À Turpan, Xinjiang, premières effluves d’Asie centrale

Turpan, province du Xinjiang. 154 m sous le niveau de la mer, une oasis de vignes et de treilles, en plein milieu du désert, aux portes de l’Asie centrale.

Plus de cent cinquante mètres au dessous du niveau de la mer, Turpan est une oasis de vignes et de treilles. En plein milieu du désert, cet îlot de fraî­cheur, ancien cara­van­sé­rail sur la route de la soie, invite à la paresse. Ça tombe bien…

Dormir, manger, et surtout, surtout, ne rien faire. En tant que survi­vant d’une tenta­tive de traversée de la Chine à vélo, je m’octroie à Turpan un repos bien mérité.

Nouilles Sichuan style brûlantes, yaourts tout droit sortis du frigo, salades de fruits frais… La terrasse du John’s Café est un paradis pour sportif à la retraite. J’y coule des jours heureux, limi­tant mes efforts à décaler ma chaise quand le soleil se fait trop mordant. Avec une tempé­ra­ture avoi­si­nant les quarante degrés, entre­prendre quoique ce soit de constructif avant six heure du soir n’est tout bonne­ment pas crédible. Ecrasé de chaleur, je prends peu à peu conscience des quelques milliers de kilo­mètres qui me séparent de Pékin.

Turpan, une ville ouïghoure aux portes de l’Asie centrale

Inutile de courir après les mosquées, les grottes ou les ruines de je ne sais quelle cité antique, le spec­tacle est là, sous mes yeux. Turpan est une ville ouïghoure et si il y a des Chinois qui n’ont de chinois que les papiers, ce sont les Ouïghours (avec les Tibé­tains). Musul­mans parlant une langue proche du turc, dont ils sont les loin­tains aïeux, leur culture a su résister aux inva­sions chinoises et conserver ses spéci­fi­cités (jusque quand ?). En arri­vant en terre ouïghoure, le voya­geur est géogra­phi­que­ment parlant en Chine, mais pressent les premiers accents d’Asie centrale.

A six heure du soir donc, direc­tion le marché de nuit. Un crochet par le bazar, l’un des plus typiques de la province du Xinjiang, permet d’acheter un âne pour trois cents yuans et un chien pour cinq mille yuans.

Dans la fraîcheur du marché de nuit de Turpan

Attablé devant mes brochettes de mouton, je me régale du spec­tacle de la rue. La chaleur retombe et tout le monde est dehors. De ma chaise, je regarde vivre ce petit micro­cosme. Les hommes, le ventre bien rond, plutôt corpu­lents, petit chapeau aux motifs géomé­triques leur couvrant le crâne, parfois mous­ta­chus, viennent prendre place à l’un des nombreux café-restau­rant en plein air. Atta­blés autour de quelques bières, on parle busi­ness. Les sour­cils se froncent, on monte le ton en appuyant les propos de grands gestes de la main ; on se caresse la barbe, le regard pensif en écou­tant l’avis des conseillers placés à ses côtés ; et puis fina­le­ment l’affaire se fait et on recom­mande une tournée pour fêter ça.

Scènes de la vie quotidienne

Plus loin, un peu à l’écart, cinq hommes aux pommettes saillantes conspirent dans leur coin. Les deux du milieu se parlent à l’oreille la main devant la bouche ; les trois autres, aux aguets, lancent des regards furtifs dans toutes les direc­tions. Un vieillard fait le tour des tables, un singe enchaîné au poignet, et ramasse çà et là quelques centimes contre une démons­tra­tion des prouesses de son « protégé », qui s’accroche comme il peut à la chaîne qui l’étrangle.

Légè­re­ment à l’écart, une poupée haute comme trois pommes profite de la diver­sion. A pas de loups, elle s’approche, ramasse les deux bouteilles de bière vides posées au pied des chaises, et toutes couettes dehors, court rejoindre son grand frère, quatre ans tout au plus, qui ajoute avec appli­ca­tion cette belle prise au butin qu’il trans­porte dans un sac plastic, et qu’il échan­gera contre quelques Yuans.

Le fantasme des caravansérails sur la route de la soie

Plus loin, sous la treille, d’autres gamins font de la trot­ti­nette. Une pour dix, c’est à chacun son tour de descendre puis de remonter l’allée, le sourire jusqu’aux oreilles ou l’air hyper concentré, en posi­tion de recherche de vitesse. 

Bercé par les rires des enfants, je rêvasse en regar­dant passer les femmes ouighoures à la beauté farouche : yeux en amandes, sour­cils très noirs, tâches de rous­seur, foulard noué dans les cheveux, regard à la fois candide et fier. Je les imagine héri­tières d’intrépides marchands, je vois les inter­mi­nables files de chameaux étirant leur ombre le long de la route de la soie, les cara­van­sé­rails affairés où s’échangent richesses venues des quatre coins du monde… 

Un bruit rauque, grave et toni­truant coupe court à ma rêverie. Une de ces créa­tures des mille et une nuit vient de roter plus fort qu’un Muni­chois à la fête de la bière, dans l’indifférence générale. 

Me revoilà au XXIème siècle, dans un présent tout à fait prosaïque. 

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