Pour les amateurs de paysages et les amoureux de la biodiversité, le parc national de forêts est un paradis. Ses 240 000 hectares entre Champagne et Bourgogne préservent les forêts feuillues et leurs écosystèmes… Des gorges de la Vingeanne à la vallée de l’Aujon, la traversée du parc s’avère éminemment nature.
Arc-en-Barrois, Haute-Marne, France
Langres, porte d’entrée du parc national de forêts
Aux portes de Langres, le parc national des forêts est la deuxième étape de mon road trip en Champagne. Mon vélo désormais réparé va pouvoir reprendre du service.
Depuis les remparts, la rue de la fonte aux fées descend vers la voie verte, poursuit sa course le long de l’ancienne voie de chemin de fer, traverse Saint-Geosmes et s’immisce progressivement dans un entrelac de champs et de forêts .
Ma destination : les gorges de la Vingeanne où je souhaite bivouaquer pour la nuit.
Le parc national de forêts
Le Parc national de forêts est le dernier né des parcs nationaux. Crée en 2019, il s’étend sur 2410 km2 et protège les massifs forestiers de Châtillon, d’Arc-en-Barrois et d’Auberive dont la diversité d’essences d’arbres par hectare est l’une des plus importantes de France. 1000 km de sentiers VTT et 2 000 kilomètres de sentiers de randonnée le sillonnent en tout sens. En son cœur, la zone de « réserve intégrale » encadre les activités humaines comme le ramassage des champignons, le bivouac ou la chasse dans le soucis de préserver des patrimoines naturel, culturel et paysager exceptionnels. Il accueillera prochainement le centre européen de la recherche forestière.
Il assure par ailleurs le développement économique, social et culturel de son territoire. La marque « esprit Parc National » distingue les producteurs et prestataires qui permettent de découvrir son territoire tout en valorisant et en préservant ses ressources.
www : forets-parcnational.fr
Les gorges de la Vingeanne
De combe en combe, je prends contact avec le relief plissé et creusé du plateau de Langres, usant mes mollets à descendre puis remonter les versants d’une même vallée. Je fais halte à la ferme des trois tilleuls pour assouvir ma soif. Michel qui savoure une bière dans son jardin n’a pas l’eau courante, mais va me chercher dans son stock une bouteille d’eau minérale. « On n’est pas des bêtes ! »
Quand je lui indique ma destination, son sang ne fait qu’un tour. Il appelle le Didier. En deux minutes, l’affaire est entendue. J’aurai tout loisir de planter la tente au bord de l’étang situé juste à l’entrée du sentier qui mène aux gorges et d’y passer la nuit. Il lui appartient.
La découverte des gorges de la Vingeanne se fait le lendemain, aux premières lueurs. Dans la fraîcheur, à l’ombre du feuillage, dans une odeur entêtante d’ail des ours, je suis le filet d’eau qui serpente dans son lit. Un chevreuil pris au dépourvu illumine la balade. En quelques bonds, il remonte la pente du vallon pour se mettre hors d’atteinte.
Le sentier ombragé s’ouvre et la végétation laisse bientôt place à des falaises où l’eau en cascade s’est taillé un passage sinueux. Je suis au pied de la zone-cœur du parc national de forêt.
Les gorges de la Vingeanne
Cet étroit canyon ancré sur les bords du plateau offre une balade à pied d’une heure aussi facile qu’agréable à la découverte d’une faune et d’une flore typiques. Au départ de la Combe Royer, un parcours balisé vous emmène à travers la forêt en direction des gorges et de leurs spectaculaires falaises enchassées dans la végétation et le relief du plateau. Plus court, un autre sentier balisé part à proximité du pont de l’autoroute et mène directement aux gorges. Une combe parallèle offre accès à la source de la Vingeanne et permet de prolonger la promenade.
www : Carte d’accés aux gorges
Le dilemme du slow travel
Aujeurre, Vaillant, Mouilleron, Villemervry… De combes en combes, les montées et les descentes s’enchaînent et s’annulent mais puisent dans mes ressources celles nécessaires pour faire avancer mon vélo lesté de ses sacoches et de son conducteur.
Je commence déjà à me dire que j’ai peut-être un peu « chargé la mule », pris entre le rythme imposé par les rendez-vous et l’envie de musarder… Avec le vélo, je cours après le temps. Sans le vélo, le déplacement ne fait plus partie du voyage. C’est la contradictoire du slow travel organisé au cordeau.
