Les crêtes d’Iparla, de falaise en falaise

Randonnée gran­diose sur les crêtes d’Iparla, étape mythique du GR10 de Bidarray à Saint-Etienne de Baïgorry.

Pluie, nuit, vent sur le GR 10. L’hiver est doux cette année. Doux et humide. Malgré l’absence de neige, les caprices de la météo me rendent vulné­rable. Impos­sible de planter la tente. D’étape en étape, je me plie aux contraintes de la marche en montagne.

J’ai marché sur la fron­tière espa­gnole. Fron­tière toute symbo­lique où d’un côté, on parle basque ou fran­çais et de l’autre, basque ou espa­gnol. Zone d’entre deux où le vent tempête. Planter la tente ici serait de la provoc.

À Esteben borda – la ferme d’Esteben où je passe la nuit –, ça sent la saucisse. Elles pendent dans la cage d’escalier, à l’entrée de la grande salle de restau­rant. À côté de la cheminée, des petits cane­tons caquètent dans un carton. Le confit de canard est maison lui aussi.

Madame Urdan­garin, la patronne, a des faux airs de Maïté. Le menu du randon­neur confirme mes soup­çons. Il est gargan­tuesque. Plein sala­dier de poule au pot–vermicelle, saucisses confites, jambon poêlé, omelette double, fromage triple et confi­ture de griotte. Carafe de vin. Pain à volonté… Au secours ! Ils vont me tuer avec de la bouffe !

Alors que mes hôtes se passionnent pour Top chef, je commence à comprendre l’esprit du sud-ouest, géné­reux comme une mêlée de rugby.

Du vent dans les voiles

Monsieur Urdan­garin a le sourire timide et le regard d’un homme heureux.

« Côté commerce, on vivote. Aupa­ra­vant, j’étais maçon. Et puis quand mon père est mort, il a fallu choisir. Vendre la maison ou devenir paysan. Je n’ai pas pu quitter les terres. Ici on n’est pas embêté par les voisins ».

Dehors, le vent s’en donne à cœur-joie. Météo France annonce des rafales à 100km/h. Dans la cheminée, la fumée refoule à chaque bour­rasque. Un nuage plane sous les poutres. « Ca fumera les saucisses » dit Monsieur Urdan­garin avec son sourire timide.

Je reprends la route. Au dessus de ma tête, les vautours ont réduit la voilure. Je suis litté­ra­le­ment porté par le vent qui – chance ! – souffle dans mon dos. Mon sac me sert de voile, mes bâtons d’avirons. Les arbres mugissent comme des vagues. On croi­rait entendre l’océan.

Dans ma tête, Franck Zappa chante « anyway the wind blows ».

Attention falaises !

Au col de Méhatché, j’aperçois les premiers sommets couverts de neige, tout au fond. Les enche­vê­tre­ments de fougères sèches pétillent sous le vent. L’arrière pays dispa­raît derrière un rideau bleu-gris. Les prévi­sions météo sur Bidarray sont mauvaises : pluie forte… J’accélère le pas.

Le sentier semble quitter les hauteurs et plonger entre les deux flancs de la montagne. Un panneau indique : « Bidarray, deux heures ». Un autre : « Atten­tion falaises ». Je commence la descente alors que les premières gouttes tombent. Il est encore temps de faire demi-tour pour m’abriter à la bergerie et attendre…

Attendre quoi au juste ? La pluie s’installe sur les Pyré­nées pour plusieurs jours. Il faut avancer. Le sentier finira bien par s’aplanir, la pente par s’adoucir, la pluie par cesser… Je protège mon sac dans sa housse, abrite mon appa­reil photo, enfile les dragonnes de mes bâtons autour de mes poignets et m’en­cou­rage d’un résolu :

« Allez Mat ! »

Alerte orange

Les quelques gouttes se sont vite trans­for­mées en rideaux de pluie. Les sommets et les versants d’en face dispa­raissent dans un lavis de gris aqua­relle. Des petits ruis­seaux cascadent sous mes chaus­sures, le long du sentier de randonnée qui contourne la montagne comme une entaille accro­chée à la paroie. Ça sent la terre.

Le spec­tacle est gran­diose. Il faudrait que je filme, que je photo­gra­phie. Mais je n’ai qu’une chose en tête : me sortir de là. Concentré sur mes appuis, j’assure chacun de mes pas. Mes bâtons sont devenus mes jambes de devant. Toujours du côté du vide, ils m’étayent face aux bour­rasques qui me poussent vers l’aval.

Alors que Météo France déclenche l’alerte orange, je suis suspendu entre le sommet et le fond de la vallée sur un sentier qui ne veut pas descendre.

Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - Les Pyrénées disparaissent sous la pluie

Le mauvais pas

Je lutte plus d’une heure sur ce chemin caillou­teux et escarpé. La pluie qui tombe lour­de­ment a tout investi. Le surplus forme un petit lac inté­rieur qui va et vient dans les manches de ma veste, des coudes aux poignets. Mes chaus­sures sont des piscines. Mon iPhone s’est noyé. Peu importe que la pluie s’arrête main­te­nant. Je suis déjà trempé.

