Après une semaine à travers la Mongolie intérieure, 1000 kilomètres nous séparent de Pékin, notre point de départ. Le défi reste intact : traverser la Chine d’est en ouest. Le Xinjiiang est encore loin, Urumqi en ligne de mire.
Mettez-vous dans l’ambiance
Lundi 30 juillet
Nous apercevons les premières dunes de sable. Le bout de la route disparaît dans une brume de chaleur. Nous attaquons le désert, le vrai ! Croisé deux fiers cavaliers lancés au galop dans les herbes sèches. Sentiment de liberté totale. A la pause de midi, les routiers ivres entonnent avec ferveur des chants à gloire de qui ? Nous trinquons à l’amitié entre les peuples et à l’alcool local. Grosse sieste sur de vrais lits ! Nous redémarrons dans des conditions de rêve : route droite, plate, vent dans le dos. Nous contemplons des paysages de dunes en filant comme le vent. Avant le bivouac, achat des laits si difficiles à trouver pour le petit déjeuner du lendemain. Plantage de tente en plein désert. Au tiers de notre parcours, nous avons 100 kilomètres d’avance sur nos prévisions. C’est bon pour le moral !
En selle à : 7h
Bivouac à : 21h30
Distance : 180 km
Moral : au beau fixe
Mardi 31 juillet
Top conditions : route plate, vent dans le dos mais des travaux nous stoppent dans notre élan : 5 kilomètres de sable dans lequel nos roues s’enfoncent comme des lames de rasoir. Franck casse un rayon. Réparation. Je crève 3 kilomètres plus loin, et Franck en profite pour déchirer un pneu. On ressort la trousse à outil. Bouchon de camions qui ralentissent ou s’arrêtent carrément pour mieux contempler le spectacle ! Malgré des conditions idéales, on n’a pas avancé ! Grosse frustration.
En selle à : 7h50
Bivouac : 22h
Distance : 70 km
Moral : moins
Mercredi 1er août
Déterminés à rattraper le temps perdu la veille. Traversée d’une région sinistrement industrielle. Les cheminées fument gris, jaune, vert. Route infestée de camions. Tous klaxonnent pour doubler ou pour saluer. Saturés du bruit des moteurs et des cornes de brume, nous avalons les kilomètres, mais nerveusement, c’est l’épuisement. Nous roulons sans savoir sur quelle route nous sommes. Passage sans transition du désert à des vergers remplis d’oiseaux. Montage de tente harcelés par les moustiques. Décidément, aujourd’hui, tout le monde nous en veut !
En selle à : 7h
Bivouac : 21h
Distance : 140 km (d’après nos estimations)
Moral : moins
Jeudi 2 août
Avancée à l’aveuglette. Si nous allons bien au sud, impossible de déterminer notre position sur cette foutue carte. Vent dans le dos. A plein régime, nous atteignons les quarante km/h à travers un désert total. Croisé un régiment d’artillerie en manœuvres. Alignement impressionnant de plusieurs dizaines de canons. Nous rangeons nos appareils-photo, sortons nos plus beaux sourires et détalons furtivement. Arrêt douche – la deuxième du parcours – dans une halte routière. Redévorrage de kilomètres, toujours à l’aveuglette. Aperçus les premiers musulmans, reconnaissables à leur petit chapeau rond et plat. Nous doublons des tracteurs transportant des bottes de foin grosses comme des maisons. Enfin une ville qui figure sur la carte. En deux jours, nous aurions fait plus de trois cents kilomètres ! Les croûtes que nous avons aux fesses confirment. Nous rêvons de routes plates et de vent dans le dos…
En selle à : 8h
Bivouac à : 20h
Distance : 125 km
Moral : déprime
Vendredi 3 août
Premiers kilomètres sur une route-frontière : des champs de maïs verdoyants d’un côté, de l’autre, des dunes de sable. Après quelques heures le chemin se fait caillouteux. Le vrai désert, celui qu’on aime voir, moins vivre. Chaleur suffocante. Alors que nous perdons patience, le chemin se transforme miraculeusement en une autoroute flambante neuve. Nous avalons cinquante cinq kilomètres avant de nous écrouler de fatigue dans le premier restaurant venu. Reposés et repus, les kilomètres défilent de nouveau. Nous croisons deux vagabonds, à mille miles de toutes régions habitées. Décidément, la route est pleine de surprises.
En selle à : 7h30
Bivouac : 21h45
Distance : 160 km
Moral : plus
Samedi 4 août
Désespoir. Vent dans le nez. Cinquante kilomètres en quatre heures. Croisé un cadavre ensanglanté sur la route. Les meurtriers, chauffeurs routiers, forment un cercle à distance, têtes basses. Moral à zéro. Le vent joue avec nos nerfs. Plus il souffle fort et plus le moral baisse. Je pense au titre « va où le vent te mène ». Je ne connais pas l’auteur mais je parierais qu’il a déjà fait du vélo avec le vent de face. Je rêve de pain frais, de nutella et d’un verre de lait. En fin de journée, l’orage menace. Nous optons pour l’hôtel afin de ne pas enchaîner une journée cauchemardesque avec une nuit cauchemardesque. Pour me remonter le moral, je m’offre deux bières à l’ananas.
En selle à : 7h40
Hotel à : 19h,
Distance : 100 km
Moral : dans les chaussettes.
