On veut de lâauthentique et lâon consomme le voyage comme un produit. De lâexotisme, oui, mais jamais sans ma bouteille dâEvian. Ok pour lâaventure tant que lâitinĂ©raire est flĂ©chĂ©. Mais quâarriverait-il vraiÂment si vous vous perdiez en voyage ?
Rien. Il ne se passeÂrait rien. Du moins rien de grave. LâimprĂ©vu. Dâautres chemins possibles.
Mille maniĂšres de faire un voyage
A mon retour de tour du monde, jâavais trouvĂ© mon grand pĂšre devant la carte des voyages quâil avait rĂ©alisĂ©s depuis son dĂ©part en retraite. Grand voyaÂgeur malgrĂ© lui, ma grand-mĂšre lâavait traĂźnĂ© chaque annĂ©e dans un pays diffĂ©Ârent. ArgenÂtine, Canada, Australie⊠Des tas de petites Ă©pingles coloÂrĂ©es parseÂmaient la carte du monde affiÂchĂ©e au mur. Au stylo, il avait aussi tracĂ© lâitinĂ©raire que jâavais suivi.
Il Ă©tait fier. Moi aussi.
Nous avions certains pays en commun et il Ă©voquait ses souveÂnirs les plus marquants lâoeil pĂ©tillant : les crĂ©maÂtions au bord du Gange Ă BĂ©narĂšs, les mosquĂ©es bleues dâIspahan, lâarmĂ©e de terre cuite de Xi an. Il en Ă©tait encore Ă©merveillĂ©.
Same same but different
De tout ça, je nâavais rien vu. Moi, jâavais dormi dans des kiosques Ă musique au Mexique, croisĂ© des trouÂpeaux de moutons dans les Monts Elbourz, pestĂ© contre le vent de la Mongolie intĂ©Ârieure. âMais tu as tout rĂątĂ© !â finit-il par sâexclamer dans un demi-sourire, quand mĂȘme un peu déçu quâon ne compte pas quelques expĂ©Âriences communes.
De son point de vue, câĂ©tait vrai. Je nâavais pas âfaitâ les immanÂquables de chaque pays. Jâignorais mĂȘme parfois jusquâĂ leur exisÂtence. Lors de mon voyage, jâavais suivi la route sans attentes, allant au devant des emmerdes Ă©vĂ©neÂments. Jâavais vĂ©cu des expĂ©Âriences, croisĂ© des personÂnages, embrassĂ© le tout venant. Ma vision de terrain Ă©tait tout aussi rĂ©elle que les vieilles pierres et les monuÂments que jâavais ratĂ©s. Mais radiÂcaÂleÂment diffĂ©rente.
LâalĂ©a, carburant du voyage
Les circuits orgaÂnisĂ©s ont un ennemi jurĂ© : lâalĂ©a. Cet alĂ©a, câest aussi le propre du voyage. Câest mĂȘme son carbuÂrant, lâobstacle Ă franÂchir qui crĂ©e la surprise, le prĂ©texte qui dĂ©route. On demande son chemin et on se retrouve Ă partager le repas dâune famille indienne au fin fond du Chiapas. Une crevaison dans le dĂ©sert du Sahara se transÂforme en un sĂ©jour de luxe chez un milliarÂdaire mauriÂtaÂnien. Au Vietnam, un bivouac Ă deux pas de lâĂ©glise et vous voilĂ les hĂŽtes du prĂȘtre, parlant par dessins et par gestes autour de petits verres dâalcool.
Tous ces imprĂ©vus font dâun voyage une succesÂsion de moments pleins de promesses. Ils sont lâĂ©toffe de mes plus beaux souveÂnirs. Voyager Ă tĂątons donne confiance en la vie. Tout paraĂźt possible et au final, pas si grave. Si toutes mes expĂ©Âriences nâont pas Ă©tĂ© bonnes, je nâai jamais regrettĂ© de donner sa chance au hasard. CâĂ©tait la seule maniĂšre de faire mon propre voyage.
