La Grande Traversée du Morvan… Le nom avait quelque chose d’épique, un parfum d’aventure. Ça tombait bien, je n’avais rien prévu dans la Nièvre et je voulais laisser les hasards de la route guider mes pas. Je n’ai pas été déçu.
Jour 1 – Vallée du Serein
Gloussement de l’eau qui joue dans les rochers, fraîcheur de la forêt réveillée par l’averse, partout des mousses, des fougères, des arbres déracinés. La forêt m’abrite et crépite sous les gouttes de pluie.
Premier bivouac. Les hiboux hullulent, je me sens accueilli. Impression d’être de retour à la maison. Je dors en compagnie des araignées intrépides qui se sont faufilées dans la tente.
Jour 2 – Saint-Germain-des-champs
La forêt et le bocage s’illuminent sous les trouées d’un ciel de granite. Je m’abrite en attendant la fin de l’averse. Arrivée à Saint Germain des champs. Le vent qui joue dans les tôles mal arrimées dérange le silence de ce village fantôme. Tous les volets sont fermés. Personne à qui m’adresser pour demander de l’eau.
Ciel psychédélique gris-orange au couchant. Nuit agitée dans une cabane de rondins. Grand vent au bord du lac de Crescent.
Jour 3 – Lac de Crescent
Le lac est une retenue d’eau artificielle. À l’abri derrière les piles du barrage, Maxime fait sa pause-déjeuner en plein air, malgré le crachin mauvais. Il parle avec respect du Morvan, terre pauvre, terre de refuge, terre hostile ; avec tendresse de la roche-mère, le granit du Morvan.
Climat hostile. Pas vraiment froid. Hostile. Ciel chargé et lumineux.
Paysage de bocage parsemé de petites tâches blanches – des vaches – quadrillé de haies parcourues de chemins. Les vallées laissent deviner les prochains sommets à gravir.
À Marigny‑l’église, Aurélien, devant ma mine fatiguée, sort un carnet d’ordonnance. L’auberge-épicerie-bar-relai poste du Crescent est aussi… cabinet de poésie générale ! Voilà ma prescription :
La prochaine fois que je viendrai au monde,
Je transcrirai chaque minute dés le début,
Je n’en consommerai pas une seule sans réfléchir d’abord
Et, le cas échéant, j’arrêterai le temps pour qu’il attende ma décision.Apprendre après chaque repas
(Penti Holappa)
Je me sens tout de suite mieux.
Le Morvan est un désert médical ; Château-Chinon, la première sous-préfecture de France privée de médecin généraliste.
Jour 4 – Marigny‑l’église
Au foyer communal, je partage mon enthousiasme pour le cabinet de poésie générale avec la gérante. Elle grimace. Combien de temps cela durera-t-il ? Le lieu porte la poisse. Coucheries, tromperies, divorces… Depuis qu’elle vit ici, aucun couple n’y a survécu.
Dehors, vent violent, pluie serrée, ciel noir. Des fenêtres de bleu apparaissent et disparaissent comme des hublots. Le temps est en colère. La moitié de la France est en alerte orange.
Je pense faire quelques images, ouvre le velux. Vent violent qui s’engouffre. Je referme en catastrophe.
Nuit parmi les ronflements. Finalement, vaut-il mieux avoir froid seul dans une tente ou chaud à plusieurs au pays des grizzlis ?
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Jour 5 – Le petit Québec
La tornade de la veille a suivi une autre vallée. Les lits des rivières sont désormais en eau, les cascades cascadent, mais en dehors des toits envolés et des arbres arrachés dans le village, pas de trace de l’apocalypse.
La roche-mère affleure par endroits en coussins rebondis. Les champignons s’organisent en conférence, prennent place au pied d’arbres-gradins. La chasse aux cèpes est ouverte.
Je fais route avec Richard, un jeune retraité québecois qui m’a surpris en pleine écoute de ruisseau. Son pays doit lui manquer. Il m’en parle toute l’après-midi.
Sait-il qu’on surnomme le Morvan « le petit Québec » ? Je demande son avis de spécialiste. Même si les allées d’arbres rectilignes l’étonnent, il concède, devant les coins les plus beaux et les plus sauvages :
« Oui ! Là, par exemple, on pourrait être au Québec. »
Douce pénombre à l’abri des grands sapins.
Jour 6 – Dun-les-Places
Le sol disparaît sous un tapis de mousse. Tout ce qui tombe au sol semble irrémédiablement envahi, avalé, digéré, recouvert. Humidité et froid pénétrant. Pour la première fois du voyage, mon chèche me protège du froid, non de la chaleur. Ma boussole en perd le nord. Chaos magnétique.
