Ce trek au Maroc sans guide est un enchantement. Déjà deux jours de marche nous séparent d’Amtoudi. Nous avons suivi le canyon, gravi la falaise. À chaque virage, à chaque nouveau tableau, un nouvel émerveillement. Même si le soleil n’est pas là.
Le feu
Aux bivouacs, nous trouvons parfois la trace de feux minuscules. La sobriété des nomades vaut tous les traités d’écologie. Les notres, de feu, sont flamboyants. Ils nous lavent de la fatigue du jour. Le soleil n’est pas là ? Nous l’invoquons chaque soir autour du foyer. Lorsque nous nous taisons, le feu parle pour nous. Il claque comme un drapeau au vent. Il sera le seul signe de notre passage. Derrière nous, rien que des traces minérales.
Les flammes font danser la falaise. Le palmier qui bruisse, la table taillée dans la roche, le mur de pierres sèches… Dans ce clair-obscur, tout prend une teinte hors du temps. Je demande à Bertrand de raviver le feu pour prendre une photo et m’éloigne, de l’autre côté du grand à plat rocheux où l’eau court de roche en roche.
« C’est bon comme ça ? »
Je lève la tête. Deux rameaux de palmier enflammés embrasent le campement. Bertrand les agite du bout des bras comme un contrôleur aérien pyromane. Depuis des milliers d’années, les hommes habitent Boulaquas, ce lieu où nous allons passer la nuit. Ce soir, c’est notre tour. Au pied de cette falaise abrupte, est-ce qu’ils jouaient avec le feu, eux aussi ?
L’eau
Nous avons fait le plein d’eau en prévision du manque. Le canyon s’évase, les mares croupissent en silence, les couleurs sont ternes, le ciel nuageux. Par moment, le soleil perce et allume les sommets. Le vent, lui, annonce l’averse.
Elle viendra. Au sommet du cratère, là où nous sommes les plus vulnérables. Une averse de désert : quelques gouttes aussitôt bues par la pierre. À peine de quoi faire un impact au sol. Juste une mise en garde. Le décor est aride. Longues courbes des strates colorées, fond clair des oueds, pistes caillouteuses escaladant les pentes vers d’improbables lieux peuplés. Le plateau est atteint. Il nous bluffe par sa beauté nue.
Les traces d’un chevreau dans le sable humide sont les seules présences de vie. Nous finirons quand même par croiser un homme, sobre comme un arbre sec. Premier bivouac sans eau à proximité. Les vache qui rie-oignon rouge croqué comme une pomme-thon à l’huile sont notre festin. Le tajine d’Abdou, notre graal.
Les hommes
Abdou est une des bonnes raisons de venir à l’auberge « On dirait le sud ». Son mélange d’épices est un secret qu’il vend par petits sacs de 50 Dirhams. Tout ce qu’il peut dire, c’est qu’il agrémente ses légumes de zestes d’orange.
À la table d’à côté, « Monsieur Pierre » partage le même tajine. Pierre Beaubrun, français du Maroc et méhariste depuis toujours. « 1124 km sans toucher le goudron » lance-t-il d’un ton voilé. Mais l’œil pétille. Modestement, il partage avec nous les « trucs rigolos » qui occupent sa retraite d’ancien océanographe.
Éffarés, nous découvrons sur l’écran de son ordinateur ce que nous avons râté durant notre marche : fenecs, aigles royaux, gazelles, vipères à cornes, najas… Lui connaît tout : le prénom des escargots, le nombre de familles de grenouilles qui survivent dans l’oued, l’effet funeste du jus de cervelle de hyène sur le métabolisme humain, tout.
Le soleil d’Amtoudi !
Des formules liturgiques se balancent sur le disque laser accroché au rétroviseur. Installés sur la banquette arrière de la R18, nous faisons corps avec la route qui nous ramène à la civilisation, celle du goudron. Les suspensions molles font merveille sur la piste.
A l’extérieur, les pics des montagnes se découpent sur un ciel bleu narquois. Les deux vieux à l’avant s’échangent quelques nouvelles à bâton rompu avant d’engager une conversation convenue avec les touristes de passage.
- Vous connaissez Amtoudi ? Combien de jours ?
- 4 jours dans le canyon. On a marché jusqu’au plateau. Jusqu’à Boulaquouas.
Comme un seul homme, ils se retournent et nous regardent de haut en bas. La capuche leur en tombe.
« Boulaquas ?!?… Oooooooh, bien, bien ! »
D’un mot, nous sommes devenus un peu des leurs. L’œil plissé, ils rayonnent. C’était peut-être ça, finalement, le soleil d’Amtoudi.
Commentaires
C est super ! et je garde un souvenir inoubliable de la région d Amtoudi.
Merci pour ce voyage qui ravive mes souvenirs de 2000.
Bonjour, j’aimerai faire le même treck que vous celui de Amtoudi jusqu au plateau. Mais je n’arrive pas à situer ce plateau. Le nom que vous lui donner, je ne le retrouve pas sur les carte. Pouvez vous le dire où cela ce trouve exactement ? Merci beaucoup
Anthony
Bonsoir Anthony ! Boulaquas, c’est le nom du lieu où nous avons dormi mais peu importe le nom du plateau… Pour y aller, c’est toujours tout droit en suivant le fond du canyon, qui se trouve lui-même en direction de la palmeraie. Depuis Amtoudi, c’est inratable, puisque Amtoudi se situe au débouché du canyon. Il suffit d’imprimer quelques cartes depuis Google maps et c’est bon. Juste… Faites gaffe à la météo. Bonne rando !