Balade à Berlin, 25 ans après la chute du mur

Le long du tracé du mur de Berlin, une fron­tière lumi­neuse symbo­lise la limite qui sépa­rait est et ouest. Qu’est devenue la ville, 25 ans après sa disparition ?

Le long du tracé du mur de Berlin, une fron­tière lumi­neuse symbo­lise la limite entre est et ouest. Qu’est devenue la ville, 25 ans après sa dispa­ri­tion ? Un vent de liberté souffle-t-il toujours sur la capi­tale auto­dé­clarée “pauvre et sexy” ?

Des travaux, des dévia­tions, des barrières dans tous les sens. Berlin s’apprête pour les festi­vités du 25ème anni­ver­saire de la chute du mur. La ville est en fête, et plus encore que d’habitude, en chan­tier. Les 8000 ballons lumi­neux qui marque­ront l’itinéraire du mur de Berlin désor­ga­nisent la circulation.

Pour une fois, je suis là où ça se passe. L’Europe a les yeux rivés sur Berlin. 2,5 millions de visi­teurs sont attendus pour le week-end. Les images du 9 novembre 1989 sont encore dans toutes les mémoires. Ça va groover dans les clubs de la capitale.

4 opinions sur les 25 ans de la chute du mur de Berlin

À l’auberge où je tran­site entre deux appart, je mène l’enquête. Quels sont les bons plans pour faire la fête ? Où se cache la soirée de l’année ? Les réponses sapent à la racine mon enthou­siasme naïf.

Chris­tina, la 50aine :

« La chute du mur, ça a été un an de liberté. Plus de police, personne pour nous inter­dire quoi que ce soit. C’était il y a 25 ans et c’était à ce moment là qu’il fallait être à Berlin. Moi j’y étais. Aujourd’hui, c’est trop tard. Si les visi­teurs croient qu’ils vont ressus­citer le passé…”

Denis, la 20aine :

« Les festi­vités ? Pour célé­brer leur soit-disant révo­lu­tion paci­fique ? Mais de quelle révo­lu­tion parle-t-on exac­te­ment ? Il n’y a même pas eu de nouvelle consti­tu­tion. On a été racheté par la RFA. Est-ce qu’on célèbre un rachat ?”

Linda, anglaise :

« Où faire la fête ? Pas la moindre idée. Ce week-end, Berlin va devenir invi­vable. Je pars à Salz­burg pour trois jours. »

Cameron, améri­cain :

« Quoi ? Il y a une céré­monie à Berlin ? »

Promenade lumineuse le long du mur

Marcher au pas d’un trou­peau de 2,5 millions de visi­teurs, très peu pour moi. Je me suis réservé la fin de la nuit pour suivre le tracé lumi­neux du mur. Je n’ai jamais été du matin. La nuit blanche s’impose. L’heure bleue et les premiers rayons du soleil m’assureront une lumière toute photogénique.

5h. Je me faufile entre les feuilles mortes, suivant l’itinéraire déjà emprunté par des centaines de milliers de pieds. Dans les parcs, un sillon terreux longe l’ancienne fron­tière. Je scrute de part et d’autre pour tenter d’apercevoir les croutes et les cica­trices que le mur a laissé. Quelques murs aveugles, des bâti­ments flam­bants neufs, des grues au repos. Dans les espaces vides en attente, les cris des corbeaux résonnent.

L’air est limpide. La boule-cockpit de la Fern­seh­turm scin­tille sous les premiers rayons du soleil. Le symbôle de la ville, aujourd’hui, c’est elle. Le mur n’est plus qu’un souvenir. Tout au plus, une attrac­tion touristique.

Révolution pacifique et guillotine géante

Sous la voûte de l’église de Galilée, Rigaers­trasse, il y a des artistes, vête­ments amples, cheve­lure en liberté, un pasteur et sa canne, chauve, des punks anglais, coupe années 30, des mili­tants de tous bords, cheveux bien rangés…

Je me demande un peu ce que je fous là. J’ai suivi l’invitation d’Uschi et de Sylvia, rencon­trées une heure aupa­ra­vant au pied de l’Oberbaumbrücke. En atten­dant que les ballons s’envolent, on a lié connais­sance. Et voilà.