Sur le plateau de Langres, le ciel bleu sombre illumine par contraste le vert des arbres et des prairies. J’arrive à l’herberie de la Tille juste avant l’averse. On est à 300 mètres de la frontière avec la Bourgogne ! Il était temps de s’arrêter ! Elsa prépare une tisane – sariette, tonique et digestive – et nous regardons tomber la pluie derrière la fenêtre de sa petite maison en aspirant des gorgées brûlantes. De petites cerises s’échappent d’un sac en papier. Les deux chiens Meika et tipop sont venus s’allonger dans un coin. Ici, on n’oublie pas de prendre le temps de vivre.
L’Herberie de La Tille
Elsa connaît bien le charme et les contraintes de l’itinérance. En 2018, elle a réalisé un voyage en autonomie avec son cheval et sa mule. L’autonomie, c’est son fil directeur aujourd’hui encore. La maison est alimentée par l’eau de la source. Pas plus de réseau électrique. Seulement de quoi charger le téléphone et l’ordi. Pas de frigo, chauffage bois… Il manque quand même une machine à laver mais la tante au village y pourvoit.
« Quand je suis arrivée ici, on a fait la visite et puis je me suis dit c’est pour moi, c’est sûr. Et ça s’est fait comme ça, mais alors tout de bout. »
Ça fait 2 ans déjà.
« Au départ, j’avais construit le projet autour de l’hébergement insolite. Je revenais de mon voyage et j’avais envie de rendre l’accueil qu’on m’avait donné, envie de continuer à être dans le contact humain mais avec un côté insolite parce que ça attire une certaine clientèle qui me correspond plus, un peu plus rustique et qui est au contact avec la nature. Ça m’a permis d’imaginer aussi des animations avec mon cheval et ma mule, des rando bivouacs… Ça a démarré comme ça. »
Les anciens propriétaires la forme sur l’exploitation. Titulaire d’un BTS agricole, gestion et protection de la nature, elle s’installe comme agricultrice et attaque les saisons.
« Et après, je continue d’apprendre par les bouquins, sur le tas… »
Dehors, la pluie s’est arrêté et le soleil perce à nouveau. On part visiter le jardin.
Un jardin vivant
« Donc le jardin est vivant. Tant que ça me gêne pas pour les cueillettes, pour moi je dis qu’il est fonctionnel. »
Il y a des couleuvres, des lézards verts, des grenouilles au large, un bassin qui est un peu l’oasis des lieux. Des lignes de camomille, des menthes vertes, poivrées, bergamotte, l’odeur citronnée de la mélisse, de l’estragon, du thym, de la sariette, de la sauge… Et au milieu, quelques orchidées, le « label qualité » qui récompense les efforts.
« Tout est pensé pour les tisanes. Souvent les gens ils ne viennent pas chercher une infusion, ils viennent parce qu’ils ont mal quelque part. Mal à digérer, troubles du sommeil, stress… C’est pas pour le goût. Dans 90% des cas, ils me demandent des conseils. »
Sauf que Elsa est paysanne cueilleuse. En tant qu’agricultrice, il y a une liste de plantes officielles qu’elle ne peut vendre. Pas plus qu’elle n’a le droit d’afficher les propriétés de ses plantes sur les sachets. Chasse gardée des pharmaciens.
« Ça ne m’empêche pas de donner des conseils oralement. »
Des hébergements insolites
Au-delà du jardin, une roulotte et un tipi offrent un cadre nature et une jolie vue sur l’ensemble de la vallée.
« Officiellement, je suis plus herberie mais si je n’avais pas les hébergements, je ne pourrais pas gagner ma vie ou alors il faudrait faire de l’agriculture intensive et ce n’est pas dans mon état d’esprit.
En fait c‘est un tout : les gens viennent parce qu’il y a une herberie, les plantes, une histoire, mon activité à découvrir… Il n’y aurait que les hébergements, il y aurait le cadre qui serait chouette mais il manquerait quelque chose. »
La vie rêvée
Un cheval, des chiens, un voyage en autonomie…
« Quand je regarde la liste de tous mes rêves de gamins, je peux tout cocher. Vivre sur un site un peu autonome, isolé, avec une jolie vue, un joli paysage, vivre aussi d’un point de vue professionnel sur mon lieu de vie, ne pas faire du boulot-dodo-trajet… Et puis être en contact pas mal avec les gens… En hiver, je fais le plein de solitude et en été, je fais le plein de relations sociales. À chaque fin de saison, j’ai hâte de passer à la suivante donc c’est bien. »
Pourvu que ça dure !
