Retour dans le massif central sous la neige, parmi les reliefs doux et les grands espaces du parc naturel régional des Volcans d’Auvergne. Avec le Cézallier pour tour de guet et pour horizon la chaîne des Puys et les monts du Cantal.
J’ai découvert le Cézallier par hasard, un beau jour d’été, alors que mon voyage piétinait et que je ne savais pas comment poursuivre ma route. Mes plans tombaient à l’eau les uns après les autres et il restait ce Cézallier, l’itinéraire bis donc, celui qu’on prend faute de mieux.
C’est toujours quand l’imprévu s’invite à la fête que le voyage prend des couleurs. Parmi les longues solitudes du Cézallier, haut en couleur sous un soleil glorieux, je me suis tout de suite senti bien. Ce détour était une aubaine !
Stéphane du gîte Alta Terra où je ne rate jamais une occasion de passer me dirait plus tard à quel point j’ai eu de la chance :
« Ces conditions, c’est 60 jours par an. Le reste du temps, il faut compter avec le vent et la pluie qui tombe à l’horizontale. Au col de Chamarroux, on compte parfois plusieurs mètres de neige. »
Plusieurs mètres de neige ? Il ne fallait pas en dire plus pour enflammer mon imagination. De ce paysage doux où le regard porte loin, de ce « vertige à l’horizontale », il existait donc une version monochromatique, terre blanche tranchant sur la ligne d’horizon, ciel noir prêt à l’engloutir. Le Cézallier en hiver serait peut-être encore plus beau qu’en été…
Randonnée sur le sentier des quirous
À deux pas d’Alta Terra où j’ai passé la nuit, quelques bons plans envoyés par Sandrine m’entraînent sur le sentier des quirous, à Dienne.
Le ciel a eu l’élégance de saupoudrer les reliefs d’une fine de couche de neige qui selon la consistance craque et grince sous mon poids. Soufflée par le vent, elle forme une dentelle de glace qui défie la gravité. Retenue par la végétation, elle nappe d’une meringue italienne les mottes où surnage parfois la houppe d’une touffe. Les cailloux disséminés sur le sentier forment des constellations aléatoires. Au loin, un ciel sombre découpent les lignes de crêtes. Les versants bleus des reliefs s’allument et s’éteignent au gré des nuages.
Là où la couche est la plus épaisse, des petites traces de pas s’enfoncent et trahissent la présence d’un animal que j’imagine rare, une hermine, un lapin arctic, … Sûrement pas un chat ! Finalement, des traces de sabots et bientôt les toits pentus d’une ferme au fond d’une vallée où ma voiture est garée.
Road-trip sur le plateau
Une fois n’est pas coutume, j’embarque pour un roadtrip entre Cantal et Puy de Dôme au petit bonheur la chance. Du fond des vallées glacières où la route sillonne, bien au chaud dans l’habitacle de mon véhicule, je contemple les sommets saupoudrés de blanc.
C’est là que je vais.
Je ne sais pas encore trop où je vais dormir. Les hébergements sont rares sur le plateau du Cézallier, surtout hors saison. J’ai envoyé le matin deux bouteille-sms à la mer : l’une à la ferme de Cézallie qui m’avait fait bonne impression sur les photos ; l’autre à l’Ispargnide, le gîte de Boutaresse où je retournerais bien prendre des nouvelles de Christophe et des environs.
Elles me reviennent en milieu d’après-midi. La ferme, à louer dans son ensemble, ne fait pas chambre d’hôte. Quant au gîte, il est fermé en janvier. J’aurais mieux fait de m’organiser avant. Le réseau est quasi-inexistant. Chaque requête depuis mon mobile s’étale sur de longues minutes, avant de déclarer finalement forfait.
Un deuxième message laconique de Christophe finit par me parvenir : « Anzat-le-Luguet chez Palika », accompagné du numéro de téléphone. C’est une voix d’homme qui décroche. Ouf, ouvert ! Nous fixons les modalités de la nuit, le menu du soir – d’habitude, il va faire les courses selon les envies de chacun, mais ce soir, ce sera truffade et charcuterie… Je suis ravi.
Sur les routes verglacées où le vent balaye la neige, je teste mon sang froid et les limites de ma petite C3. Dieu merci, elles sont parfaitement désertes. Il suffit de s’arrêter au beau milieu de la chaussée et de sortir photographier ces paysages blancs en toute impunité.
Les Gentianes à Anzat-le-Luguet, chez Palika
La nuit tombe sur Anzat-le-Luguet lorsque je pousse les portes de l’hôtel-restaurant Les Gentianes, tenu par Palika donc. Une odeur de ferme me saute aux naseaux. Un mélange de poussière, d’animal, de sueur, de tabac froid… Le local a été refait à neuf mais ça transpire encore la botte crottée et les éclats de voix autour d’un verre de gnôle.
C’est l’hôtel-restaurant communal mais Palika – pour Paul – l’a repris en gérance, alors on dit « chez Palika ». Casquette sur le crâne pour franciser sa belgitude. Les casquettes, Palika, il les collectionne : boulanger-pâtissier, animateur, éclairagiste, chanteur, cuistot… La carte de visite de l’établissement complète la liste : … épicerie-multiservices-cybercafé-informatique.
La salle de réception est à l’image : en bordel.
