Dans l’Allier, j’avance à tâtons. Un peu pressé par le temps, je m’enlise dans le bourbier bourbonnais et son tourisme nostalgique sauce yéyés. Parfois, dans le voyage, on se trompe…
J’attendais avec impatience les couleurs de l’automne et c’est l’hiver, sans transition. Le feuillage reste vert et le mercure plonge. Mon chèche bleu a retrouvé sa place autour de mon cou.
Dans le parc de Saint Pourçain, la nuit est fraîche. La saison touristique est finie depuis quelques jours déjà. Les portes du camping sont fermées. Je plante la tente sous les peupliers du parc de l’île et fais durer le plaisir jusque tard dans la matinée.
Mon premier petit déjeuner asiatique suite à mon passage chez Caroline a des airs de fête. Thé au jasmin, gingembre confit, nougat au sésame, extrait de ginseng. Un concentré d’énergie ! Il y a également une boîte de fortune cookie, ces gâteaux secs qui renferment un petit morceau de papier sur lequel un message donne la tonalité de la journée.
Le fortune cookie du jour dit :
« Modérez vos enthousiasmes, vous pouvez être parfois trop crédule. »
Magnet et son électrodrome
Direction Magnet et son « électrodrome ». Je ne sais pas pourquoi, ces noms m’évoquent l’univers des X‑men. Si le type à l’entrée porte un casque et une cape, si un petit chauve en costar-cravate et fauteuil roulant me fait la visite, je serai sur mes gardes.
À Magnet, le premier syndicat d’électrification rural français a testé l’arrivée de l’électricité dans les campagnes. 1939 puis 1952. J’imagine un village constellé de générateurs titanesques, des tableaux bardés de boutons et d’écrans, des transformateurs délicieusement vintage… Le futur vu du passé, c’est toujours plus cool…
À l’entrée du village, deux pylônes coiffés d’un lampadaire trônent sur un rond-point : « Magnet, premier village électrifié de France ».
Sur la droite, un bar-restaurant annonce sa soirée tartiflette. À gauche, un panneau en carton désigne un grand hangar aveugle entouré d’un parking. L’électrodrome est un musée. Une succession d’objets rangés ensemble, par famille : fers à repasser, ampoules, télévisions, sèches-cheveux, moulins à grain, pétrins électriques.
Je me demande si je n’aurais pas mieux fait de garder mes quatre euros pour la tartiflette !
L’embouteillage de Lapalisse
J’arrive à Lapalisse sous un ciel pas enthousiaste, dans un vacarme de véhicules rétro qui circulent dans les deux sens.
Ce week-end, les passionnés d’automobile rejouent « l’embouteillage », celui des années soixante, lorsque des files interminables de véhicules se pressaient sur la route des vacances, la fameuse route nationale 7.
Des centaines de camping-car ont investi tous les espaces disponibles. Sur les tables de camping, la musique des yéyés s’échappe des transistors et j’ai mal aux oreilles…
Dans le paysage musical des années soixante, les yéyés sont une énigme dont on n’a pas de quoi être fier. Alors que les Who, les Beatles et les Rolling stones électrisaient l’Angleterre, alors qu’aux États-Unis, les Jefferson airplanes créaient le rock psychédélique, Jimmy Hendrix réinventait le son de guitare et Bob Dylan revisitait l’autoroute 61, en France, Richard Anthony, Sheila et Frank Alamo enchaînaient les reprises mièvres, en fffrrrrrrrrançais dans le texte et dans la musique.
À la même époque, Brel qui avait oublié d’être yéyé lui, évoquait ces gens là « Qu’aimerait bien avoir l’air, mais qu’a pas l’air du tout ». C’est ça, les yéyés.
Après un an et demi dans le silence des forêts, avec la nature pour seule bande son, je n’en reviens pas de me retrouver au cœur du pire de la civilisation de la bagnole.
« Salut les copains !… J’me casse !»
La vie en collectivité
Au camping, quasi-complet, les commentaires du match de foot résonnent à un dégagement de ma tente. Thiers est en train d’écraser Lapalisse pour ce cinquième tour de la coupe de France. Seul rayon de soleil dans ce fiasco général : le stand saucisses-frite où je me réconcilie avec les coupes de cheveux du public de footeux.