Dimanche 5 août
Nous arrivons enfin sur la route 312 qui file vers Urumqi sur plus de mille cinq kilomètres. Il s’agit de la voie nord empruntée autrefois par les anciennes caravanes de la route de la soie. Nous croisons un deuxième cadavre étalé sur la route. Sous la couverture, le sang est encore tout frais. Routiers chinois, je vous hais. Réflexion sur les bons et les mauvais présages. Physiquement, la peau de mes fesses est tellement à vif que je ne sais plus comment m’asseoir sur ma selle pour me soulager. Le mieux, c’est de rester debout !
En selle à : 8h00
Bivouac : 22h00
Distance : 156 km
Moral : plus
Lundi 6 août
Nous poursuivons notre course folle sur cette route 312 au milieu de paysages grandioses. Tout à fait l’idée que je me faisais de l’immensité… en mieux ! A des centaines de kilomètres, les sommets enneigés des contreforts himalayen culminent à plus de cinq mille mètres. Malgré ces panoramas grandioses, la souffrance a pris le pas sur le plaisir. Je multiplie les pauses avec d’autant plus de plaisir que sur la selle, ma peau usée par le frottement m’empêche de le savourer à sa juste valeur. Je décide d’arrêter les frais à la ville suivante, Zhangye. Franck se prépare psychologiquement à poursuivre seul. Nous passons la nuit dans un bon hôtel sur les indications d’étudiants qui recrutent pour leur université et qui nous prennent sous leur aile protectrice.
En selle à : 8h00
Hôtel à : 20h00
Distance : 142 km
Moral : au repos
Pour moi, le calvaire prend donc fin au soir du quinzième jour. Ma selle a eu ma peau. Plus un centimètre carré qui ne soit à vif. Lassé de devoir trouver la position la moins inconfortable pour soulager mon derrière, j’ai décidé de mettre fin à mes souffrances et de finir le trajet en train.
Il faut avouer aussi que je commençais à m’ennuyer ferme. Boire, manger, dormir et le reste du temps pédaler, pédaler et encore pédaler, au bout de deux semaines, c’était devenu franchement monotone.
Je prends la direction de Turpan, ancien caravansérail sur la route de la soie, oasis de vignes et de treilles en plein milieu du désert. Un festival de la vigne y bat son plein. Je ne peux pas râter ça !
Commentaires
Euh … deux cadavres croisés sur les routes ? Je suis un peu sidéré là. C’est si commun ? Qui sont-ils ces pauvres hères qui se font massacrer par les routiers. C’est glaçant comme truc 🙁
Sinon, c’est un peu les forçats de la route ton truc. Punaise, avaler autant de kilomètres, je suis assez impressionné. C’était quoi la motivation première ? Un challenge ? Y arriver ? Il t’aurait fallu un tricycle à voile comme AsiaTrek, enfin quand le vent souffle de dos …
Hello Laurent !
Je ne sais pas qui ils étaient, ces corps, des accidentés de la route anonymes. Mais oui, glaçant, révoltant même…
Et pour ce qui était du challenge, nous avions nos billets pour un départ d’Urumqi un mois plus tard. Il ne fallait donc pas traîner.
J’étais parti avec un vrai sportif (lui…) C’était un peu son défi du voyage. Je me suis mis dans sa roue pour voir à quoi ça ressemblerait. Une expérience intéressante. Mais bon c’est une petite partie des 23000 km réalisés en tout lors de ce tour du monde… Heureusement le reste, on l’a joué un peu plus cool (sauf des fois 😉 )
Aperçu original du voyage et une fin inattendue qui ramène à la réalité. Mais oui, c’est dingue cette histoire de cadavres frais sur le bord de la route !
Merci Vincent !
Mon hypothèse, c’est que les gens de ces contrées sont tellement habitués à l’immensité et au vide qu’ils ne savent pas traverser une route. Le principe même de route leur serait étranger. Bon c’est une hypothèse…
Pour ce qui est de la réalité, le deal c’était que je tienne le journal de bord sur la première moitié du voyage (pas folle la guêpe !), et Franck sur la suite. Moi je voulais bien voir à quoi ça ressemblait un défi sportif, mais sans véritable motivation de le relever. D’autant plus que pendant qu’on se tanait la peau des fesses sur nos selles à essayer de se prouver je ne sais quoi, il y avait un festival de la vigne et du vin à Turpan qui me faisait bien envie 🙂
Tu es un grand malade ! Mais qu’est-ce que ca doit être génial de faire ce parcours à vélo, pour rencontrer les gens, prendre le temps de voir le paysage (bon même si tu souffres), t’arrêter quand tu veux ! Ca change du tourisme ordinaire 🙂
Hello Nicolas ! Oui c’était un peu le défi physique du voyage cette traversée de la Chine. Je me suis mis dans la roue de Franck, mon coéquipier, et vrai sportif, lui… Mon idée à moi était de m’arrêter lorsque la souffrance prendrait le pas sur le plaisir. J’ai respecté ce plan. Peut-être que ça paraît un peu dingue, peut-être que les récits mettent un peu trop l’accent sur la « performance », mais pour les images que j’ai rapportées de cette traversée et pour ce sentiment de liberté totale, je ne regrette vraiment pas ! Si tu as l’occasion, essaye le voyage à vélo, c’est vraiment un super compromis vitesse-liberté.
Merci d’être passé par ici 🙂