Commencer un tour du monde à vélo par l’Inde ? On nous avait prévenus, le pari était risqué… Entre enseignement, triomphe et déroute, mise en place des premières techniques d’auto-défense en milieu hostile.
Mettez-vous dans l’ambiance
C’est la première rencontre de notre tour du monde à vélo. Allongés à l’ombre d’un arbre, nous laissons passer les heures les plus chaudes de l’après-midi quand l’homme apparaît sur le chemin de terre, s’approche d’un pas tranquille et s’assoit en tailleur, sans rien dire, juste en face de nous. Nos tentatives d’échange verbal pour dissiper la gêne de cette présence fortuite restent sans réponse. Il est venu nous regarder. Peut-être est-il aussi venu nous garder car c’est un gardien de troupeau.
Le premier enseignement d’un tour du monde à vélo
La première chose que j’apprends en Inde : regarder l’autre dans les yeux et soutenir son regard. Regard que nous évitons par réflexe, par timidité, par gêne, et qui n’est pourtant ni intrusif ni provocant. Ici, nous sommes des curiosités de la même manière qu’ils le sont pour nous. Détourner le regard n’est que la volonté d’oublier qu’on nous regarde.
La timidité ne dure qu’un temps. Après tout, la curiosité est partagée d’un côté comme de l’autre et cet échange de regard n’est peut-être qu’un signe d’honnêteté. Notre homme reste là sans rien dire, les yeux fixés sur nous, dans le silence d’une campagne éblouie de soleil.
Quelques sifflements d’oiseaux, des buffles arrachant d’un coup de tête régulier les touffes d’herbe grasse, des femmes fauchant les blés mûrs et le son d’un tracteur nous parvenant par vagues diffuses. Quelle sérénité ! Difficile d’imaginer que quelques heures plus tôt, nous baignions dans le chaos de New Dehli…
Premières heures en Inde
Après avoir fait forte impression sur le personnel de l’aéroport de New Dehli, nous enfourchons nos vélos pour parcourir les 20 premiers kilomètres de notre périple indien.
Sur les trottoirs, la foule souriante qui salue notre passage n’a d’yeux que pour nous. Sur la route, les premiers scooters roulent à notre allure pour mieux admirer nos montures étincelantes : les chromes rutilants sous les premiers rayons du soleil, les cadres rouges et blancs griffés d’un Venetto sport, les sacoches vertes, lisses, encore vierges de toute égratignure… Même les chauffeurs de bus délaissent quelques instants la route et sortent la tête de leur cockpit pour contempler de plus près ces petites merveilles.
Nous pénétrons dans New Dehli sous une escorte digne d’un Président en voyage officiel. Pour peu, on se prendrait pour le Général de Gaulle rentrant dans Paris libéré. L’apothéose avant même d’avoir livré bataille !
Hello my friend ! Which country ?
Cette sensation de chaleur et d’accueil laisse vite place à un ras le bol général. New Dehli, c’est une mégalopole de 14 millions d’habitants, avec ce qu’elle comporte de pauvreté, de crasse, de danger. C’est aussi le point d’arrivée de nombreux touristes qui viennent visiter l’Inde.
Pour nous, petits scarabées ignorants tout frais moulus de leur Europe pasteurisée, c’est la première étape de notre tour du monde et le premier contact avec le pays. Le choc est rude ! Partout, les yeux sont braqués sur nous. Ici, le touriste est un portefeuille bien garni. Facteur aggravant, notre teint pâle indique que nous venons d’arriver. Des proies idéales, voilà ce que nous sommes. À chaque croisement de regard, la même logorrhée :
« Hello my friend ! Which country ? Rickshaw ? Which hotel ? One roupie ! Eh my friend, come here ! Fresh water, my friend ! Visit the country ? Namaste ! »
Qu’une discussion s’engage, toutes les questions aboutissent invariablement aux mêmes enchaînements prévisibles. Quel hôtel ? Non celui qu’on a choisi n’est pas bien, on va vous en montrer un mieux. Ce marché ? On trouve moins cher là-bas, venez on vous y accompagne. Oh, vous êtes français, formidable… Et ça vous intéresse d’aller visiter les temples demain ?