Dans un coin de la salle, le violon­celle de métal a des faux airs de guillo­tine géante. Drôle de choix pour célé­brer l’anniversaire d’une « révo­lu­tion paci­fique » ! Un vieil homme aux sour­cils brous­sailleux, au visage angu­leux, courbé comme un archet s’approche. Jorge de Burgos, le biblio­thé­caire aveugle du Nom de la rose s’est réin­carné en violon­cel­liste juif berlino-new-yorkais. En rentrant dans l’église, je l’avais salué en pensant qu’il était là pour taxer des clopes ! C’est la tête d’affiche de la soirée. Bob Rutman.

« Le 9 novembre 1989, je donnais un concert à Berlin, dans une grande salle du côté du château sans-soucis, à côté de Postdam. Avec les événe­ments, personne n’est venu. Pas un audi­teur. Pour moi, cet épisode reste un assez mauvais souvenir. »

Prêtres, punks, activistes… L’improbable trio

On n’est pas telle­ment plus nombreux, ce soir, à avoir fait le dépla­ce­ment. Deux grosses poignées à bouder les stars de la scène alle­mande installée à la Brand­burger Tor, prêtes à faire trem­bler les dernières feuilles qui s’accrochent aux branches du Tiergarten.

Chacun raconte le Berlin est de l’avant 9 novembre 1989. L’ambiance lourde, dépres­sive, étouf­fante comme l’odeur du charbon. L’univers mono­chrome des tours mini­ma­listes. L’illégalité, devenue partie inté­grante du quoti­dien, pour survivre. Les yeux et les oreilles de la stasi omnisciente.

Mais surtout, les actes de résis­tance qui ont mené à la chute du mur. Le rôle de l’église dans le déve­lop­pe­ment de la contre-culture punk (!). Les premiers concerts orga­nisés à l’est en dépit de la censure et des inter­dic­tions. L’élan paci­fique des 500 000 mani­fes­tants de l’Alexanderplatz, le 4 novembre, récla­mant le retour à la démocratie.

Le combat ordinaire

Il n’y a pas de héros dans la salle, seule­ment quelques uns des innom­brables acteurs anonymes du chan­ge­ment. Une troupe à première vue inco­hé­rente qui s’est retrouvée unie dans la pour­suite d’un même objectif : le combat pour la liberté et contre l’oppression.

Cette assem­blée, pour moi, c’est le visage de Berlin. Des pièces de puzzle hété­ro­clites juxta­po­sées les unes aux autres qui réus­sissent pour­tant à créer une unité sympa­thique. Des indi­vi­dua­lités fortes mais pas into­lé­rantes. Et puis, aussi, un esprit liber­taire qui ne se laisse pas enfermer. Les murs de Berlin sont devenus les gale­ries à ciel ouvert des street artistes les plus renommés. Il flotte encore un parfum de laisser faire. Il y a encore de la place pour tous. Berlin, pauvre (encore ?) et sexy (toujours ?)

Jusque quand ? 25 ans après la chute du mur, le vent de liberté qui souf­flait sur la ville semble faiblir. Crois­sance, consom­ma­tion, spécu­la­tion, les règles du marché-monde s’imposent ici aussi. La ville est en voie de gentri­fi­ca­tion accé­lérée. Mais Berlin est une mauvaise élève, c’est pour ça que je l’aime bien.

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Commentaires

Tu parviens toujours à nous faire voir quelque chose de neuf et de décalé. Pas d’en­thou­siasme lyrique ni de commen­taires en toc chez toi. Tu déchantes avec humour et sincé­rité. La musique est parfaite ! Tout ce qu’il faut de réso­nances agaçantes et lancinantes…comme un train qui freine ou qui démarre. j’es­père que Uschi et Sylvia ont égayé la soirée !

Merci Bleue 🙂
Oui, c’est ça, c’est le bruit grin­çant du train de l’his­toire en marche…
Ça donne effec­ti­ve­ment une atmo­sphère assez sombre mais la soirée était tout sauf triste ! J’ai gardé contact et je vais revoir ces deux soixan­te­naires énergisantes 🙂
Des bises !

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