Bihar : la traversée du far-east

Dans la province du Bihar, l’Inde prend des airs de far-east entre poli­ciers, routiers et brigands. 

Après deux semaines de calme dans les montagnes népa­laises, nous redou­tions le retour en Inde et par dessus tout cette curio­sité mala­dive et oppres­sante que les Indiens nous avaient témoi­gnée durant nos premières semaines. La province du Bihar compte trois fois plus d’habitants que la France pour une super­ficie deux fois moindre. Surtout, c’est un repère de brigands.

Nous redou­tions le retour à cette curio­sité oppres­sante que les Indiens nous avaient témoi­gnée durant nos premiers jours. Avant même de passer la fron­tière, une crevaison me force à l’arrêt et une cinquan­taine d’Indiens nous encerclent déjà, touchant à tout et posant inlas­sa­ble­ment les mêmes ques­tions. Nous leur oppo­sons un silence obstiné et des œillades pleines de hargne mais ce comité d’accueil n’augure rien de bon pour notre santé mentale.

Bain de foule et nuit au poste - Carnet de voyage en Inde

Mon pneu criblé de trous suite à la folle descente de la veille fournit un excellent alibi pour mettre les vélos momen­ta­né­ment de côté et prendre un bus jusque Muzaffarpur.

Dans les mains de la police

Arrivés tard, nous remon­tons les sacoches, éclairés par les lampes torches de la police d’État que l’at­trou­pe­ment autour de nous a attiré. Quatre hommes fusil au bras nous exfiltrent de la foule et nous escortent en rang d’oi­gnon jusqu’au poste de police où des gras du bide en débar­deur discutent à voix basse sous la lune. Le dortoir où nous pour­rons nous abriter pour la nuit est à un jet de pierre. Nous tambou­ri­nons contre la porte en métal jusqu’à ce qu’une échelle de bambou surgisse du toit et qu’un gardien descende nous ouvrir, les yeux encore gonflés de sommeil. Par cette chaleur, tout le monde dort à la belle étoile mais la police ouvre l’œil.

Le Bihar, far-east indien

Le Bihar compte parmi les États les plus pauvres du pays et ses contrées sont répu­tées hostiles. La guérilla des groupes maoïstes révo­lu­tion­naires y fait paraît-il régner sa loi, détrous­sant les plus riches et pillant les convois de marchan­dises. Dans le décor aride et gran­diose de ce far-est où les palmiers remplacent les cactus, les bus les dili­gences et les Indiens d’Inde les Indiens d’Amé­rique, notre cara­vane progresse à bonne allure sur l’unique route dépourvue de véhi­cules. Alors que le soleil décline, le crachouilli d’un petit poste radio rompt le silence du désert et un relais routier provi­den­tiel se dessine à l’horizon.

« Avec tous ces voleurs, vous feriez mieux d’être prudents. Restez donc pour la nuit ! » 

suggère le patron tout en nous resser­vant une tournée de thé. C’est la voix de la raison. Nous montons nos tentes sur le grand terre-plein qui fait face aux trois murs de l’échoppe couverte d’un toit de paille. 

Nuit blanche chez les routiers

Nous n’avons pas encore fermé les yeux lorsque le bruit d’un camion nous parvient, d’abord loin­tain, puis de plus en plus proche, pour fina­le­ment venir faire vibrer sa carcasse rouillée à quelques mètres de nos oreilles. Le moteur tourne toujours lorsque, dix minutes plus tard, un second poids lourd annonce son arrivée dans le même vacarme, ponctué d’un bon coup de klaxon polyphonique. 

À inter­valles régu­liers, de nouveaux arri­vants font trem­bler l’air de leur grosse cylin­drée, saluant leurs cama­rades de quelques joyeux coups de trompe avant d’aller se brailler dans les oreilles autour de tour­nées de thé chaud et d’al­cool frelaté. Il faut se rendre à l’évidence : nous avons élu domi­cile dans le seul endroit de la région qui vit la nuit. 

