On ne revient jamais d’un long voyage

Le retour de voyage est une drôle d’ex­pé­rience. Alors que le mouve­ment cesse physi­que­ment du jour au lende­main, l’es­prit lui met du temps pour revenir. Après ce long voyage en France, j’ac­quiers une certi­tude : on ne revient jamais vrai­ment d’un long voyage. 

jour au lende­main, l’esprit lui met du temps pour revenir. Après ce long voyage en France, dix-huit mois sur la route, les derniers kilo­mètres ont une saveur parti­cu­lière. De retour chez moi, j’acquiers une certi­tude : on ne revient jamais vrai­ment d’un long voyage.

Je reprends mon vélo pour les derniers kilo­mètres à travers la campagne bour­bon­naise. Sur la route, l’automne étire son voile. Le soleil ne brille plus comme avant. Les arbres sont gris. Les feuilles tombent, grillées sans même avoir dégagé un peu de cette chaleur rougeoyante qui donne à l’automne son manteau de feu d’artifice. C’est une fin sans bouquet final.

Je n’ai jamais trop aimé les fins. De quoi que ce soit. On voudrait que les bons moments ne finissent jamais. Les mauvais, on en attend la fin comme une libé­ra­tion. Plus d’une fois, je me suis surpris à la trouver déce­vante. Après tout, ça n’était pas si terrible…

La fin du voyage au centre de la France

Pour ce voyage en France, j’avais initia­le­ment prévu de finir mon périple au centre géogra­phique de la France. Une fin à rebon­dis­se­ment, au coeur du pays.

Cinq villages se disputent le titre et si l’on adopte leur méthode de calcul, tous ont raison de leur point de vue. J’imaginais donc une fausse fin, une fin qui n’en fini­rait pas, de village en village.

Mais ma dernière halte à Street Art City conclut avec plus de sens ce voyage à travers la France.

Les mots de Sylvie résument les dix-huit derniers mois avec un à‑propos sidé­rant. Ses paroles sonnent comme la conclu­sion qui s’impose d’elle même.

« Être fidèle à soi-même, ne pas être tiède, suivre son chemin… »

Je suis prêt à rentrer.

J’ai fait de belles rencontres, décou­vert d’autres manières de vivre, échappé aux modèles stan­dards. Elles me donnent suffi­sam­ment d’envie pour pouvoir envi­sager, moi aussi, une vie « à peu près » séden­taire qui ne ressem­ble­rait pas de près ou de loin à une cage ou une prison.

L'Yonne, sur la terre comme au ciel - Carnet de voyage en France

La liberté du nomade digital

L’époque est aux digital nomades, ces entre­pre­neurs qui ont « tout plaqué » pour mener sur la route une vie de bohême. Hors sol, la barbe au vent, le tatouage bronzé, ils posent, les bras écartés devant un paysage gran­diose, façon insta­gram. Ils embrassent la vie face caméra.

Ces aven­tu­riers auto-proclamés sont les nouvelles idoles. Sur les réseaux sociaux, ils étalent leur liberté, vendent du rêve, se veulent « inspi­rants ». Leur « life­style » fait fantasmer les foules prises au « piège » de la servi­tude sala­riale et de la routine séden­taire. Mais cette vie nomade a aussi ses zones d’ombre.

Moi, aujourd’hui, je sais pour­quoi je rentre.

Retour de voyage - On ne revient jamais d'un long voyage

Retour au bercail

Depuis la porte du dernier compar­ti­ment, en queue de train, j’observe le paysage s’éloigner à grande vitesse. Je ne pense à rien, ni aux mois qui viennent de s’écouler, ni au programme des jours à venir. Je suis là, main­te­nant. Le temps s’est arrêté.

Quelques rails de chemin de fer plus tard, me voilà à Paris, autour d’une table où quelques amis sont réunis. Des ques­tions, un peu. Surtout la joie de se retrouver.

Je les connais bien, ces retours où l’on ne dit rien. Par où commencer, d’ailleurs ? Quelques ques­tions tournent un peu autour du voyage.

« Et main­te­nant, alors, qu’est-ce que tu vas faire ? »

Je n’ai pas trop envie d’y penser. J’ai envie de boire des verres, de prendre des nouvelles, de savourer les retrou­vailles.

Je suis rue des petits carreaux, au cœur du Paris bobo. Je glousse devant les hips­ters en pantalon de jersey mi-mollet, bonnet tricoté main, fixie vintage. Je prends soudain conscience de mon t‑shirt tech­nique, mon pantalon rouge moulant, mes chaus­sures de rando.

Le voyage n’est pas fini. Je ne suis pas encore rentré.

L’inertie du voyage

Quelques centaines de kilo­mètres plus tard, je suis enfin chez moi. En défai­sant mes sacoches, je passe en revue toutes mes affaires. Je me suis attaché à ces objets, même les plus idiots. Je regarde mes sacs plas­tics comme de vieux amis.