La seule chose qui compte, c’est que l’à‑pic finisse enfin par rede­venir pente, que la peur de verser dans le vide s’estompe. Il ne reste plus que la douche au dessus de ma tête et les piscines aux pieds.

Je l’apprendrai plus tard, les Basques appellent cet endroit « le mauvais pas ». Plus qu’heureux de retrouver le ruban de goudron !

Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - Sur la route de Bidarray

Contre la montre à Iparla

Dix heures du matin, la pluie s’arrête. Le vent séchera la montagne. Aujourd’hui, c’est l’étape contre la montre. Huit heures pour rejoindre Saint-Étienne de Baïgorry. Je ne sais pas si c’est le café, mes jambes tremblent d’excitation. Je resserre les rappels de charge, ajuste le sac à dos au plus près de mon corps et entame l’ascension dans un tapis rouge de fougères fânées.

Depuis le début au Pays basque, toutes les randos commencent par une montée raide face à la pente qui vous met d’emblée la sueur au front et vous coupe les pattes. On passe de zéro à mille mètres en une heure avant de suivre les lignes de crête. Celles d’Iparla sont répu­tées. Depuis leurs hauteurs, le pano­rama est exceptionnel.

Je dispa­rais dans les nuages qui caressent les sommets. Des gouttes piquotent ma veste. Mon sur-sac claque au vent comme un drapeau. En dehors de ces bruits, rien. Silence et néant. Seul dans un cime­tière de pierres suspendu dans le vide et coupé du monde, je me sens léger, vivant, invin­cible. Marcher au bord de la falaise est devenu un jeu d’enfant.

Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - Sur les pentes de l'Arrihandi
Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - En route vers le sommet

Baïgorry de nuit

Au col d’Harriéta, je ne suis qu’à mi-parcours et il est déjà… dix-sept heures ! Il reste encore quatre heures de marche. Malaise. La petite cabane à brebis en bordure de forêt me regarde avec insis­tance. Je pèse le pour, soupèse le contre, repars au pas de charge. Le photo­graphe est rangé momen­ta­né­ment. Il est temps de montrer de quoi le marcheur est capable.

Quarante cinq minutes plus tard, je suis au col de Buztan­zelhay. Baïgorry n’est plus qu’à deux heures vingt minutes. Je termine en courant après les derniers rayons de soleil qui éclairent la vallée masquée par le flanc de la montagne. Le photo­graphe a repris le dessus.

Mes jambes sont en titane, les muscles de mes hanches durs comme du bois.

Les crêtes d'Iparla - Le GR10 longeant les crêtes

Objectif neige

J’arrive au gîte de Gaineko Karrikan peu après la tombée de la nuit. Benat, un peu inquiet, souligne l’imprudence de suivre le GR 10 en plein hiver. S’il m’a ouvert ses portes, son gîte est un gîte d’été. Hilare, j’enfonce le clou en révé­lant l’objectif final de ma traversée : le pic d’Anie, mille cinq cent mètres plus haut et cent kilo­mètres plus loin.

Seul ? Dans le froid et la neige ? L’idée lui paraît folle. A‑t-il seule­ment déjà emprunté ce tronçon du GR10 ? Jamais. Je me replonge dans ma carte. Sur le papier, tout ça n’a pas l’air si terrible. Et surtout, telle­ment exci­tant

Au bar du fronton, le patron connaît bien l’itinéraire. Le seul para­mètre à prendre en consi­dé­ra­tion : la météo. Si la neige tombe, les balises rouge et blanches qui déli­mitent le GR10 dispa­raî­tront sous la neige. La montagne deviendra un laby­rinthe frigorifique.

Je suis têtu, j’ai envie de tenter le coup !

La suite de la randonnée sur le GR 10 – Les sommets d’Iraty

Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - Redescente vers Saint-Etienne de Baïgorry
Le GR10 sur les crêtes d'Iparla - Forêt de hêtres sur les pentes redescendant vers Saint-Etienne de Baïgorry

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Ah, les hêtres, les rochers calcaires et les Fougères chéris..! La brume mysté­rieuse et l’air, véri­tables person­nages de ces paysages sauvages.
Bravo Mat pour la perfor­mance et pour le récit !

Merci Marie-Claude !
Tu as raison, tout ça avait l’air terri­ble­ment vivant, c’était magnifique.
La perfor­mance s’est faite un peu malgré moi, je dois dire… Mais elle ajoute un peu de piment au récit, alors je ne pouvais pas la passer sous silence ! Une bonne trouille dont on rigole une fois le danger écarté 🙂

C’est telle­ment plus facile de te lire au chaud chez soi que de marcher sous des trombes d’eau, mais cela à l’air d’en valoir le coup. On le sent, autant à travers tes mots que tes jolies photographies.
J’es­père que les balises reste­ront visibles et que tu ne prendra pas trop de risques, mais comme dans tous les cas tu vas le faire, bon courage pour l’ob­jectif final !

Merci Julie ! Oui, exac­te­ment, les condi­tions météo sont un peu la contre­partie de ce spec­tacle gran­diose. Sans regret donc.
Et ne t’in­quiète pour les balises… On m’a suffi­sam­ment mis en garde pour que je ne prenne pas le risque de me perdre.
Une aven­ture ça se prépare. Je suis archi-prêt ! 🙂

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