Dans la chaleur de l’été, tourisme vert à l’ombre des forêts de Haute-Marne. Fêtes arrosées, saints pétrifiés, nuits agitées… De la compagnie des hommes à celle des animaux, un peu d’enfer, un peu de paradis.
Les moissonneuses batteuses pâturent dans des paysages plats. Les lignes à hautes tensions s’étirent à perte de vue. Je n’ai pas de carte et, pour une fois, je suis le tracé rectiligne du goudron haut-marnais.
En passant sous l’autoroute, bouteilles de sodas et canettes de bière jonchent les fossés sur les bas-côtés… La route est une poubelle. Isolés dans leur cockpit, les automobilistes se foutent pas mal des endroits qu’ils traversent. Seule compte la destination.
« De toute façon, il n’y a rien, ici… »
La mienne ? Montier-en-Der, où Etienne m’a convié à la fête des boissons artisanales. Ça tombe bien, il fait une chaleur à crever et les villages se claquemurent derrière des volets clos. Voir du monde et boire des blondes,le programme s’annonce bien.
Forcément bière
L’association « forcément bière », une joyeuse bande de quinquas, a fait renaître la « Fort-carrée », une bière légère brassée localement. Derrière sa tireuse, Noël, le brasseur, a le sourire vissé jusqu’à la casquette. Les fûts se vident à grande vitesse.
« Les jeunes ne connaissent plus leur histoire. On essaye d’animer la ville, de valoriser le patrimoine local, de transmettre des choses. »
Etienne est un militant. Fils d’agriculteur, ex-correspondant du journal de la Haute-Marne, il connaît bien son département. Pas question de baisser les bras et de céder aux sirènes du défaitisme et du repli sur soi.
Les citoyens du coin
Quand le Front national est arrivé au second tour des élections présidentielles en 2002, il a rejoint le collectif Les citoyens du coin. Moins pour endiguer que pour dialoguer, essayer de comprendre, mettre le doigt sur ce qui fâche et proposer des solutions…
Mais la dynamique s’essoufle. À Brachay, plus de 70% des votants ont choisi le Front national aux dernières élections présidentielles. Record de France. Marine Le Pen y fait désormais sa rentrée politique. Pour l’occasion, le nombre des journalistes dépasse de loin celui des habitants.
Le lac du Der est à seulement quelques battements d’ailes. On préfère aller voir les cigognes.
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Écolos têtes de veaux
On a sorti la lunette pour observer les aigrettes, les hérons, les coulis cendrés. Je pourrais y passer des heures. Il faudra revenir en septembre-octobre pour voir les grues cendrées.
« Tu sais qu’elles suivent le même chemin que toi, dans leur migration vers le sud ? »
L’idée d’être un oiseau-migrateur me plaît. Je demande, le bec enfariné :
– Vous êtes nombreux, les écolos, dans le coin ?
– Je ne suis pas écolo ! Quand on voit ce qu’ils font au niveau national, on n’a pas trop envie de porter ce genre d’étiquette politique.
– Alors qu’est-ce qu’il faut dire ?
– « Amoureux de la nature », ça ira.
J’ai mis le doigt sur quelque chose. Ici, un « écolo », c’est un parisien qui se mêle de nature – comprendre « qui n’y connaît rien ». Pour parler des technocrates et des ministères, l‘expression consacrée, c’est les « écolos de Paris ». Écolos têtes de veaux.
Observer les grues
Le lac du Der est l’endroit idéal pour observer les grues cendrées qui hivernent (20 000) et y migrent (plus de 150 000) d’octobre à mi-mars. Admirer le lever des grues depuis les digues est un moment magique. Renseignez-vous auprès des ornithologues qui vous indiqueront le moment à ne pas manquer.
Contact : Ligue de Protection des Oiseaux
Tel : +33 (0)3 26 72 54 47
Mel : champagne-ardenne@lpo.fr
Web : champagne-ardenne.lpo.fr et lacduder.com
Au paradis, parmi les saints
À Sommevoire, Joël nous attend dans la cour d’une ancienne ferme restaurée. Sur le mur, écrit en grosses lettres gothiques, « Le paradis ». Et Joël a les clés. Avoir les clés du paradis, quand même, ça vous pose un bonhomme…
À l’intérieur, la lumière s’engouffre par tous les interstices. En clair obscur, Jésus, Marie et tous les saints assistent à la naissance d’Apolon, encore enchassé dans son moule. Les avatars de toutes ces statues en fonte sont partis peupler les églises, les façades, les places et les fontaines du monde entier. Les originaux de plâtre sont restés à Sommevoire.
Animé par sa passion, Joël s’emporte, passe en revue les techniques, se perd dans les détails, revisite toute l’histoire de la fonderie d’art. L’assemblée reste silencieuse et pétrifiée. Le contraste est pittoresque.
Le paradis de Sommevoire
Si vous aimez les lieux chargés d’histoire, si vous êtes sensibles aux atmosphères hors du temps, le paradis de Sommevoire va vous fasciner. Joël et les compagnons de Saint-Pierre vous guident à travers ce labyrinthe de pierre. Déambulez entre les 1000 modèles qui composent le fond et découvrez l’histoire de la fonderie d’art racontée par des amateurs passionnés.