Ce n’est que lorsque tout est rangé que je me sens vrai­ment arrivé ; Qu’une fois enfilé les habits de tous les jours, un peu marron, un peu gris, un peu noirs.

Quant au voyage, il ne finit pas plus quand on arrive qu’il ne commence quand on part. Il y a l’inertie du voyage. Tant qu’il en reste des traces visibles, je ne suis pas tout à fait revenu.

Pas tant que mes chaus­sures de rando traînent sur le paillasson ; que le sac bleu « maison Mecoen » où je rangeais les victuailles pend dans la cuisine ; que ces petites pillules de micropur me regardent traverser la salle de bain ; que ces plumes de vautours se balancent dans ma chambre.

En fait, on ne revient jamais complè­te­ment d’un long voyage. Au delà des traces visibles qui vous prennent par surprise, il y a évidem­ment celles invi­sibles des souve­nirs… Le voyage revient avec vous.

Camping royal - Carnet de voyage dans l'Aube

Entre les murs

Trois semaines s’écoulent avant d’être de nouveau seul, pour la première fois depuis mon retour de voyage.

Allongé sur le dos, j’écoute le silence. Je regarde le plafond, les murs qui m’entourent. Entre le voya­geur et le séden­taire, la diffé­rence ne tient qu’à ces murs qui vous isolent du monde, de son tapage et de sa beauté. De ma fenêtre, je vois la brume filer sur la montagne, au loin. J’aimerais baigner dans cette lumière, mais il fait si bon entre ces murs.

La maison fige mon iden­tité, pose les premières pierres. En voyage, rien ne me déli­mite. Je ne suis de nulle part, je suis à chaque rencontre ce que les gens veulent que je sois. Photo­graphe, marcheur, voya­geur, vaga­bond, pèlerin, touriste. Mon iden­tité change au gré des paysages et le monde semble lui aussi en mouve­ment. Je suis au contact de la vie même, dans l’énergie du dépla­ce­ment, du chan­ge­ment perpétuel.

Ici, mon regard se heurte aux limites de ces quatre murs. Je suis coupé du monde.

Partir ou rester

Selon un mythe mélanésien,

« Tout homme est tiraillé entre deux besoins. Le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est-à-dire de l’enracinement, de l’identité. Les hommes errent constam­ment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue. »

Partir OU rester ?
Partir ET rester !

J’ai trouvé l’arbre. C’est un noyer majes­tueux que je salue tous les matins en ouvrant les volets.

Dans le fond du jardin, il y a la Meuse qui coule.
Il reste main­te­nant à fabri­quer la pirogue.

Retour de voyage - L'arbre et la pirogue

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

Commentaires

Très beau texte. Je suis plutôt d’ac­cord avec tout cela. C’est d’ailleurs pour­quoi je ne reviens de voyage que tempo­rai­re­ment, et je repars en voyage tout le temps. Le noma­disme me convient parfai­te­ment et me rend très heureuse. Bon retour.

Merci Emily ! Oui je vois que tu as la bougeotte 😉
Tu n’as pas de base ? Pas d’en­droit où revenir ? Comment fais-tu entre deux voyages ? Pour moi, avoir quelque part où revenir me permet juste­ment de voyager sans avoir à tout remettre en ques­tion à chaque fois que je pars. C’est précieux !

Si si, ma base c’est Paris chez mes parents. C’est là que je reviens entre deux voyages et que je laisse beau­coup d’af­faires. En plus, j’adore cette ville, même si je n’ai plus envie ni les moyens d’y vivre !

Superbe texte. Vrai­ment bien écrit et qui sonne telle­ment réel à mes oreilles !!! Bon courage pour le retour !!!

Merci Candie 🙂 Tu as vécu un retour de voyage difficile ?
Moi je suis toujours content d’être rentré, d’au­tant plus que je repars régu­liè­re­ment ! Mais pouvoir planter des racines quelque part, avoir un endroit où stocker toutes mes photos, mes bouquins, ma mémoire physique, c’était impor­tant. Notam­ment pour les prochains retours 🙂

C’est un très très beau texte, bravo ! Je ne sais pas quoi dire d’autre, si ce n’est que je suis d’ac­cord 🙂 : on ne revient jamais vrai­ment d’un long voyage. Je n’ai pas (encore) fait de longs voyages de ce style. Mes voyages à moi c’est quand je pars m’ins­taller ailleurs pour quelques temps. Après être partie un semestre pendant mes études, je ne suis jamais vrai­ment revenue dans mon pays parce que j’avais énor­mé­ment changé. La diffé­rence pour moi, c’est que main­te­nant je ne veux plus revenir. Je vis à l’étranger et quand je voyage, c’est là que j’y retourne. J’es­père que ton retour à la « vraie vie » se passe bien ! Partir et rester c’est pas mal non plus, quand on y arrive :).

