaye le pano­rama des yeux. Le sillon de Talbert étire sa langue de sable et de galets façonnée par la mer et qui bouge au gré des tempêtes d’est ou d’ouest. Devant nous, mis à nu par la marée descen­dante, un champ d’algues natu­relles – le plus grand d’Europe. Plus de 400 espèces ont été recen­sées. Vertes, rouges ou brunes, leur couleur varie selon leur accès au soleil. Magie de la photosynthèse.

Randonnée au sillon de Talbert - Balade en famille

Les petites gens de la mer

Récolter les algues, c’est le métier des goémo­niers. À pied, à cheval ou en bateau, ils allaient cher­cher des algues après le sillon, char­geaient le goémon et le rame­naient jusqu’ici où le camion de l’entreprise venait l’acheter. Aujourd’hui, des entre­prises cultivent et trans­forment… Les usages vont de la phar­macie aux cosmé­tiques en passant par l’agro-industrie.

Mais jusque dans les années 60, les algues étaient l’affaire de chaque foyer sur tout le sillon de Talbert. On retrou­vait sur l’estran une popu­la­tion très pauvre, en parti­cu­lier des veuves de marin, qui tiraient un peu de ressources de la mer. On récol­tait les algues, on les faisait sécher et on faisait un tas qu’on vendait.

« Ça se vit encore ici, ça ne se dit pas, il y a une très grande pudeur pour dire qu’on a travaillé aux algues. Lors d’une expo­si­tion sur les tradi­tions, j’ai vu un papi dire à ses deux gars de 8 ans :

Randonnée au sillon de Talbert - Bateaux marée basse

« écoutez moi, moi c’est comme ça que j’ai vécu, il n’y avait rien à manger à la maison, hein, et j’avais votre âge, et voilà ce que je faisais… Entre autre ! »

Je lui ai demandé s’il avait l’occasion d’en parler. Il avait les larmes aux yeux – moi aussi d’ailleurs – : « c’est la première fois que j’en parle à mes petits enfants. » L’identité du terri­toire pour les habi­tants, pour tous les habi­tants de la presqu’île, ce sont les algues. »

Une terre de marins et de voyageurs

Faire de la pêche, trouver des crevettes, des couteaux, des berniques… La mer nourrit ceux qui ont faim et parfois, les embarque vers des hori­zons loin­tains. Depuis le port de Paimpol, on partait pêcher la Morue en Islande jusqu’en 1930. Il y avait des arma­teurs, il y avait des marins.

« il y a toujours eu des gens pour aller sur des bateaux, pour s’éloigner un peu du rivage. Ici, beau­coup ont fait leur service mili­taire et sont restés dans l’armée ou sont partis dans la marine marchande. Des marins qui ont fait le tour du monde pour leur travail et qui sont de retour, à savourer le plaisir d’être au pays. Ils n’ont peut-être pas de diplômes mais ils connaissent le monde. TOUT le monde. Alors quand ils commencent à parler entre eux des ports, de Melbourne, de Liver­pool… Ahla­lala ! Ça c’est un plaisir aussi. Mais très discrets ! »

À Pen lan, nous croi­sons l’un d’eux, Jean-Charles de l’Armor-Pleubian. Entre deux histoires de presque-naufrages, il sort son harmo­nica et entonne l’air de Loguivy-de-la-mer, le pays situé sur l’autre rive. Nos regards glissent sur la pointe de l’arcouest, l’île de Bréhat, la Manche au loin… L’air du large souffle quelques instants sur l’estuaire du Trieux.

Randonnée au sillon de Talbert - L'air du large souffle

Sur le sentier des douaniers

Nous pour­sui­vons la balade sur le sentier des doua­niers, le fameux GR34, fil rouge de mon road-trip en Bretagne. Brigitte se souvient :

« Il y a 25–30 ans, du côté de Perros-Guirec, il y avait une pancarte. À l’ouest, on allait à la pointe Saint Mathieu et vers l’est, il y avait une autre pancarte qui nous indi­quait la direc­tion de… Venise ! Marcher vers Venise ou vers le bout du monde, pour rêver, je trou­vais ça fantastique !