À Montsauche-les-Settons, le monde se retrouve autour d’un repas à l’Esquipot : des parisiens en résidence secondaire, un couple grenoblo-marseillais installé dans la région, des autochtones néerlandais (les gallo-bataves, un concept local), des anglais…
Depuis que le dernier troquet a fermé, c’est le seul endroit où trouver un peu de chaleur humaine. Chaque vendredi, le café associatif organise repas et spectacle.
La question du jour (et même des derniers jours) : où sont les Morvandiaux ?
Jour 7 – Montsauche-les-Settons
Petit déjeuner avec Françoise et Carlos, membres piliers de l’Esquipot. On rentre un peu dans la « cuisine » de l’asso, son mode de fonctionnement… Tout repose sur les cotisations et les bénéfices générés à chaque événement.
Et la mairie ? Subventions ? Prêt du local ? Logistique ? Rien du tout. Pour eux, il n’y a aucune volonté politique de faire bouger le territoire. Ces terres en sommeil sont les chasses gardées électorales de maires de carrière. Carlos garde un goût amer des dernières élections municipales. Il voulait réveiller les consciences ; il a perdu.
Son combat d’écologiste convaincu continue au quotidien. Le fléau des sapinières sur l’environnement, la raréfaction de la faune et de la flore, la disparition des forêts de feuillus, la surexploitation forestière et l’appauvrissement de la terre… Les sujets ne manquent pas.
Je regarde d’un autre œil les jolies forêts de conifères plantées en rangs bien alignés, l’odeur acide des ascieries et les stocks d’arbres dépecés qui montent jusqu’au ciel.
Nuit au bord du lac, non loin d’infrastructures touristiques désertées.
Cachés dans la végétation, les sommets du Haut Morvan – le plus secret, le plus sauvage – m’attendent. Les animaux aussi…
Commentaires
Jolies photos ! Je n’ai pas eu l’occasion de m’aventurer dans le Morvan mais cela à l’air calme, reposant mais un peu triste aussi à te lire…
Merci Julie !
Mmmmm… Disons que c’est trop sauvage pour être complètement calme et reposant 😉 Peut-être en été ? Parce que les tempêtes et les incursions d’animaux ne m’ont pas trop reposé, je dois dire 😉 Vivifiant, je dirais.
Triste ? Je ne m’étais pas rendu compte… Moi je vois des gens qui se battent et qui font avec dans un contexte pas facile. Quant au vide, je commence à ne plus le voir. Il fait parti du voyage.
Moi je te recommande d’y mettre les pieds, comme ça tu te feras une idée !
merci MAT ?
de part tes superbes photos et tes commentaires j’ai eu l’impression de voyager avec toi,très sympa.
bonne continuation et j’espère une autre traversée
Cool ! C’est bien l’objectif de mon blog 🙂
D’autres traversées à venir, oui ! Celle de la Brenne (un des territoirs les moins peuplés d’Europe) dans les jours qui viennent et celle des Pyrénées en février !
Merci de ton passage par ici Ben !
SUPERBE compte rendu merci
tu as commencé vers courcelles fremoy ?
Merci Emmanuel 🙂 Je me suis régalé !
Je suis parti d’Avallon, dans l’Yonne, juste après les jardins suspendus. C’est là que commence la grande traversée du Morvan, il me semble…
Ensuite, j’ai un peu mélangé les itinéraires, entre GR, GR de pays et sentier des pélerins…
Bonjour, joli récit et belles images. J’ai de petites questions pratiques, comment as tu fait pour le ravitaillement ? Peut on trouver de temps en temps voire à chaque étape, une petite boulangerie ou épicerie ? A quelle période es tu parti ? Merci beaucoup !
Salut Romain !
Merci pour le récit et les images 🙂 Pour les aspects pratiques, j’ai trouvé des commerces au départ à Avalon, puis à Marigny-l’église. À Dun-les-Places, j’ai dormi et festoyé à l’auberge ensoleillée (je vais rajouter les infos pratiques). Tu ne trouveras pas de commerce à chaque étape, sauf à faire de (très) longues étapes mais ce n’est pas dans ma philosophie.
En règle générale, j’avais toujours sur moi de quoi tenir 5 jours environ en autonomie. Soupes chinoises, pâte d’amande, thé, fruits secs…
Pour la période, je suis parti début septembre. J’espère que tout cela t’aidera à préparer ta rando. Bonne route !