Herberie de la Tille
Dans ce jardin labellisé Esprit Parc National, Elsa produit des plantes aromatiques et médicinales. Elle vous fera visiter ses 3 000 m² de jardin (sur réservation) à la belle saison. La visite dure entre 1h et 2h et se termine par la dégustation d’une infusion (également possible sans visite). Le lieu, totalement autonome en énergie (solaire) et en eau (source), se prête aussi à des ateliers sur l’autonomie énergétique et l’écoconsommation.
Adresse : Rue des quatre noyers, 52160 Vals des Tilles
Tel : 06 13 84 44 54
Mel : elsa.herberiedelatille@gmail.com
Www : herberiedelatille.com
Auberive
Je reprends la route qui tire vers le nord lesté de deux sachets d’infusion et d’une belle salade du jardin. Direction Saint-Loup-sur-Aujon où je passerai la nuit à la maison de Courcelles.
Sur mon itinéraire, il y a Auberive et son centre d’initiation à la nature qui m’avait réservé lors de ma traversée de la France une nuit mémorable et une rencontre inoubliable.
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Mais j’ai aussi une destination à rejoindre et des muscles à nourrir… La quarantaine de kilomètres et les deux vallées de l’Aube et de l’Aujon à franchir m’imposent des choix. En arrivant à Auberive, c’est l’estomac qui parle. J’ai en mémoire un repas goûteux et un accueil charmant à l’auberge de l’abbatiale, juste à côté de l’abbaye. Malgré l’heure tardive, je tente ma chance avec d’autant plus d’espoir que deux vélos stationnent devant l’entrée de l’établissement.
On m’installe dans la grande salle médiévale où je déjeune d’une généreuse assiette de fromages, d’une tarte tatin et d’un verre de chardonnay qui font mon bonheur.
Auberge de l’abbatiale
Retour au Moyen-âge avec ce restaurant installé dans une ancienne abbatiale classée monument historique et décorée dans l’esprit de l’époque. Le menu vous propose des mets traditionnels élaborés avec des produits frais de saison : terrine de lapin, jambon braisé en sauce, tarte aux pommes… Pour sa cuisine simple et savoureuse, l’établissement compte parmi les membres du collège culinaire de France. C’est aussi un hôtel où l’on peut passer la nuit en compagnie des fantômes de la maison.
Adresse : 3 rue de l’Abbatiale, 52160 Auberive
Tel : 03 25 84 33 66
Mel : auberge-abbatiale@club-internet.fr
Www : aubergeabbatiale.fr
La maison de Courcelles
Sur la route qui redescend vers Saint-Loup-sur-Aujon, je croise une colonne de gamins en bottes couverts de boue. Je ne dois plus être loin de la maison de Courcelles. Effectivement, je retrouve une flopée de bottes à l’entrée d’une des salles de l’imposant bâtiment.
Dans une cour extérieure, une scène de planches est dressée et un duo d’acrobates se prépare pour une séance de travail. Des enfants gambadent un peu partout sur la grande pelouse où paissent quelques brebis. Côté cour, la table est dressée et les cuisiniers mettent la main à la pate. Au menu ce soir, pizza. Les enfants vont être contents.
Mélanie, la directrice, m’invite à partager un verre.
« Moi, je suis le premier contact des instit’ à la maison de Courcelles. Quand ils me disent « Voilà ce qu’on aimerait bien faire », parfois ils ont des idées floues mais je vois à peu près ce qui les amène. Et du coup j’essaye de leur proposer de travailler avec des intervenants dont je pense que la sensibilité va correspondre. »
Justement, les encadrants reviennent petit à petit de leurs activités.
« On m’a fait visiter l’île de cradolantha, à 3 km, dans les marais là-bas…
- Balade cradoc
- … et je suis HS.
- C’est parce que les pieds sont restés collés !
- Eh ben c’est pas ça mais ces fameuses sorcières, là, dans la vase, on a beau leur mettre un bon coup de talon, et ben non non ! Ça suffit pas, elles nous arrachent les bottes ! Et après la pause, on rencontre des trolls…
- Vous étiez pas mal au retour de la rando crado !
- … Très belle expérience.
Pédagogie alternative
À la maison de Courcelles, on pratique une pédagogie de la liberté. Quatre espaces sont proposés aux enfants : l’espace cirque dans la chapelle, l’espace trappeur, construction de cabanes, jardinage, etc… L’espace ludothèque, très bien fourni, qui propose des jeux de société, des jeux d’imitation et des jeux de construction… Et l’espace bricolage, où les gamins peuvent fabriquer ce qu’ils souhaitent à l’aide d’une machine à bois et des pistolets à colle… Ça peut être un tout petit projet comme ça peut être une fabrication qui leur prend plusieurs jours d’affilée.
Parmi ces 4 espaces permanents qui sont proposés, les enfants peuvent naviguer comme ils veulent.