Le bout du monde, on y est. Pen vir c’est la pointe de la pointe, le point le plus au nord de la Bretagne. Après il n’y a plus rien d’autre que des rochers. Comme au bout du sillon de Talbert… Ce sont les îles d’Ollonne à trois kilo­mètres du bout du sillon. Six kilo­mètres à pied depuis le bigouden blues.

« Ne tarde pas, il y a une brêche dans le sillon depuis la tempête de 2018. On ne peut plus traverser qu’à « pied sec ». Les gens qui vivent au bord de mer savent ça, qu’on compose pas avec la mer. C’est beau la mer, mais ce n’est pas que beau ! Ça nourrit, ça donne un plaisir fantas­tique mais quand elle s’agite, ça peut faire très mal. On a eu des naufrages ici… »

Je ne traîne pas plus long­temps et file tête baissée en direc­tion du sillon.

Le sillon de Talbert

C’est la fin de journée, les derniers prome­neurs reviennent de la prome­nade. Je serai seul sur les galets et je me dis que pour les photos du paysage, c’est parfait (et qu’en même temps, c’est quand même un peu bizarre que tout le monde reflue comme ça…)

Je passe l’allée bordée de plantes sur le cordon de dune, traverse la brèche et pour­suit en faisant crous­tiller les galets roulés par la marée, doux, ronds, multi­co­lores. J’avance les yeux au sol. Des oiseaux nichent un peu partout sur la grève, j’ai peur d’écraser les œufs.

Imper­cep­ti­ble­ment, je progresse dans cet univers minéral dépourvu d’autres repères que les formes loin­taines des îles d’Olonne. Sensa­tion de bout du monde, d’aller vers la fin, vers ces rochers qui composent des tableaux arides et épurés. Lignes d’algues lais­sées par la marée dessi­nant les courbes de niveau, mousses irisées dans le soleil qui décline, esca­drilles d’oiseaux en rase-motte et ce phare, tout au bout… L’atteindrai-je avant que la marée ne remonte ? Non… J’ai trop peur de rester bloqué et mon appa­reil photo donne des signes de fatigue alar­mant pour le reste du périple.

Je me dépêche de revenir pour admirer le coucher de soleil depuis les hauteurs du Creac’h Maout, d’où j’espère avoir une vue surplom­bante sur la flèche du sillon de Talbert. Je n’apercevrai que les lumières des phares balayer la nuit.

Le voyage continue… Au large de Roscoff, sur l’île de Batz et son jardin exotique.

Randonnée au sillon de Talbert - Le sillon à marée basse

Le voyage en Bretagne continue ici : 

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Que c’est beau ! Quelle décou­verte, grâce à vous ! MERCI !
Main­te­nant, il faut que j’y aille …
Bien cordialement
Chantal

Merci Chantal ! Que votre commen­taire me fait plaisir 😀 Moi aussi j’ai été complè­te­ment bluffé par l’en­droit. Vrai­ment content que mon enthou­siasme fasse des émules !
Alors oui, main­te­nant il faut que vous y alliez… À marée haute pour m’en­voyer des images 😉

Belle région, j’ai parti­cu­liè­re­ment connu la région de Lannion et Perros-Guirec lors de séjours profes­sion­nels. Accueil très amical des habitants..

Effec­ti­ve­ment ! En fait, à chaque fois que je vais en Bretagne, j’ai l’im­pres­sion que les gens sont ouverts d’es­prit et bien­veillants. Je me souviens d’un voyage à Bréhat où lors d’une pause café sur la route, le patron du bar avait discuté avec nous comme si nous étions des amis. Venant de Paris, on était presque choqué de tant de sympa­thie Ça fait du bien !

Incroyable cette première photo, ça a un air de Monu­ment Valley (USA) 😉 En tout cas super blog, que de décou­vertes, merci pour cette belle mise en valeur de notre patrimoine !

Merci ! Haha, les arti­fices de photo­graphes permettent de jouer avec les pers­pec­tives. Ce bloc de pierre n’est pas aussi monu­mental que dans le désert d’Ari­zona, mais dans le paysage hori­zontal du sillon de Talbert, il fait quand même son petit effet !

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