Guerrilla économique sauce curry
Toute prise de contact dérive invariablement vers le même but : nous faire cracher le maximum. Dans ce contexte, un impératif : savoir dire non et le faire comprendre ! Notre enthousiasme débordant des premières heures laisse vite place à une hostilité sans limite. Désormais, nous voyons le mal partout. Chaque autochtone est, à tort ou à raison, un arnaqueur potentiel.
Armés de toute notre méchanceté, nous apprenons à refouler l’ennemi de manière efficace. C’est la guerre, mon général, une guerre économique revue à la sauce indienne, donc plutôt épicée ! Planqués en embuscade derrière leur sourire accueillant, tous ces Indiens ne veulent qu’une chose : la peau de notre portefeuille !
De guerre lasses, nous finissons par trouver refuge à l’hôtel 2000 Millenium dont le portier moustachu laisse présager de prestations pas si futuristes. Quatre cents roupies la double, c’est le prix de la tranquillité. L’ennemi est partout, et nous fuyons avant que la jungle urbaine ait eu raison de nous.
Le syndrome de l’Inde
On nous l’avait dit avant de partir : en arrivant en Inde, certains touristes saturés d’odeurs, de bruits, de foule ne passent pas la porte de l’aéroport et reprennent l’avion. Direction ? Partout ailleurs pourvu qu’on les emmène loin d’ici. Passés les premiers jours, d’autres ne quittent plus leur chambre d’hôtel. Perte de repère, agoraphobie, crises de panique… La réalité crue d’une Inde sale et populeuse malmène le fantasme d’un pays mystique baigné de fumées d’encens et d’airs de citare. Perdre ses illusions est une chose. Perdre son équilibre psychologique en est une autre. Ne sous-estimez pas le syndrome de l’Inde !
Le voyage en Inde se poursuit ici :
- Les premières heures d’un tour du monde à vélo
- Prendre le train en Inde, un défi
- Voyager à vélo en Inde : les règles de survie
- Pélerinage musical à Bénarès
- Bihar : la traversée du far-east
Commentaires
Il est préférable de voyager à vélo en Inde. C’est plus facile pour se déplacer dans cette grande foule du marché. Il faut faire bien attention, car les commerçants n’ont d’yeux que pour notre portefeuille.
Salut Mat ! Merci pour ton blog, ton article. Merci vraiment, je suis actuellement en Inde depuis 10jours. J’ai fais comme toi de l’aéroport à l’auberge dans un premier temps puis je reste une semaine à Delhi avant de prendre mon velo pour agra. Je suis actuellement à Agra et je me sens vraiment mal, je vois ne mal partout je ne me sens pas en sécurité, tout le monde veut m’arnaquer. Enfin bref j’espere ne pas avoir chopper le syndrôme !
Si tu as un contact par mail ou je pourrais discuter avec toi ca serait sympa merci bcp !
Guillaume
Salut Guillaume ! Ah l’Inde, c’est un sacré morceau… Il faut apprendre vite à faire le tri. Et savoir aussi faire comprendre ce que l’on veut, savoir négocier, savoir se faire respecter, savoir aussi s’adapter à une manière de vivre radicalement différente de la notre. Savoir ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas.
Personnellement, c’est à partir de Bénarès que j’ai commencé à me détendre, même si, honnêtement, je garde globalement un mauvais souvenir de l’Inde. En tout cas, sache qu’il faut un temps d’adaptation. J’ai le souvenir de cet Israëlien désespéré de devoir quitter le pays. Il avait détesté l’Inde les premières semaines, et puis finalement, cela faisait presque un an qu’il y voyageait et il ne pouvait plus se passer de ce mode de vie où tout est possible. Beaucoup de gens que j’ai rencontrés sur la fin de mon voyage en Inde m’ont dit que j’aurais dû aller au sud, du côté de l’Inde hindouiste où, paraît-il, les gens sont moins agressifs. Je n’ai pas pu mettre à execution ce conseil, j’étais en route pour la Thaïlande. Mais peut-être une piste à creuser ?
J’aurais aussi adoré aller du côté nord, au dessus du Bangladesh, à la limite avec la Chine, le Bhoutan, la Birmanie… Ça a l’air beau là-bas !