Ils peuvent également proposer eux-même des sorties ou des activités : dormir à la belle étoile, manger des pizzas dans les chambres… au gré de leurs envies et sans aucun moment collectif imposé.
« C’est jamais tout le monde à 10h tir à l’arc. C’est vraiment en fonction de leurs envies et de leur rythme. Donc les premiers levés sont accueillis pour un petit-déjeuner et les derniers levés sont accueillis également… A leur rythme, à l’heure à laquelle ils vont se lever. Et le repas, c’est pareil, à partir de 12h et jusqu’à 13h30, ils peuvent venir manger quand ils le souhaitent s’ils ont faim et quand ça tombe bien dans leur activité. »
Pour moi, cela sonne comme la colo de rêve. Y a‑t-il des jeunes qui ne veulent pas revenir ?
« Je pense que pour certains, c’est une super expérience et pour d’autres, c’est tellement décalé de notre système actuel très cadré, individualiste… Ici on sort des codes, c’est moins rassurant, c’est toi-même qui dois prendre tes décisions, ton emploi du temps en main, du coup c’est vite… »
Des chants interrompent la discussion. Deux enfants fêtent leur anniversaire et les deux classes entonnent en cœur « joyeux anniversaire » suivi de la version en anglais. On retourne les assiettes pour se servir en gâteau.
Classes vertes et activités de pleine nature
Le guide sur lequel j’ai travaillé et où figure la maison de Courcelles passe de main en main.
« Ça n’a pas dû être facile ! Parce que ce ne sont pas des destinations très touristiques…
- Et pas très écolo non plus !
- Après c’est aussi la demande qui crée l’offre touristique écolo. Peut-être que le parc national de forêts va apporter ça, et aussi de la visibilité sur cette région-là parce qu’il n’y en a aucune. Personne ne connaît la Haute-Marne ! Quand tu dis « Langres » les gens pensent que tu as dit « Londres »… Ou alors ils confondent la Haute-Marne et la Seine-et-Marne. En fait c’est vraiment le département qui n’a pas une identité très forte non plus… Ah si ! Les gens qui regardent un peu la météo, ils disent « Ah oui ! Le point bleu sur la carte ! » parce que bon Langres est connue pour être le coin le plus froid de France alors… La Haute-Marne, elle a ce côté confit, qui baigne dans le même jus d’il y a 50 ans.
- Ça change très très vite objecte un des intervenants
- Très très dernièrement rétorque un second. »
Mélanie reprend le fil…
En tout cas, il y a vraiment urgence parce que là, nos gamins – et même les Haut-Marnais – ils sont bien déconnectés du vivant, de l’extérieur et de la matière en fait.
- C’est pas bien déconnecté, c’est complètement déconnectés ! C’est même plus la peine en fait. Moi je suis effaré. Ma génération, on a grandi dans les ruisseaux, on y a tout appris, c’était la base. On a tout perdu, comme on a perdu en bio-diversité. C’est énorme ! C’est d’utilité publique de remettre les gamins dans la boue, dans la flotte… On fait des balades nocturnes, on les emmène le soir en pleine nuit noire dans la forêt. Ils sont confrontés aux peurs, tout seul dans la forêt, tu vois 3–4 étoiles filantes, un renard, tu entends des chouettes… et bien là, il y a 100% des enfants qui n’avaient jamais fait ça. »
Je repense à ma nuit dans le nid d’Amorey, à l’émerveillement que j’avais ressenti… Moi non plus je n’avais jamais vécu ça…
Maison de Courcelles
Depuis 40 ans, l’association organise vacances et week-ends des classes de découvertes, des colonies de vacances et des stages de formation à l’animation. Ils appliquent une pédagogie de la liberté qui met l’enfant au cœur de la vie de la maison. Cirque, arts plastiques, communication non violente, activités de pleine nature, les nombreuses thématiques lui permettent de devenir acteur de sa propre vie et d’être reconnu comme une personne capable et compétente.
Adresse : 7 rue Pierre Devignon, 52210 Courcelles/Aujon
Tel : 03 25 84 41 61
Mel : contact@maisondecourcelles.fr
Www : maisondecourcelles.fr
Commentaires
Cela fait bien longtemps que je suis tes pérégrinations et au récit que je viens de lire tes motivations n’ont pas changées,continus dans ce sens et mon admiration suivra.
Salut et bonne route.…..!
Merci beaucoup Jean ! Je me pose toujours des questions sur ce que mes lecteurs attendent de mes histoires et je suis toujours sensible à leurs commentaires. Le tien me réconforte. Merci !