Foot, foule, bagnoles… C’est le trio perdant de cette journée de la loose. Je m’endors bercé par les rires gras des supporters bourrés.
Je me lève dans un froid humide. Dehors, brouillard et bruits de moteurs. Le fortune cookie du jour dit :
« On n’attrape pas un vieux singe au lacet. »
Un couple de retraités s’engueule parce que les toilettes sont bouchées. L’affaire s’ébruite, on tient conseil sur le gravier. Les uns se plaignent de la coupure de courant de la veille, les autres passent outre l’interdiction et vidangent dans les égoûts…
Je ne sais pas trop ce que je fais là. Depuis que je voyage à vélo, le voyage a changé. À suivre les routes qui mènent aux villes, il s’est un peu civilisé. Trop ? Je ne me sens pas complètement prêt à retourner à la vie en collectivité… En tout cas, pas celle-là.
Vichy, le petit Neuilly
Changement de décor à Vichy. Hôtels particuliers, bourgeoises à chiens, salons de thés… La ville thermale a des faux airs de Neuilly-sur-Seine. Vêtements sombres, coupes classiques, rayban, foulards tête de mort. Chez les bourgeois, c’est la révolte bon-chic-bon-genre ! Sous l’allée de marronniers du parc des Sources, les passants endimanchés dans la lumière dorée créent des tableaux à la Sempé.
C’est mignon ce petit Paris mais ça ne m’intéresse pas. J’ai un contact à Moulins. Je file en train chez Pauline qui m‘accueille à la bonne franquette. Moulins disparaît dans la nuit.
Je ne sais pas trop ce que je fais là. Depuis que je voyage à vélo, le voyage a changé. À suivre les routes qui mènent aux villes, il s’est un peu civilisé. Trop ? Je ne me sens pas complètement prêt à retourner à la vie en collectivité… En tout cas, pas celle-là.
Moulins, chez les Bourbons
Je découvre la ville au petit jour dans la lumière grise d’automne. Place d’Allier, les terrasses sont désertes. Quelques fumeurs se réchauffent à la flamme d’un briquet, disparaissent dans un nuage de fumée, la tête rentrée dans le col de leur parka.
Au bar du bourbonnais, au coin des halles, on vend du bourru, le jus de raisin directement tiré du tonneau. Les vendanges viennent de se terminer. Une odeur de térébenthine émane de la cathédrale Notre-Dame. À la maison Anne de Beaujeu, ce sont les essences d’arbres qui retiennent mon attention.
Moulins, ville des Bourbons, est une cité historique mais c’est la nature qui capte mon attention bien plus que les vieilles pierres. Je rejoins les berges de l’Allier sous un ciel nostalgique. Probablement le dernier fleuve que je traverserai.
Le fortune cookie du jour dit :
« Un événement insolite attirera votre attention. »
De retour chez Pauline, j’entends parler de ce lieu tout neuf, délaissé pendant des années et désormais entièrement dédié au street-art. Street-art city. Du street-art en plein milieu de la campagne ? Après le rendez-vous manqué de Lapalisse, je crois que je tiens mon deuxième portrait d’Allier ! Ce sera le dernier de ce voyage.
Commentaires
J’aime bien le vin bourru, mais sauf peut-être si l’on connaît des viticulteurs à Saint-Pourçain on peut en boire qui vient d’ici. Les rares bistrotiers qui en vendent, l’achètent à des producteurs du Val de Loire !
Et c’est un peu dommage de ne pas avoir eu de guide pour l’électrodrome de Magnet, car moi j’en ai trouvé la visite passionnante. Je crois que ça tenait à l’enthousiasme des gens de l’association qui étaient venus ce jour-là : c’est contagieux.
A vélo : relire « un idiot à Paris », les « vieux de la vieille », « et la « soupe au chou » et passer par Jaligny sur les pas de René Fallet. A Thionne, ne pas rater les maisons à pan de bois (j’avais un article sur mon blog, je recherche les références. Et au château voisin, il y a dans le parc des sculptures d’un artiste suisse tout à fait étonnantes.