Street Art City est un « work in progress. » Friche industrielle ? Squat ? Galerie d’art ? Un peu tout ça à la fois. C’est surtout une petite ville noyée dans le silence du bocage qui amène l’art urbain au cœur du bourbonnais. Et accessoirement, c’est aussi la dernière étape de ce voyage en France.
Le bocage sous un soleil d’automne chaleureux. Des routes qui tirent tout droit à travers champs. Quelques côtes pimentent le trajet. Je savoure mes derniers kilomètres jusqu’à Lurcy-Lévis. J’arriverai à destination pour l’heure du déjeuner.
Un métro new-yorkais s’étire le long de la palissade… Je suis bien à Street Art City.
Street art city, le gang
Dans la cuisine, toute l’équipe est réunie. En bout de table, Gilles, le père, se déclare ouvertement « de religion commercial ». Après avoir vendu des encyclopédies en Martinique, créé une société de marketing direct à Barcelone, produit des guides touristiques sur les golfs de France, il s’occupe aujourd’hui du développement commercial, des mécénats et des partenaires financiers de Street Art City.
À sa gauche, Olivier, le fils, était logisticien dans l’industrie de la viande avant de devenir régisseur du lieu. Laurent (le saint-esprit ?), ex-ingénieur de maintenance en système robotique, se charge de la promotion auprès des galeries d’art. En face, Thomas, alias Zeso, est en résidence. Avant de devenir artiste à plein temps, il était cuistot.
« On est bien traités ici. Les vêtements ont tendance à rétrécir. »
Ça fait sourire Sylvie, la femme de Gilles, qui arrive avec une assiette d’éclairs au chocolat. Elle s’occupe de l’accueil et de la cuisine, mais surtout, c’est elle la directrice artistique. Sans elle, Street Art City n’existerait pas.
Entre les deux, moi qui, au bout de ce périple, suis devenu « le voyageur », comme c’est écrit sur le tableau, faute de prénom, faute de mémoire.
« Alors… Combien de kilomètres ? me demande Thomas.
– Je ne sais pas.
– Allez, tu dois bien avoir un idée ! »
Franchement non. Je me suis bien gardé de ces aspects mathématiques du voyage derrière lesquels se cachent l’essentiel. Le mien n’était pas une performance sportive. Il n’y avait pas de défi à relever. Je ne voulais pas devenir « celui qui a fait – admettons – cinq mille kilomètres à pied. » Cette traversée était surtout un grand bol d’air et d’humanité.
La visite de Street art city
« On va aller directement à l’endroit où j’ai été foudroyée par l’information »
On se dirige vers le bout du grand bâtiment de l’hôtel. Depuis des années, Sylvie cherche comment redonner vie à cet ancien centre de séminaire des PTT. PTT… Rien que le nom évoque les fantômes.
Treize hectares, sept mille mètres carré de bâtiments, un hôtel de cent vingt huit chambres, des salles de conférences, de quoi cuisiner pour deux cent quatre vingt personnes… De beaux buildings rectangulaires, abandonnés, obsolètes, inexploitables. Sylvie aime les défis.
Elle est persuadée qu’il y a quelque chose à finir ici. Un alchimiste lui en a donné la confirmation quelques années plus tôt. Elle veut, elle doit redonner vie à ce lieu mort aux yeux de tous. Les années passent, les visites se succèdent. Rien jusqu’à ce vingt-deux janvier deux mille quinze lors d’une promenade avec son caniche Bijou.
Un électrochoc culturel
« C’est ici, exactement. Je me suis dit que j’allais apporter de la beauté, de la couleur. Mais je n’allais pas peindre des vaches et des moutons. Ce qu’on voit en ville, c’est ça que j’allais balancer sur la façade. Je voulais créer un électrochoc qui rendrait le lieu vivant. »
Sans rien connaître au monde du street art, elle cherche sur internet et trouve les premiers garçons qui viendront décorer les murs de ce qui ne s’appelle pas encore Street Art City.
Mai deux mille quinze, le premier mur est recouvert. Le bruit court vite qu’en plein milieu de nulle part, il y a des murs libres, du temps et une envie de street art. Un an plus tard, des artistes reconnus sont déjà venus du monde entier apporter leur contribution à ce lieu unique au monde.
Une fabuleuse aventure humaine
« C’est super intéressant, parce que le premier réflex qu’ils ont, c’est qu’ils touchent le mur. Ils le touchent. Je peux pas dire ce que je ressens quand je les vois faire ça. Moi je vois les hommes dans les cavernes. Alors que ce sont des jeunes plutôt aguéris, un peu casse-cou, il y a ce geste instinctuel de prise de contact. Ils rentrent en contact énergétiquement.
