En Creuse, je croise des cuisiniers qui jardinent, des adeptes du land art, des étudiants élevés à l’école buissonnière… De l’étang des Landes à l’arboretum de la Sédelle, la balade est nature.
La banderolle qui accueille le visiteur à l’entrée de Lussat annonce la couleur.
« Commune sans mine. Ici notre or, c’est la nature. »
Dans les années quatre vingt, des recherches ont mis en évidence un gisement potentiel de trente trois tonnes d’or dans le sous-sol de la commune. Un projet de mine à ciel ouvert dans un site classé natura 2000 ? La population locale ne désarme pas.
À la Réserve naturelle nationale de l’étang des Landes, Karim est chargé de mission scientifique. Formé à l’école buissonière, sur le terrain, au contact des spécialistes, il se définit comme un pur produit des associations naturalistes du Limousin.
« Ils m’ont transmis le virus ! »
On est en pleine période de migration et la réserve se trouve justement sur l’itinéraire des oiseaux migrateurs en voyage vers le sud. Un itinéraire bis, loin de la côte et de la vallée du Rhône. Chez les oiseaux aussi, il y a une diagonale du vide.
L’étang des Landes
Pour être au calme, l’endroit est idéal. L’horizon se fond dans la brume. Il faut tendre l’oreille et laisser s’envoler son imagination : Hérons pourprés, marouettes, grèves huppées, grues cendrées, fuligule milouin, sarcelle d’hiver, butor étoilé… Les noms dessinent des silhouettes poétiques.
Dans le silence de l’affut, les ornithologues attendent, télé-objectif en berne, l’air recueilli. Karim leur parle doucement, comme à des confidents.
« Et les mésanges rémiz ? »
– Elles ont été annoncées en Alsace… »
Nous prenons le chemin de la roselière pour voir si elles sont déjà là. Elles feraient des heureux. On les attend comme de vieilles amies.
Le soleil se lève. La rosée fait scintiller les toiles d’araignées tendues dans les herbes hautes. Les brebis entretiennent à moindre frais la lande à bruyère qui fait la particularité du site. Leur cloche tintent doucement. La visite de l’étang se fait au ralenti, contemplative.
Karim sort d’un week-end festif. Je digère encore ma soirée de départ. La brume environnante colle bien avec notre état mental.
La souterraine
L’automne est là. À « la sout’ », les noisettes rebondissent sur le toit de ma tente. Les écureuils fouissent dans les feuilles mortes. C’est une belle journée, chaude, aérée, éblouie de soleil. Mon vélo file à travers les plis du bocage, les feuilles, sèches comme du papier, virent déjà au roux. Non, ce n’est pas l’automne. Simplement la sécheresse. Il n’a pas plu depuis trois mois.
À Saint-Germain-Beaupré, une vieille dame en robe bleu à fleur installée sur un banc me regarde passer. Elle lève la main au front, incrédule. Une autre s’est endormie sur le perron de sa ferme. Elle lui racontera !
Je vois le GR croiser ma route et repiquer vers les bosquets à travers la campagne. Je ne prends plus le temps de photographier tout ça. Plus que quinze jours sur la route.
La fatigue du voyage
Mon vélo est à bout. À la souterraine, le vendeur de « Roulez facile » a assorti son pronostic vital d’une grimace.
« Il est très fatigué, votre vélo… Les roulements sont usés à force de frottements, les dents du pédalier sont mangées par la chaîne… Je vais vous changer la roue mais il n’ira plus très loin, si vous voulez mon avis ! »
Il me parle de mon vélo et j’entends qu’il me parle de moi. Mon corps aussi réclame une pause. Mon lumbago date de mars et je sens encore ce carré des lombes qui me tiraille côté droit. Un nouveau capteur qui se déclenche lorsque j’ai trop tiré sur la corde.
Je m’offre le meilleur des réconforts : une bonne table.
À Crozant, prendre le temps de faire son jardin
Fin d’après-midi à Crozant. Je fais les menus comme d’autres font les boutiques. À l’Auberge de la vallée, l’offre spéciale pèlerin à six euros m’écarquille les yeux. Tiens, me revoilà sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Dieu est grand et je ne suis qu’un pauvre pêcheur… Je me laisse tenter par le menu découverte :
Crème brûlée au foie gras
Poule noire du Berry, compotée de fruits rouges acidulés
Côte de veau croustillante de la boucherie Baraille aux morilles, pomme de terre du jardin aux herbes fraîches
Plateau de fromage
Croustillant d’ananas et son sorbet
Trilogie des desserts (dacoise, noisette et caramel beurre salé, panacotta mangue vanille, tiramisu fruits rouge)
Des viandes autant que des légumes, je me régale de tout. Chacune des assiettes repart en cuisine impeccablement nettoyée. Le chef Sébastien Proux, ancien étoilé, me détaille avec d’autant plus de plaisir ce qui l’a amené à Crozant et l’esprit de ses fourneaux.
