Plus de cent cinquante mètres au dessous du niveau de la mer, Turpan est une oasis de vignes et de treilles. En plein milieu du désert, cet îlot de fraîcheur, ancien caravansérail sur la route de la soie, invite à la paresse. Ça tombe bien…
Mettez-vous dans l’ambiance
Dormir, manger, et surtout, surtout, ne rien faire. En tant que survivant d’une tentative de traversée de la Chine à vélo, je m’octroie à Turpan un repos bien mérité.
Nouilles Sichuan style brûlantes, yaourts tout droit sortis du frigo, salades de fruits frais… La terrasse du John’s Café est un paradis pour sportif à la retraite. J’y coule des jours heureux, limitant mes efforts à décaler ma chaise quand le soleil se fait trop mordant. Avec une température avoisinant les quarante degrés, entreprendre quoique ce soit de constructif avant six heure du soir n’est tout bonnement pas crédible. Ecrasé de chaleur, je prends peu à peu conscience des quelques milliers de kilomètres qui me séparent de Pékin.
Une oasis sur la route de la soie
Le John’s Cafe était une institution à Turpan. Un endroit agréable, abrité du soleil, où l’on pouvait savourer les meilleurs petits déjeuners de la ville, partager une boisson fraîche avec les backpackers du moment ou rêver au temps des caravanes, lorsque la ville était encore une oasis sur l’itinéraire de la route de la soie. Leur site internet a fermé, je ne sais pas si l’adresse est toujours valide. Si elle l’est, envoyez-moi un petit message !
Adresse : 1695 Qingnian Nanlu, Turpan, à l’intérieur de l’hôtel Turpan
Turpan, une ville ouïghoure aux portes de l’Asie centrale
Inutile de courir après les mosquées, les grottes ou les ruines de je ne sais quelle cité antique, le spectacle est là, sous mes yeux. Turpan est une ville ouïghoure et si il y a des Chinois qui n’ont de chinois que les papiers, ce sont les Ouïghours (avec les Tibétains). Musulmans parlant une langue proche du turc, dont ils sont les lointains aïeux, leur culture a su résister aux invasions chinoises et conserver ses spécificités (jusque quand ?). En arrivant en terre ouïghoure, le voyageur est géographiquement parlant en Chine, mais pressent les premiers accents d’Asie centrale.
A six heure du soir donc, direction le marché de nuit. Un crochet par le bazar, l’un des plus typiques de la province du Xinjiang, permet d’acheter un âne pour trois cents yuans et un chien pour cinq mille yuans.
Dans la fraîcheur du marché de nuit de Turpan
Attablé devant mes brochettes de mouton, je me régale du spectacle de la rue. La chaleur retombe et tout le monde est dehors. De ma chaise, je regarde vivre ce petit microcosme. Les hommes, le ventre bien rond, plutôt corpulents, petit chapeau aux motifs géométriques leur couvrant le crâne, parfois moustachus, viennent prendre place à l’un des nombreux café-restaurant en plein air. Attablés autour de quelques bières, on parle business. Les sourcils se froncent, on monte le ton en appuyant les propos de grands gestes de la main ; on se caresse la barbe, le regard pensif en écoutant l’avis des conseillers placés à ses côtés ; et puis finalement l’affaire se fait et on recommande une tournée pour fêter ça.
Un désert sous le niveau de la mer
La dépression de Turpan compte parmi les endroits les plus bas de la planète. ‑154 mètres sous le niveau de la mer ! Les fleuves s’y enlisent, les vents y soufflent sans relâche, les températures y sont extrêmes. À l’est de Turpan, on enregistre les températures les plus chaudes de Chine (48°C) aux Monts flamboyants, dont les roches rouges ravinées disparaissent derrière des brumes de chaleur.
Scènes de la vie quotidienne
Plus loin, un peu à l’écart, cinq hommes aux pommettes saillantes conspirent dans leur coin. Les deux du milieu se parlent à l’oreille la main devant la bouche ; les trois autres, aux aguets, lancent des regards furtifs dans toutes les directions. Un vieillard fait le tour des tables, un singe enchaîné au poignet, et ramasse çà et là quelques centimes contre une démonstration des prouesses de son « protégé », qui s’accroche comme il peut à la chaîne qui l’étrangle.
Légèrement à l’écart, une poupée haute comme trois pommes profite de la diversion. A pas de loups, elle s’approche, ramasse les deux bouteilles de bière vides posées au pied des chaises, et toutes couettes dehors, court rejoindre son grand frère, quatre ans tout au plus, qui ajoute avec application cette belle prise au butin qu’il transporte dans un sac plastic, et qu’il échangera contre quelques Yuans.
La vallée des raisins
Le raisin de Turpan est connu de longue date. Il poussait déjà sous les Hans (206 av. JC) grâce à un système d’irrigation ingénieux, les Karez. Cette “grande muraille souterraine” courait sur plus de 5000 km, draînant les eaux des montagnes environnantes à travers les étendues désertes du désert du Taklamakan. Séchés dans des greniers très aérés, les raisins gagnaient en sucre et en goût. Ils sont encore très appréciés partout en Chine.
Le fantasme des caravansérails sur la route de la soie
Plus loin, sous la treille, d’autres gamins font de la trottinette. Une pour dix, c’est à chacun son tour de descendre puis de remonter l’allée, le sourire jusqu’aux oreilles ou l’air hyper concentré, en position de recherche de vitesse.
Bercé par les rires des enfants, je rêvasse en regardant passer les femmes ouighoures à la beauté farouche : yeux en amandes, sourcils très noirs, tâches de rousseur, foulard noué dans les cheveux, regard à la fois candide et fier. Je les imagine héritières d’intrépides marchands, je vois les interminables files de chameaux étirant leur ombre le long de la route de la soie, les caravansérails affairés où s’échangent richesses venues des quatre coins du monde…
Un bruit rauque, grave et tonitruant coupe court à ma rêverie. Une de ces créatures des mille et une nuit vient de roter plus fort qu’un Munichois à la fête de la bière, dans l’indifférence générale.
Me revoilà au XXIème siècle, dans un présent tout à fait prosaïque.