Au festival de Fès, les musiques sacrées oeuvrent pour le dialogue entre les peuples et la paix dans le monde. Dans le même temps, dans la médina de Fès el-bali, une autre musique se joue. En accords discordants.
« Tout droit, pas de zig-zag. »
Les indications pour arriver à Fès étaient simples.
Deux jours de vélo au milieu des odeurs d’olives, des parfums de mandarines, des effluves de fuel et d’oignons et la médina de Fès est en vue.
Nous suivons Tintin, un vieux hippie qui se vante d’être le premier marocain à avoir pris du LSD, jusqu’à l’hôtel du jardin public. Charme simple, ambiance bonne enfant et vue magnifique sur l’ancienne médina. Fès, à nous deux !
Premier concert trash
La nuit apporte un gros bémol à l’enthousiasme des premières heures. Les puces, acariens et punaises des matelas-banane se jettent sur nous comme des morts de faim. Et surtout, cette « super sound blaster mega phonic prayer call window » baptisée à même le mur par les pensionnaires précédents. À dix mètres à vol d’oiseau, le minaret de la mosquée Bouanania nous toise en silence.
Trois heures du matin. Le coq fait ses vocalises. J’ouvre un oeil. Trois heures dix pétantes, le muezzin, réveillé par le coq, entame l’appel à la prière d’une voix morne, certes, mais suramplifiée par un haut-parleur qui nous crache dans les oreilles les versets du Coran. Au secours, boule Quiès !
Nous allons vivre dix jours au rythme du festival de Fès des musiques sacrées. Pour un premier concert, c’est quand même un peu trash.
Dans les coulisses du festival de Fès
Reflet du soleil sur le marbre, ronronnement de la clim, au Jnan palace, nous marchons sur des œufs. C’est le quartier général du festival et nous avons rendez-vous avec son directeur. Ahmed Saâd Zniber est un homme humble. Il souhaite sortir du cadre engoncé des soirées officielles, ouvrir le festival de Fès au plus grand nombre.
Notre tour du monde des musiques l’enthousiasme. Serions-nous d’accord pour diffuser nos enregistrements chaque jour à la terrasse du café littéraire ? Nous sommes enrôlés dans le festival ! Allahou akbar !!!
Les paillettes du showbiz
« Je suis une star de la chanson dans tout le monde arabe. »
Dans les couloirs du palace, Noaman Lahlou se présente en toute modestie. Manières raffinées, démarche ondulante et brushing impeccable, notre « facilitateur » tranche avec les cheveux gominés, les poils de torse et les escarpins luisants de son impressario clinquant. Nous ne reverrons plus ce couple burlesque passé la porte de l’hôtel. Paillettes du show-business…
Tapis rouge, robes de soirée, smokings, nuages de parfum… À la cérémonie d’ouverture du festival, nous ne manquons pas de passer en revue la garde royale, au garde à vous. Nos pantalons à zip et nos claquettes en plastic font forte impression !
L’ambiance d’un festival
Au fur et à mesure que le corps de Lou se couvre de boutons d’insectes avec lesquels il dort, les concerts se succèdent : musique andalouse, sahraouie, séfarade, soufie, gnaoua, orthodoxe, tchétchène, afghane… Nous remplissons nos mini-discs de riches heures musicales.
A l’abri des murailles de Bab Maquina, allongés dans les jardins du musée Batha, sous les plafonds sculptés du palais Moqri, le décor est digne des mille et une nuits. La musique a remplacé les histoires de Shéhérazade.
À Bab Boujloud, où se déroulent les concerts gratuits, une foule en liesse accueille chaque fin d’après-midi les artistes du Maroc et d’ailleurs. Au pire, c’est un succès, au mieux, un triomphe. La jeunesse marocaine chante, danse et slame ! Comme dans les concerts de trash ! Décidemment…
Le bruit des rangeos
Une partie de foot s’est improvisée à la lumière orange d’un réverbère bègue. Pleins de finesse – mais toujours trop perso -, ces diables de Marocains nous épuisent. Nous nous reposons quelques instants sur les marches de la médina, savourant la fraîcheur de la nuit. Pourquoi les hommes se taisent-ils soudain en s’éclipsant discrètement ? Étrange silence, déchiré par le crachouillis des talki-walkis qui se rapproche du haut de la rue.
Bombers, casquettes, bruit des rangers sur le pavé, les molosses de la brigade touristique s’arrêtent juste devant nous. Un gamin est emmené manu militari. Dans l’assistance, personne ne souffle mot. Le groupe se disperse. Chacun rentre chez soi.
Toute la schizophrénie du Maroc est là. Dans ce Maroc à deux vitesses, où il vaut mieux être né du bon côté de la barrière. Et chez nous ?
Festival des musiques sacrées de Fès
Le festival de Fès des musiques sacrées existe depuis 1994. Il attire des grands noms de la musique venus des quatre coins du monde. Pendant une semaine, les concerts se tiennent dans le décor magique de l’ancienne médina de Fès. Une super occasion de visiter la ville. Si les hôtels chics sont pris d’assaut, ceux de la médina restent à disposition. Pensez à bien fermer la fenêtre…
Dates : Courant juin.
Tel : +212 (0) 535 74 05 35
Mel : contact@espritdefes.com
Web : fesfestival.com
Commentaires
Qu’il est difficile de parler d’un voyage et des rencontres qu’on a pu y faire, des instants si privilégiés qu’on a pu y vivre, parfois magiques…cela ne semble appartenir qu’à soi.
Et pourtant…j’ai l’impression d’y être encore !
Merci Mat pour cette plume si douce, si précise et tellement sensible.
JB
Héhé ! C’est pas mal de garder des traces écrites, hein Lou ? 😀
Je crois que c’est un de mes moments préférés du voyage ! D’ailleurs il faut que je rajoute un peu de musique, on en a tellement enregistré… Peut-être Gilala ?
Merci pour le commentaire qui fait plaisir et à très vite pour de nouvelles aventures (peut-être pas à vélo hein ? 😉 )
Mat
J’ai assisté au festival de Fès en 2014 et j’ai adoré. L’ambiance était vraiment chaleureuse et la musique captivante. Je n’oublierai jamais ce jour. Merci pour ton article. À bientôt.