La Lozère sous le signe des vautours

C’est la fin du voyage à pied. Une dernière étape placée sous le signe des vautours. Il y a eu un début, il doit y avoir une fin. Des falaises de la Jonte aux gorges du Tarn, les rapaces m’ac­com­pagnent pour un baroud d’honneur.

C’est la fin du voyage à pied. Une dernière étape placée sous le signe des vautours. Il y a eu un début, il doit y avoir une fin. Des falaises de la Jonte aux gorges du Tarn, je chasse ma tris­tesse entre les paysages pétri­fiés du Causse Méjean.

Grosse fatigue. Je sors de cinq jours sans douche, à planter la tente et à bricoler des repas sans pain. Je rêve de boulan­ge­ries. Mes semelles sont usées jusqu’à la limite du raison­nable. Je marche en dedans, dans l’espoir qu’elles tiennent jusqu’au prochain cordon­nier. Mes chaus­settes sont piquées d’une multi­tude de graines. Le clavier de mon ordi­na­teur ne recon­naît plus les voyelles que lorsque j’insiste. Mon appa­reil photo, râpé sur tous les côtés, refuse de s’éteindre. Deux objec­tifs ont fait un séjour chez le répa­ra­teur, le troi­sième ne tourne plus vrai­ment rond. La batterie de mon télé­phone est au point mort…

Moi aussi. Physi­que­ment, mon corps réclame une trève. À chaque étape, j’ai besoin de plus de repos. Les nuits en tente et les repas lyophi­lisés ne suffisent plus.

Ce n’est certai­ne­ment pas le moment de lâcher ! Je suis au cœur de la diago­nale. La Lozère est le dépar­te­ment le moins peuplé de France. Je sais tout ce qui m’attend encore mais je suis trop usé.

Fin de partie dans les Cévennes - Carnet de voyage France

L’épreuve de la marche

Ce n’était pas prévu comme ça. Depuis quelques semaines, le voyage est devenu une épreuve. Je suis parti à pied pour voyager au rythme naturel de l’homme, voir le paysage évoluer à son allure, à son échelle. Surtout, je suis parti pour faire des rencontres. Pas pour relever un défi sportif.

Mais depuis les Pyré­nées, le lumbagol’arrivée du Carrix et ma trans­for­ma­tion en animal de trait, la marche n’est plus un plaisir. Je me lève tous les matins avec le dos qui tire. Même si la machine tient bon, elle est soumise à rude épreuve.

Marcher le pied agile, un petit sac sur le dos, l’appareil en bandou­lière… Le temps d’une randonnée aux portes des Cévennes, j’ai retrouvé cette liberté de mouve­ment. Jusque là, le Carrix m’avait permis de soulager mon dos et, moyen­nant quelques contraintes, de pour­suivre le voyage à pied. Aujourd’hui, je veux retrouver le plaisir du dépla­ce­ment sans entrave.

Ironie du voyage, je suis venu dans la vallée de la Jonte pour observer une espèce passée maître dans l’art de se déplacer sans bouger un cil.

En Lozère, randonnée sous le signe des vautours - Carnet de voyage France

Au bord de la falaise

Il faut se lever tôt en Lozère pour que le ciel blafard et les couleurs déla­vées ne vous fassent plisser les yeux. Dans la fraî­cheur du matin, les odeurs de pin finissent de me réveiller. Je suis le chemin qui mène au bord de la falaise, là où mon contact sur place m’a indiqué l’endroit, la veille.

Un panneau m’avertit : j’entre dans la zone de réin­tro­duc­tion origi­nelle. J’ai un peu le trac. Serai-je visible ? Seront-ils là ? Comment vont-ils réagir ? Que faire pour ne pas les effrayer ?

Un sentier sur la droite, un autre, confor­mé­ment aux expli­ca­tions. J’ôte le chèche indigo qui me protège du soleil. Mes pas se font plus lents, plus silen­cieux. Parmi le vol des insectes, plus que le grin­ce­ment du cuir de mes chaus­sures et quelques épines qui craquent sous mes semelles. Grand bruit de plumes sur ma gauche. Je me rapproche du lieu où nichent les vautours

Le chemin plonge soudain entre les roches, serpente entre les buis et les rochers. J’accélère le pas, accroche des toiles d’araignées qui se collent à mon visage. Un dernier bosquet. Derrière, plus rien d’autre que le ciel, la falaise et le vide.

« Il faut du temps pour découvrir un pays »

Constant a passé plus de trente ans à observer ces gorges de la Jonte, « les plus belles gorges ».

À l’école, déjà, il se mettait du côté de la vitre pour regarder dehors. Le ciel, la nature, un oiseau qui passait, tout ça le boule­ver­sait. Sa passion pour l’ornithologie grandit. Un jour, on lui propose de parti­ciper à la réin­tro­duc­tion du vautour fauve. La mission devait durer quinze jours. Il n’a plus jamais bougé.

« Les rochers qu’on a devant nous, ça fait plus de trente ans que je les regarde. Mais si je m’arrête et que je regarde bien, je découvre toujours quelques chose ! Il faut du temps pour décou­vrir un pays…»

« Des ailes pour ensemencer le ciel »

Pour observer les vautours, l’endroit est idéal. Plus de cinq cents couples de vautours fauves nichent désor­mais ici, grâce au travail de passionnés comme Constant. Je lui demande, un peu provoc, à quoi ça sert.