Ă lire aussi : Faire le tour du monde : mes raisons de partir
Voyages rentables et voyageurs pressés
âFaire un tour du monde, câest un truc de gringoâ me disait un vieux boliÂvien incrĂ©Âdule face Ă nos vĂ©los. Je me souviens moi aussi avoir regardĂ© dâun oeil amusĂ© les voyaÂgeurs pressĂ©s, ceux pour qui lâexpression âcourir le mondeâ a du ĂȘtre inventĂ©e, qui veulent tout voir â tout sauf des touristes â tambour battant pour rentaÂbiÂliser leur billet tour du monde et quelques mois de parenÂthĂšse profesÂsionÂnelle. Sans mĂȘme sâen rendre compte, ils voyagent comme ils travaillent : en pensant rentaÂbiÂlitĂ©, effiÂcaÂcitĂ©, optiÂmiÂsaÂtion. Moi, je pouvais faire mon snob, je nâavais pas de date retourâŠ
Ă mon grand-pĂšre, devant la mappeÂmonde, pour dĂ©fendre ma maniĂšre de voyager si Ă©loiÂgnĂ©e de la sienne, jâaurais pu dire queâŠ
ânous sommes quelques uns Ă ĂȘtre nĂ©s en partance. DĂ©jĂ dĂ©sarÂrimĂ©s. DĂ©jĂ dĂ©liÂvrĂ©s des racines et des codes. DĂ©jĂ nourris du seul lait des nuages.
Quelques uns Ă filer joyeuÂseÂment par tous les terrains vagues. A dĂ©valer. A dĂ©ferler. A inventer autant de royaumes quâil est dâĂ©toile au ciel pour le plaisir souveÂrain de les dilapider.â
Sauf que lui balancer Ă la figure comme ça, de but en blanc, quelques strophes dâAndrĂ© Velter, ça nâaurait pas trouvĂ© sa place dans le rĂ©el. Je me suis contentĂ© dâun truc du style : âJe crois que le rĂŽti est cuitâ. NâempĂȘcheâŠ
âIl nâest dâempire quâentre nos mains. Il nâest de conquĂȘte quâici et mainÂteÂnant. Avec surcroĂźt de panache. ferveur. InsouÂciance. Energie fĂ©roce Ă la clĂ©.â
Commentaires
Bonjour,
Bien dâacÂcord avec toi. Il y a plusieurs façons de voyager et de voir les choses. JâaiÂmeÂrais bien aussi laisser plus de place au hasard, mais souvent câest le temps qui manque. TrĂšs beau texte !
Merci Mario đ Tu as raison, le temps est la clĂ© ! Câest ça le vrai luxeâŠ
On essayait de me dire il y a peu que « hors des sentiers battus », ça nâexisÂtait plus. LâexÂpresÂsion a perdu un peu de son sens, car elle est souvent employĂ©e Ă tort et Ă travers pour dĂ©crire des sentiers trĂšs battus, mais me voilĂ rassurĂ©, ça existe encore ⊠ouf đ
Un texte comme toujours trÚs inspiré en tout cas.
Salut Laurent !
Câest vrai que beauÂcoup dâexÂpresÂsions sont trĂšs galvauÂdĂ©es⊠LâinÂdusÂtrie du voyage est la premiĂšre Ă user Ă tort et Ă travers de ces mots clĂ©s qui dĂ©clenchent en nous tout un imagiÂnaire : exotiques, authenÂtiques, durables, insoÂlites⊠On voudrait nous faire prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Il suffit de lire lâinÂtiÂtulĂ© de mon blog đ Ou de regarder « rendez-vous en terre inconnue ». On aime se raconter des histoires.
Je crois fermeÂment quâen suivant son propre chemin, on est certain de ne pas tomber dans le syndrome du sentier battu. Et que moins on se renseigne sur un pays, plus on a de chance de ne faire non pas le voyage convenu, flĂ©chĂ©, mais son propre voyage. Ensuite tout dĂ©pend des attentes de chacun.
La fin des sentiers battus ? Quel cynisme de dire des trucs pareils. Et quel manque de curioÂsité⊠Les sentiers battus, ils sont surtout dans la tĂȘte des gens, non ?
Merci pour lâinsiration đ
TrĂšs bel article