Contact : Joël
Adresse : 26, rue du docteur Bochot, 52220 Sommevoire
Tel : 06 88 15 11 82
Web : www.fontesdart-sommevoire.org
Bienvenue à Blumeray
Etienne, Joël et les autres… Tous m’ont recommandé de passer par Blumeray. Dans ce petit village, tous les vendredis soirs depuis des dizaines d’années, on se retrouve sur la place pour le dîner. Tout le monde est le bienvenu.
J’arrive le jour du 14 juillet. Le village festoie autour d’un repas méga-copieux et ultra-protéiné. Je fais des réserves de graisse pour les jours à venir. La vallée de la Blaise s’annonce aussi vide de commerces que le sud-meusien, à en croire Sandra, ma voisine de table.
Elle ne se serait installée ailleurs pour rien au monde. Sa peau noire lui vaut parfois quelques remarques mal placées. Je réalise que depuis mon départ, c’est presque la première fois que je croise une black ! Pourtant l’île Maurice est à deux pas d’ici. Pas l’île, non ! La guinguette qui vend de la tôle, entre Doulevant et Arnoncourt.
« Zoologiquement, ça devrait être intéressant. Tu vas voir, on y trouve de drôles d’oiseaux. À 19h, ils seront cuits à point ».
Pas de bol, la guinguette est fermée mais l’itinéraire s’annonce nature…
Tourisme vert dans l’ombre des forêts
Levé aux aurores, je tente le sentier forestier pour avoir la chance d’apercevoir le gibier qui paraît-il, foisonne. Mais comment rester discret quand les taons me harcèlent ?
Journal en main, je me bastonne à grands coups d’articles sur la dette grecque, manque de m’assomer, pousse des cris de rage et finit par détaler pour fausser compagnie à mes mini-agresseurs. Les biches doivent se marrer. Je passe ma colère dans l’eau fraîche de la Blaise et la chasse aux libellules.
Ce sont les animaux qui choisissent de me rendre visite, à la nuit tombée. Le fumet de l’’andouillette qui macère dans mon sac attise les convoitises. Biches, sangliers, renards, blaireaux… Toute la forêt défile à la porte de ma tente. Je siffle pour manifester ma présence. À quelques centimètres à peine de leur souffle lourd, je n’en mène pas large.
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« Il fait chaud, hein ? »
L’homme n’a rien trouvé d’autre à répondre à mon salut. Trop surpris que quelqu’un marche par cette chaleur étouffante.
Le goudron transpire à grosses gouttes noires luisantes. Les moissonneuses disparaissent dans les vapeurs de chaleur. Les chaumes sont plus secs que jamais.Tant qu’il y a de l’ombre, du vent et de l’eau, tout va bien.
A l’église de Lamothe-en Blaisy, je me déclare officiellement refugié climatique. Miracle, le bâtiment est ouvert, les murs sont frais, et, confort ultime, il y a une prise électrique. Je suis à deux doigts de retrouver la foi. Quand les églises partageront leur connection wifi, peut-être ?
Commentaires
Salut Mat
Au plaisir de t’avoir rencontré, d’avoir partagé un bout de chemin et de t’avoir fait découvrir notre réseau. Joli récit sur notre contrée. « La vie est ici ! » était le slogan choisi un temps par notre conseil général. On essaye donc de faire en sorte. A plus et bonne route. Etienne
Salut Etienne !
Merci pour l’accueil ! C’était vraiment sympa de découvrir le dynamisme de votre petite bande de passionnés. Je reviendrai boire une mousse à l’occasion. Et vous êtes invités du côté de chez moi (quand je serai de retour !). Bonnes vacances 🙂
Merci pour le fou-rire à propos de l’église de Lamothe-en-Blaisy. J’adore (c’est le cas de le dire).
Jolie balade en tout cas, tu me donnes envie d’aller moi aussi visiter le Paradis 😉
Merci Aurélie 🙂 Et merci pour le fou-rire !
Oui oui, n’hésite pas si tu habites dans le coin. C’est vraiment un endroit à visiter, ce paradis.
Dans cette grange, on pénètre dans un autre univers…
coucou Mat,
j’abonne Andrew qui me demande régulièrement de tes nouvelles !
Super ton article sur la Haute-Marne. C’est un voyage insolite que j’adore suivre mot à mot…
« Voir le monde et boire des blondes ! » Elle est bonne celle-là !
Tes photos sont ma-gni-fi-ques ! Andrew me le dit tout le temps ! j’aime particulièrement le vert de la forêt et le cadre que tu as su choisir, qui donne quelque chose d’enchanté ; les sculptures en plâtres qui ont l’air d’être habitées, le poteau télégraphique ressemble à un goldorak de fer dans les champs, l’ombre de l’arbre sur la route me fait l’effet d’un beau dessin mandala, etc.
Tout est évocateur de quelque chose ; une jolie poésie d’abandon, ou de tranquillité ou de sagesse, ou d’attente.…le silence entoure ou plane.…mais le détail que tu choisis éveille toujours notre regard.