Au petit matin, j’ai bien du mal à m’ex­traire de mon sac de couchage. Franck, lui, n’a pas fermé l’œil. La petite pluie serrée qui salue notre réveil et les jéré­miades du patron qui réclame une somme exubé­rante pour avoir gardé les vélos finissent de maquiller notre humeur en noir.

Dans l’enfer du Bihar

La journée sera aussi longue que la nuit a été courte. Avec nos vélos qui ne veulent pas avancer, nous sommes à la portée des essaims de cyclistes qui nous harcèlent de leurs flèches : « My friend ! My friend ! Bicycle how much ? You married ? Which country ? ». À chaque arrêt, la foule des villa­geois se fait plus nombreuse, plus pres­sante, plus curieuse. Il devient impé­ratif de recharger les batte­ries et de calmer nos nerfs. 

Quit­tant la route en cati­mini, nous nous enfon­çons dans la campagne et dispa­rais­sons dans la végé­ta­tion. Mais c’est peine perdue. Il ne faut pas vingt minutes pour qu’une horde de paysans armés de faucilles et de lance-pierres ne vienne nous déloger. Sus aux espions pakis­ta­nais ! À plus de mille kilo­mètres du Cache­mire, la méprise a de quoi faire sourire mais ce jour-là, nous avons oublié notre sens de l’humour.

Kilomètres de trop 

Pour Franck qui accuse le coup de la nuit blanche, chacun des soixante-trois kilo­mètres jusqu’à Suri, la ville la plus proche, sera un calvaire. Pour la première fois depuis notre départ, je passe en tête. Dans ma roue, Franck s’ac­croche du regard au chèche rouge qui couvre ma tête et tient bon jusqu’aux abords de la ville où il s’ef­fondre une première fois, puis, hale­tant, gémis­sant, à bout de force, sur le lit de l’hôtel où nous arri­vons à la lumière des phares.

Pour­quoi s’infliger ça ? Relever un défi ? Non, les pentes du Népal avaient bien suffi à souli­gner son endu­rance et sa téna­cité. Éprouver ses limites ? Entre plus loin et trop loin, où sont-elles ? Je n’ai pas l’âme d’un compé­ti­teur et mes objec­tifs ne valent que pour le plaisir que je trouve en route ou la récom­pense que j’anticipe au terme de l’effort. Mais Franck est un sportif. Lorsqu’iI s’engage, il jette toutes ses forces dans la bataille. La souf­france fait partie du jeu pour atteindre l’objectif fixé.

Ainsi, lorsqu’au beau milieu de la campagne indienne, notre route croise une fête de village dont la musique nous parvient par vagues indis­tinctes, mon enthou­siasme se heurte à sa néces­sité : arriver ce soir à desti­na­tion. L’objectif, déjà… J’avais bien insisté avant de partir : l’objectif, ce serait la musique. Le vélo ne serait qu’un moyen de loco­mo­tion. J’avais vu juste. Le défi sportif est en train de prendre une place prépon­dé­rante dans le voyage. Ce n’est pas pour me réjouir…

Le voyage en Inde se poursuit ici : 

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Commentaires

Merci belette ! Ça fait du bien d’être compris !
L’Inde me laisse un étrange souvenir. J’ai détesté être exposé comme ça en perma­nence à la foule, comme une bête de foire. À vélo, c’était vrai­ment notre quotidien.
Et en même temps, il y a eu tous ces moments impro­bables qui n’au­raient pas pu arriver ailleurs qu’en Inde. Et ça c’était vrai­ment bien !

Bonjour Mat, impres­sion­nant ce bain de foule en Inde. Même si à CCI (cyclo camping inter­na­tional) tu n’es pas assuré d’avoir quelques millions de lecteurs, ce serait très sympa de nous envoyer un article sur une partie de ton voyage. Si cela te tente, les critères tech­niques pour une mise en page d’un article : 9000 carac­tères espaces compris et 12 photos ( AVEC LÉGENDE) trans­mises non compres­sées par wetransfer par exemple. L’adresse mail d’envoi est la mienne
Bravo et Bon vent Luc

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