Avec les artistes, on partage quelque chose d’extrêmement fort, quelque chose qui pousse la créativité à son summum, que même eux ne soupçonnaient pas. En arrivant là, ils ne trahissent rien. Moi je ne représente aucun danger. J’ai ni les codes ni le look mais il y a un empathie qui se fait. La première chose que je leur apporte, c’est une zone de confort. »
Ce qu’ils disent :
« J’ai jamais peint dans de telles conditions. Ce qui est impressionnant, c’est ce silence. Plein de fois, je me retourne, c’est incroyable. Là , c’est comme nulle part ailleurs ; Je vis un truc à part. On est dégagé de toutes contraintes logistiques, on mange super bien, on peint, on dort, on crée… C’est un truc dingue ! »
Street Art City les transporte ailleurs en eux-mêmes.
Galerie d’art du XXIe siècle
Le projet n’en est qu’à ses débuts. Tandis que les murs extérieurs se couvrent de fresques et de graffitis, les cent vingt huit chambres de l’hôtel sont vouées à devenir autant d’œuvres-cellules. Des artistes venus des cinq continents feront du lieu une référence du street art où tous les grands noms auront laissé leur trace.
Pour Sylvie qui considère le street art comme l’art du XXIème siècle, il est aussi temps de trouver une nouvelle voie pour valoriser le travail des artistes autrement qu’en le mettant sous une lampe contre un billet pour manger.
À Street Art City, elle cherche à porter les artistes en les accompagnant dans leur unicité.
Repousser ses limites
Transmettre qu’on peut vivre ses rêves, transgresser les limites sans être des allumés… À l’aube de ses soixante ans, Sylvie se sent porteuse de ce message.
« Toutes ces limites qu’on se crée par nos peurs, lorsqu’on se demande si c’est possible, si l’on est légitime, si on a le droit … Tout ce que nos sociétés sans prises de risque stérilisent, parce qu’il faut rester dans le moule, ne pas être trop original ou trop rêveur… Ici, on le crée, on bâtit tous les jours pour montrer que la vie, c’est ça : exprimer qui nous sommes, créer ce flux créatif entre les uns et les autres, s’élever et être dans une autre dimension mais pas en rêve, non ! Pour de vrai !
C’est comme ça que la partie se joue. Il faut y aller, ne pas être tiède, être dans la foi profonde de qui nous sommes, sans se laisser leurrer par toutes les chimères d’être un bon travailleur, souffrir pour avoir la récompense qui apportera la pitance pour juste te nourrir biologiquement. Vivre, c’est aller au delà de ça ! Toute ma vie, je l’ai construite sur ce système là. »
Liberté inconditionnelle
À Street Art City, Sylvie a créé un lieu à son image, à la fois totalement romanesque et concret, nourricier, fort.
Un lieu où se retrouver, revendiquer la liberté inconditionnelle qui sommeille au fond de soi et l’exprimer sur des murs. Un lieu où le street art va se réinventer chaque jour en mourrant et en naissant et qui accompagnera l’évolution du mouvement au cours des années.
« D’autres poseront à leur tour leur main contre un mur et laisseront un message, une empreinte… Qu’est-ce qu’ils auront à dire dans cent ans ? »
Street art city
Street Art City se présente comme la nouvelle capitale de l’art urbain. Le lieu réunit la crème de la scène du graffiti et de l’art urbain. Les street artistes viennent des quatre coins du monde couvrir les murs de graffitis et de fresques : Rezo (New York), Caro Pepe (Argentine), Shiro (Japon), Soten (Danemark), Alaniz (Berlin)… Ouverte au public à partir du 28 avril 2017 pour découvrir une bonne vingtaine de styles différents, et un lieu unique entre squat artistique et exploration urbaine.
Contact : Sylvie Iniesta
Ouverture : de mars à novembre
Tarifs : visite extérieurs + galerie : 12€ , gratuit pour les – de 16 ans
Tarifs visite hôtel 128 + extérieurs + galerie : 20€ adultes, 10€ enfants.
Tél : 06 44 95 59 86
Web : www.street-art-city.com
Commentaires
Merci pour ce bel article. On redécouvre notre région… avec émerveillement !
Merci Cécile ! Le lieu n’est pas encore ouvert au public, c’est pour ça 🙂
Et puis aussi, c’est difficile de garder un oeil curieux sur ce qu’on croit connaître ! Les habitudes s’immiscent sournoisement…
Mat ces photos et ce reportage sont incroyable, j adorerais visiter ce lieu, merci de nous l avoir fait connaitre !
Coucou Laure !
Content que ça te plaise 😀 Ça ouvre en avril prochain.
Pas encore trouvé le temps de venir te voir à Londres, sorry :-/ Tu me feras un petit tour des lieux de Street Art du coin ?
Bises