« C’est parce que je teste mon nouveau système pour les soirées dansantes ».
Des courroies lumineuses LED dont il peut choisir les couleurs « parmi 16 millions… en RGB » précise-t-il d’un air entendu.
« C’est pour faire plus cosy ».
On ne sait plus très bien quelle est la fonction première de la grande pièce où je dîne. L’ordinateur et la table de mixage président l’espace restaurant coincé entre un écran karaoké et les spots destinés aux soirées dansantes.
Mais la chambre est propre, les produits frais et la truffade nourrissante. S’il ne venait pas me montrer ses meilleures publications Facebook, ce serait vraiment bien. Les réseaux sociaux ont-ils désormais remplacé les émissions télé dans les conversations au tout venant ?
La France rurale
La nuit a été bonne. Au petit déjeuner, il ne manque rien, excepté le maître des lieux qui m’a laissé ses indications la veille : sortir par derrière et déposer les clés dans la cache convenue. La confiance règne, on est à la campagne.
Dehors, la France rurale se prépare pour un futur moins carboné. Passé l’émoi devant la station-service flambante neuve qui fait face à l’établissement, je remarque l’espace de covoiturage installé à la sortie du village. Un panneau vante l’installation récente d’un réseau de chaleur bois pour chauffer la commune.
La maison flambante neuve, bordée de bois et qui sent l’écoconstruction doit probablement y être raccordée. Elle annonce l’ouverture prochaine d’une boulangerie – Multiservices elle aussi… Les 500 habitants éparpillés sur les 36 hameaux qui composent la commune d’Anzat-le-Luguet auront l’embarras du choix.
Rencontre au pied du signal du Luguet
À Parrot, sur le parking du sentier qui monte au Signal du Luguet, un gros 4×4 me dépasse au ralenti. Le carreau se baisse.
« Bonjour, je cherche de la neige. »
Je le regarde un peu étonné. Tout est blanc autour de nous.
– Je crois que vous êtes au bon endroit !
– Non… C’est pour le trophée Andros à Besse. C’est une compétition sur glace. Il nous faut de la neige pour recouvrir la route.
Faire de la pub pour des fruits – et donc des arbres – avec des voitures – et donc du pétrôle -, c’est bien une idée du siècle dernier… Le XXIème se prête plus à la photo qu’aux courses de voiture.
Au coeur des volcans d’Auvergne
Le chemin (une variante du tour du Cézallier) monte en direction des hauteurs. Panorama sur les monts du Cantal à gauche, masse sombre du bois du Cézallier à droite. Droit devant, des paquets de neige amassés par le vent en bandes parallèles. Des chevreuils se sont aventurés avant moi.
Passé 1400 mètres, la progression se fait plus difficile et ma respiration se cale sur le rythme de mes pas. J’entre en méditation. Le vent qui s’engouffre entre les sommets fait siffler les clôtures et chuinter les sapins. Je ne distingue plus les vagues immobiles des congères épaisses parfois d’un mètre où je m’enfonce inopinément. J’aurais dû prendre des raquettes. Au loin, le Puy de Sancy et les Monts dorés dessinent des formes lumineuses.
Je quitte les sentiers « balisés » et trace à travers les pâturages pour m’abriter dans le bois de la croix des champs, là où culmine le massif volcanique.
Dans la forêt du Cézallier
Dans la forêt du Cézallier, ça chuchote et ça pétille. Encore des traces d’animaux, atténuées par le vent, comme s’ils étaient passés sur la pointe des pieds. Dans ce silence religieux, les vibrations de mes pas doivent alerter toute la faune à des kilomètres à la ronde. Le plateau du Cézallier est un sanctuaire pour les animaux comme pour les hommes.
En fouillant dans mes poches, je m’aperçois avec stupeur que mon carnet de note a disparu. Demi-tour immédiat, avant que ce maudit vent ne l‘emporte ou que la neige ne l’ensevelisse. Est-ce le sentiment d’urgence qui me projette dans cette année à venir ? Les voyages à créer, mon retour en Italie… Je me surprends à me réciter les conjugaisons des verbes modaux : « volio, voli, volie… » C’est pas du tout au point mais je retrouve mon carnet et ça suffit amplement à me redonner confiance en la vie.
La route des fromages
Retour à la voiture pour de nouvelles sensations de glisse. La route me mène à la cascade du Saillant où stalactites et végétation pétrifiées composent un tableau onirique. Il faut s’accrocher pour descendre, il faut aussi s’accrocher pour remonter.
À Montgreleix, un nouveau panorama s’ouvre sur le Cézallier. Même sous ce soleil voilé d’hiver, le village reste gris. Seules les tombes du cimetière se détachent sur un ciel bleu tourmenté. À droite, le chemin va se perdre sur le plateau et ses sommets. Je suis la route qui serpente le long des courbes de niveau en direction d’Espinchal puis s’élargit jusqu’à Égliseneuve‑d’Entraigues et sa maison des fromages. Fermée.
Avec l’altitude perdue, la neige n’est plus qu’un saupoudrage et le plateau du Cézallier est déjà derrière moi. Je suis la route des fromages, en quête d’un Saint-Nectaire fermier. Je sais que ça fera plaisir à Kat. J’ai hâte de rentrer en Italie.