Bonjour Léonor 🙂
Effec­ti­ve­ment, tu es bien placée pour dire qu’on ne revient jamais si tu n’est jamais revenue ! Alors tu es devenue une étran­gère à ton propre pays ? Ça doit être étrange, en effet…
Mon retour à la vrai vie se passe bien, merci ! Je serai content de décoller de l’écran une fois le bouquin achevé. S’en­fermer 3 mois tout seul après avoir été 18 mois dehors, c’est une expé­rience spéciale… Heureu­se­ment, je pars de temps en temps prendre l’air pari­sien ou romain, et bientôt plus lointain 😀
À bientôt par ici ou par chez toi (je découvre seule­ment ton blog !)

Oui c’est un peu ça, et aussi le fait que main­te­nant que j’ai décou­vert d’autres manières de vivre je me rends compte que je me sens mieux dans d’autres pays que dans le mien ! Par exemple, j’ai besoin de soleil et mon pays ne m’en offre pas assez ahah ! Ce n’est pas quelque chose que beau­coup de personnes comprennent :).
Courage pour la fina­li­sa­tion de ton bouquin alors ! Et oui, à bientôt :).

Merci.
Pour les textes écrits avec talent, les belles photos et les idées qui s’y bous­culent. Elles s’en­tre­choquent aux miennes.
Je suis tombée sur ton site en tapant « diago­nale du vide » sur mon moteur de recherche. J’ai moi aussi l’envie de devenir explo­ra­trice de cette mysté­rieuse veine géogra­phique qui traverse notre pays. Se munir d’un carnet, un appa­reil photo, un enre­gis­treur et aller à la rencontre. Aller collecter des paroles, écouter ce qui se dit, sentir ce qui ce vit dans les bistrots, dans les gares, sur les bancs,…
Aller dans le fond de la diago­nale pour voir si elle est si vide que ce que l’on dit…
Pour l’ins­tant, je ne sais pas pour combien de temps, sous quelle forme et où m’emmènera ce voyage. C’est simple­ment une minus­cule idée qui ne demande qu’à germer. Je l’ali­mente en m’ins­pi­rant. Alors tout conseil est bienvenu.
Caroline

Hello Caro­line !
Merci pour ton message et bien­venue dans le petit monde des explo­ra­teurs de la diago­nale du vide 😉
Je vois qu’on partage pas mal d’en­vies ! J’es­père apporter un peu d’eau à ta graine d’idée pour l’aider à germer.
Je vais ajouter quelques articles pratiques sur le blog pour donner des pistes à ceux qui voudraient se lancer dans ce genre de voyage. Appa­rem­ment, les lecteurs trouvent que ça manque… Pour l’ins­pi­ra­tion, tu as déjà tous les carnets de voyage. Et pour l reste, je t’envoi un mail 🙂
À bientôt !
Mat

Salut Mat ! Merci de conti­nuer à nous faire rêver.
Oui, inertie du mouve­ment… mais en fait, c’est la VIE elle-même qui est mouve­ment. S’ar­rêter, ou du moins essayer, permet d’en prendre briè­ve­ment conscience pour mieux se laisser ré-embar­quer un peu plus loin…
Le fond du jardin est compa­rable au bout du monde. Mais c’est en ayant d’abord quitté son propre jardin qu’on parvient à retrouver les parfums du grand ailleurs, devant le plus fami­lier des petits cailloux.
Sans doute la matu­rité de l’âge et de l’ex­pé­rience donne au regard cette profon­deur apai­sante et verti­gi­neuse à la fois.
Ma vie à moi est très séden­taire. Mais c’est un voyage perma­nent – entre l’aube et le crépus­cule – l’ac­cueil de plus en plus ouvert à l’im­prévu, à la rencontre, à ce qu’il y a de plus beau dans chaque personne et situa­tion. VIGILANCE… Quand même, c’est fou ce qu’on peut passer à côté de la VIE quand on cherche à la maîtriser de trop.
Je t’embrasse sur les 2 pieds !
Nath

Merci Nath !
Je vien­drai bien te rendre visite dans ta vie séden­taire. Le temps passe, j’ai râté quelques anni­ver­saires et ça ne va pas s’arranger :-/
Mais je vois que tu gardes cette belle ouver­ture et cette faim (soif ?) qui te caractérise 😉
Je vais pas m’éter­niser sur ce commen­taire, le mieux, pour le contact, c’est de se voir ou de s’appeller.
Des bises et à bientôt !
Mat

Bonjour,
C’est ce que j’ap­pelle voyager avec les mots. C’est la magie des amou­reux de voyage, prendre de l’avant gout. Alimenter ses envies pour voyager, c’est votre talent. Merci

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