Le Causse noir, aux portes des Cévennes

Voyager à pied me semblait la seule manière valable de décou­vrir la France des campagnes. Mais aux portes des Cévennes, mon corps me parle une seconde fois.

Voyager à pied m’apparaissait comme la seule manière valable de décou­vrir à mon rythme la France des campagnes. Mais aux portes des Cévennes, du Causse noir au causse Méjean, le voyage prend une nouvelle tour­nure. Se rendre à l’évidence prend parfois du temps. Une fois de plus, c’est le corps qui parle…

En deux jours, on a perdu 20°C. Les nuits sont fraîches et je suis ravi de me blottir dans mon sac de couchage après les chaleurs acca­blantes des derniers jours. Joie aussi d’être sur le causse.

La roche affleure, des murets de pierre tracent des lignes claires entre l’herbe haute et le feuillage des chênes. Des kilo­mètres de haies, de portes et de piquets grillagés déli­mitent les parcelles. Toute la nature est orga­nisée, quadrillée, domes­ti­quée. J’avance entre les cloi­sons de ce laby­rinthe invi­sible jusqu’à l’église provi­den­tielle de Saint Sauveur du Larzac. Je referme les portes sur moi pour m’abriter du vent. Je connais main­te­nant le froid du plateau.

De l’autre côté de la vallée de la Dourbie, la lumière du soleil couchant rougit les roches. Le causse noir allume ses champs de paille sous un ciel tourmenté.

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La traversée du Causse noir

Je me réveille avec le notre père en tête. En descen­dant jusqu’au fond de la vallée, entre les pentes abruptes, je me sens plus encore coupé du monde. Depuis deux jours, je n’ai pas de réseau. Au milieu coule une rivière où je murmu­re­rais bien à l’oreille des truites : « J’AI FAIM » !

Depuis La-Roque-Sainte-Margue­rite, la route esca­lade la pente pour atteindre l’horizon plat du causse. Des formes pétri­fiées me toisent de part et d’autre. Par dessus les rochers, les nuages font la faran­dole et jouent avec le soleil. Lorsque les sapins virent au sombre, des pans entiers de la montagne dispa­raissent dans l’obscurité. Le causse devient noir.

J’arrive au pays de la pierre. Roque­saltes en est la porte, un trou que les éléments ont taillé dans la roche. Je passe une partie de l’après-midi à l’ombre des sculp­tures natu­relles, puis dans la fraî­cheur voûtée de la bergerie toute proche. Le savoir-faire des bâtis­seurs de pierre contraste avec l’art brut du chaos granitique.

Fin de partie dans les Cévennes - Carnet de voyage France
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Aux portes des Cévennes

À Saint-André de Vézine, des espa­gnols fêtent leur dernier jour en France autour d’un bon déjeuner. Il est cinq heures… C’est l’heure du gâteau aux noix arrosé d’alcool de fram­boise. Je repars avec des jambes et un cap un peu approxi­ma­tifs sous les derniers rayons du soleil.

J’arrive juste pour m’attabler devant les images des atten­tats de Nice. Le melon mesquin, le steak trop cuit et les légumes vapeurs finissent de m’achever ! Fina­le­ment, les soupes lyophi­li­sées et les nuits loin du monde, ce n’était pas si mal.

il fait déjà très chaud le lende­main matin lorsque je fran­chis la Jonte et gravis à marche forcée – pas de voiture sur cette route perdue – le versant sud du causse Méjean. Au dessus de ma tête, les vautours tour­noient, en attente d’une mort par déshy­dra­ta­tion. Les criquets lanci­nants chantent déjà mon oraison funèbre. Je fais halte à chaque ombre – elles sont rares – pour reprendre mon souffle et refroidir le moteur. Arrivé sur le causse, l’eau fraîche de la fontaine réin­suffle un peu de vie dans mes cellules bouillantes.

Le paradis à Saint-Pierre-des-tripiers

Six gîtes d’étapes et pas un commerce à Saint-Pierre-des-tripiers. Heureu­se­ment, mon pote Walter me retrouve pour le week-end. Il arrive avec dans ses sacoches de quoi me recons­ti­tuer : saucisson, côtes d’agneau, vin, bières fraîches (bières fraîches !!!), abri­cots, prunes. Ne manque plus que le lopin de terre qui accueillera nos tentes et le feu du bivouac.

