Après une semaine au rythme de Katmandou, je commence à avoir des fourmis dans les jambes. Franck, qui rentre d’un trek dans l’Himalaya, tient une forme olympique. Nous reprenons la route la fleur au fusil.
Nous avons choisi de suivre la Tribhuvan highway pour redescendre la vallée de Katmandou. L’ancienne route des Indes n’a d’autoroute que le nom et devrait nous réserver quelques belles échappées à travers la montagne. Au-delà du pittoresque, nous espérons surtout que son mauvais état général découragera les chauffeurs les plus avisés et nous préservera des dangers du trafic.
L’ancienne route des Indes
Cheveux au vent, nous dévalons un ruban de goudron jusqu’à la bifurcation où une petite route sur la gauche délaisse l’itinéraire principal et se fraye un passage à travers la forêt, à l’assaut de la pente. Les premiers véritables kilomètres de montagne commencent ici.
Nous alternons les points de vue sur la vallée et les traversées de villages où des enfants hilares nous poursuivent en criant « Bye-bye roupie ! » « Bye-bye chocolate ! ». Nous ne sommes pas les premiers visiteurs.
Ascension hors catégorie
Insidieusement, la pente de plus en plus raide éclipse le décor pour ne plus faire place qu’à elle-même. À chaque coup de pédale, toutes mes forces se tendent vers le même objectif : ne pas s’arrêter, entretenir l’élan, gravir mètre par mètre cette montagne. Tel un serpent, j’adopte une trace sinueuse, rusant pour ne pas prendre de face la pente.
Devant moi, Franck avance sans sourciller et je soupçonne les fabricants d’avoir oublié quelques vitesses sur mon vélo. Mes yeux s’accrochent à sa roue, en vain. L’écart se creuse. La montagne rend humble et je pose pied à terre, vaincu, poussant les 25 kilos de mon vélo dont je maudis chaque gramme jusqu’au terrain de sport de l’école où nous plantons la tente. Ineffable bonheur de passer en position horizontale pour notre dos, nos fesses, nos cuisses et nos mollets…
Pause Haschich
Au réveil, notre corps se rappelle les efforts de la veille mais le spectacle des sommets himalayens dans la lumière du petit matin nous met du baume au cœur pour les vingt, trente, quarante derniers kilomètres d’ascension. Dans ce face à face avec la pente, le moindre prétexte est bon pour faire une pause. Alors quand un petit homme boiteux nous hèle depuis sa hutte, nous obtempérons comme un seul homme.
Dans la fumée épaisse de ses fourneaux, la maîtresse de maison nous propose un dal bhat, le plat de riz et de lentilles qui compose l’ordinaire des Népalais. Étrange sensation d’entendre une voix si grave sortir d’un corps si petit ! À côté des casseroles, une odeur âcre émane d’une boîte de conserve où bouillonne un liquide visqueux.
Amusée de ma curiosité, la cuisinière décroche le sac de plastic joufflu pendu au-dessus du foyer : un bon demi-kilo de résine de canabis en poudre, toute fraîche. Comment refuser une pincée de ce haschich considéré comme l’un des meilleurs du monde ? Il récompensera tous les efforts fournis pour venir à bout de cette montagne.
Le col de Sim Banjyang
Après la séance photo avec toute la famille et le désormais traditionnel échange d’adresses, nous reprenons l’ascension, vingt et un kilomètres avant le sommet, en théorie – nous commençons à nous méfier de la théorie… Franck qui caracole en tête commente le paysage qui disparaît peu à peu dans la vapeur des nuages.
« Par temps clair, on devrait voir l’Everest ! »
À ce moment précis, bien trop absorbé par l’effort surhumain que je suis en train de produire et qui réclame toute ma volonté, l’Everest est bien le dernier de mes soucis. Mes tempes palpitent, mon regard vacille, je suis au bout de moi-même. Par-dessus tout, cette bonne humeur qu’il affiche m’exaspère autant que la facilité avec laquelle il gravit la montagne.
Au col de Sim Bhanjyang, un grand panneau nous indique l’altitude que nous venons d’atteindre pour notre première étape de montagne : 2844 mètres. Franck veut immortaliser le moment. Je le laisse seul sur la photo. Cette victoire, c’est la sienne.
Le bicycle book
J’ai retrouvé sur internet une trace pour VTT qui emprunte à peu près le même itinéraire, qualifié par son auteur de « promenade plaisante ». Bien entendu, la trace part du sommet. Personne ne s’infligerait la Tribhuvan highway autrement qu’en descente… Grâce aux outils numériques, des chiffres mesurent ce que nous avons enduré : 2108 mètres de dénivelé positif, 47,8 kilomètres de distance, avec un final de 10 kilomètres sur une pente à 8%, plus corsé que le Mont Ventoux avec un bébé sur le siège arrière.
Aurions-nous tenté l’aventure aujourd’hui, armés de ces données ? Probablement pas… Pourtant cette montagne, nous l’avons gravie avec la candeur de ceux qui, comme le disait Marc Twain, « ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». Difficile de dire si la descente aurait eu la même saveur sans tous ces efforts mais les cinquante kilomètres de méandres à travers la jungle, au milieu des cris des oiseaux et du chant de scie sauteuse des cigales locales, ont un goût de récompense.
Nous arrivons à Hetauda fiers de déposer notre autographe dans le bicycle book de l’hôtel Avocado. Fiers et un peu surpris de l’épaisseur du ou pour être exact des deux volumes compilant les impressions des voyageurs à vélo passés par là depuis 1995… À lire les commentaires enthousiastes, ils n’avaient pas fait la montée.
Le voyage au Népal se poursuit ici :
- Un bus pour Katmandou
- Les nouveaux chemins de Katmandou
- Bodnat Temple, sous les yeux du Boudha
- À vélo sur les pentes de l’Himalaya
Commentaires
Merci pour tes photos. Elles sont superbes. J’ai toujours voulu partir dans l’Himalaya. Ce magnifique paysage me donne envie de faire une randonnée en pleine montagne. J’ai aimé ton article.