« Courir après les étoiles pour engueuler ses fournisseurs parce qu’une huître n’est pas fraîche, se faire critiquer par des clients tâtillons pour un degré de trop ou de trop peu… j’ai laissé ça aux autres ».
De la salle d’à-côté parviennent les rires de la tablée de médecins qui testent la prochaine carte. À les entendre, le menu leur plaît.
« Ceux qui viennent chez moi aiment les bons produits et la cuisine bien faite ».
Ici, pas de tempête de cerveau pour réinventer la poudre. Sébastien préfère passer du temps dans son jardin. Quatre mille mètres carrés d’où il tire le principal de ses légumes. L’équation est aussi budgétaire.
« On est bien en Creuse. Ici, pour 1300 € par mois, on vit bien. Pourquoi aller chercher ailleurs ? »
Pourquoi ? Parce que ce n’est pas toujours facile.
L’arboretum de la Sédelle
À l’arboretum de la Sédelle, Philippe Wanty a créé avec sa femme Nell un fabuleux jardin, classé jardin remarquable. Arrivé dans la Creuse à l’invitation de son maître Gilles Clément (le « jardinier » à l’origine du centre international du paysage découvert sur le lac de Vassivière), le paysagiste achète une parcelle, puis deux, puis toutes celles qui remontent depuis la rivière Sédelle.
Il aménage avec passion cet espace pour lui rendre l’aspect que les peintres impressionnistes ont immortalisé sur leurs toiles. Épris de la Creuse, il la quitte pourtant plusieurs mois de l’année pour l’Angleterre où il cultive des plantes médicinales.
« Ce sont les anglais qui ont sauvé le pays. Avec leur sens de la fête, ils ont remis un peu d’ambiance. Parce qu’ici, on essaie de survivre. On fait son chiffre d’affaire sur les deux mois touristiques de l’année… Après… Les commerces tiennent trois ans avant de plier boutique, écrasés par les charges. »
Land art et 4L savane
Philippe, lui, tient bon depuis 1987. Fruit d’un travail patient, son jardin respire l’harmonie. Beaucoup de plantes locales, et par endroit, des « rencontres ». Je m’extasie devant les feuilles préhistoriques et les tiges griffues du Gunera, les fruits rouges et noirs du bonnet d’évêque, le dédale de racines d’un chêne plusieurs fois centenaires, les petites touches pastelles des bruyères.
Il y a du land art dans la démarche de Philippe. Sa maison, noyée dans le feuillage, est un modèle de symbiose entre l’homme et son environnement. Même sa voiture tente la fusion : Renault 4L savane.
Philippe a sculpté le paysage. D’autres l’ont peint.
La vallée des peintres
La vallée des peintres a vu défiler les impressionnistes. Les ruines du château de Crozant et les paysages sauvages de la Creuse ont nourri leur inspiration.
À Fresselines, là où les deux Creuses, la grande et la petite, se rencontrent, Monet a installé son chevalet tout en haut d’un rocher, bravé le froid, la pluie, le vent et jeté ses impressions sur la toile.
C’est ma dernière halte en terre limousine. Demain, je traverserai la rivière et quitterai pour de bon le granit du massif central. Après trois mois de bataille, j’ai bien mérité un peu de repos.
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merci pour ces photos magnifiques de mon département de coeur
De magnifiques photos, bravo et merci. Bonjour. Creusois d’origine je vous invite à découvrir une chanson que j’ai écrite sur ce beau département. Jean Paul Jamot https://youtu.be/5QFCF5-YHgc
C’est la Creuse- Jean-Paul Jamot (Clip Officiel). Bien micalement.
Merci Jean-Paul 🙂
Avec plaisir Mat, merci pour ce message, à bientôt.
Merci pour ces photos, ces textes. Contemplation, ressourcement, paix.
Merci Adèle 🙂 Oui effectivement, j’ai trouvé un peu de tout ça dans la Creuse que j’ai traversée !