Il est là, à l’ombre de vieux arbres frui­tiers, entre deux maisons de pierre. On fait sonner la cloche et Valé­rian appa­raît au portillon. Tous les week-end, il quitte ses vignes de Bouzygues pour venir ici. Il rejoin­drait volon­tiers les huit habi­tants qui vivent là à l’année s’il trou­vait du boulot. De sa terrasse, la vue est assez convain­cante. Après tout, “Millau n’est “qu’à” 45 minutes !”

Karine, sa femme, ensei­gnante, guette les postes elle aussi, sans trop d’espoir :

« Les profs qui arrivent ici ne veulent plus repartir ».

Pas plus que les étudiants. Malgré d’excellents résul­tats au niveau national, les enfants de Lozère ne pour­suivent pas toujours des études longues. Pour rester au pays, ils sont prêts à accepter des postes moins qualifiés.

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L’énergie de mai 68

Claude, le beau père, a eu plus d’audace, de folie ou de chance lorsqu’il est venu s’installer. C’était dans les années soixante dix et le village ne comp­tait alors qu’un seul habitant.

« Un berger, un marginal comme moi. On s’est tout de suite bien entendu. »

Il retape sa maison de pierres, fait « mille métiers, mille misères », devient prof d’Haïkido.

« C’était l’énergie de mai 68, il y avait un élan. »

lI se roule une clope. Ses poumons sifflent comme des freins à disques mais son regard est encore aiguisé.

Les arcs de Saint-Pierre

J’avais peur que Walter sures­time mon appétit de kilo­mètres. Les derniers jours (semaines ? mois ?…) de marche m’ont fatigué et j’ai vrai­ment besoin de reprendre des forces. Lui est venu passer un week-end au vert. Nous explo­rons les alentours.

Au départ du village, le GR6 redes­cend vers les falaises qui surplombent la vallée de la Jonte. Le chemin serpente entre les curio­sités géolo­giques. Grottes autre­fois habi­tées, trous dans la roche, chemi­nées pétri­fiées… Les arcs de Saint Pierre, forma­tions natu­relles sculp­tées par le temps, sont le clou du spectacle.

Dans ce dédale de pierres et de pins, on laisse notre imagi­na­tion vaga­bonder, recons­ti­tuer la vie qui animait autre­fois le village troglo­dyte. Des habi­tats imbri­qués dans la paroi émane une étrange séré­nité. Tout semble en harmonie.

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Révélation !

Le chemin sylvestre retombe sur un sentier caillou­teux qui roule sous nos semelles et débouche sur la route. La montée du Truel, celle là même sur laquelle je me suis épuisé la veille ! Je l’avale d’une traite, léger comme une plume, sans à peine marquer le pas !

C’est la première fois du voyage que j’emprunte le même itiné­raire équipé puis libéré de tout mon barda. La diffé­rence me sidère. Depuis plusieurs jours, je cherche comment accé­lérer le rythme sans sacri­fier tous les avan­tages de la marche. Et voilà que soudain, j’en découvre tous les inconvénients !

Pour aller plus vite, la solu­tion n’est pas d’alléger mon sac. La solu­tion, c’est de ne plus le porter. Ma déci­sion est prise. C’est la fin du voyage à pied. La traversée du causse Méjean sera un baroud d’honneur.

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Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

Commentaires

Bravo pour votre site et surtout pour vos marches et vos photos. Dommage que ce soit la fin du voyage. Combien portiez-vous ? et quel est votre âge ?

Merci Michel 😀
Oh ce n’est que la fin du voyage à pied ! J’au­rais été un peu plus bavard sinon…
Je portais (puis tirais) entre 18 et 20 kg. J’ai 41 ans (déjà !)
À bientôt pour la suite 😉

Merci Véro 😀
Ça vient d’où, ce patro­nyme ? Je me demande… C’est Mat en verlan ? Je ne sais même pas comment ça se prononce 😉
Bonne journée et merci pour le petit mot !

En croyant m’ins­crire à la news­letter j’ai laissé mon com avec mon nom tout à fait lisible. C’est balourd ! Je pensais qu’il n’ap­pa­rai­trait pas.
Il s’agit de mon nom (d’ori­gine maltaise) qui se lit sans diffi­culté en 2 syllables. Le U est muet.
Mon prénom, Véro…plus convivial !

J’ai légè­re­ment modifié nos échange pour que votre nom n’ap­pa­raisse plus 😉
Bonne journée et à bientôt par mail !

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