« À la maison des vautours, notre boulot, c’est de parler de la biologie des vautours mais aussi, petit à petit, de faire prendre conscience aux gens que tout est là, autour d’eux. L’observation de la nature, ça t’amène à la poésie. Les vautours sont juste une porte qui ouvre sur d’autres portes. »

Mais il a une autre réponse. Elle lui vient de l’ornithologue Paul Géroudet :

« Des ailes, des ailes, des ailes
pour ense­mencer le ciel
quand brille le soleil
afin que leurs ombres reviennent
caresser les flancs rocheux de la terre. »

Voilà à quoi servent les vautours.

Sur le Causse Méjean

Je repars avec quelques plumes volant autour de mon sac. Pourvu qu’elles l’allègent !

Délais­sant le GR6 et les gorges du Tarn, je coupe à travers les champs de pierre du causse Méjean. Jaune paille, vert sapin, gris pierre, bleu ciel… La palette céve­nole est minimaliste.

Une parcelle de bois mort soupire dans le vent. Des dizaines d’arbres gris argenté s’ouvrent sur un pan de ciel. Tombé à terre, l’un d’eux me barre la route. Quelque chose flotte dans l’air. Je fouille dans ma poche, sort mon télé­phone pour faire une photo. Appel manqué. Pas de message vocal mais un sms court : « Mat, papi est en train de nous quitter tout douce­ment. Les parents sont à son chevet. Le personnel médical s’occupe bien de lui. »

Dans les ronces, il y a des petites tâches rouges sang. Des fraises des bois.

Baroud d’honneur

Je marche toute la journée. Sans m’arrêter. Ni faim ni soif. Mettre un pied devant l’autre me vide la tête, me donne l’impression de pouvoir faire quelque chose. Je voudrais arriver avant son dernier souffle. J’ai encore des choses à lui dire.

C’est un jour gris de la terre jusqu’au ciel. Parmi les reliefs pelés, on devine la roche sous le moindre monti­cule. Elle affleure sur le bas-côté des routes. Des cailloux parsèment tous les paysages.

Arrivé aux bords du causse, l’horizon s’ouvre. Les vautours, toujours eux, planent sur les gorges du Tarn.

Agrandir le ciel

« On associe toujours les vautours à la mort. Pour­tant dans d’autres cultures, c’est le contraire. »

m’avait dit Constant. Chez les Tibé­tains, on offre les cadavres en pâture aux vautours qui aident les âmes à s’extraire et les guident vers les cieux. L’enterrement est céleste.

Je regarde les petits points noirs qui se détachent sur les nuages. Paul Géroudet avait raison :

« Les vautours agran­dissent le ciel. »

Ils auront bien une place pour mon vieux papi.

Pour moi, le voyage continue. Diffé­rem­ment.

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Merci Mat pour cette belle aven­ture nous avons décou­vert grâce à vous de nouveaux coins de France et nous avons surtout pris le temps de nous poser de vous lire et de profiter de vos photos…merci de nous dire si votre blog restera ouvert et si nous pour­rons nous y référer de temps en temps…

Merci Eléo­nore 😀 Très heureux de vous avoir emmené un peu avec moi à travers cette diagonale.
Mais le voyage n’est pas fini ! C’est la fin d’un voyage, le voyage à pied. Un nouveau voyage commence…
Il reste encore de très beaux endroits à décou­vrir. À bientôt pour la suite de ces aventures 😉

Prends soin de toi, de tes proches, de ton dos… et repars du bon pied pour la suite, enfin, repars avec le moral et l’envie de conti­nuer, différemment.

Tu nous as merveilleu­se­ment fait rêvé, Bravo Mathieu ! Et ce n’est pas fini, que nous réserves-tu donc ? Tu as encore plus d’un tour dans ta valise, je crois bien. Bises de Meuse où le froid arrive, tu as bien fait de passer en été !

Martine ! J’ai l’im­pres­sion de t’entendre 🙂
Oui, tu as raison, j’ai encore quelques belles surprises à venir. Le voyage est loin d’être fini mais il va changer de visage !
Il faudra que je vienne vous raconter ça. Ce sera l’oc­ca­sion de voir de quel bois la Meuse se chauffe en hiver 😀 Bises

Que dire. Ce récit m’a absorbé Mat ! Vrai­ment. Que de poésie.
J’ai lu tes lignes sans m’ar­rêter une seule fois. Les mots sont si justes !
Je suis désolée pour ta perte. Prends soin de toi & de tes proches. Au plaisir de revenir ici très vite !

Superbe article, autant pour l’émo­tion que pour les photos <3
J’ai connu la Lozère petite, mais je n’ai pas encore pu y retourner, et je ne connais­sais pas du tout ces gorges 🙂

Merci Laurianne 🙂
Oui, c’est vrai que les gorges du Tarn sont plus connues et que tout le monde va se baigner à Sainte-Énimie.
Les gorges de la Honte sont du coup beau­coup moins fréquen­tées – et c’est ça qui est bien 😀
Bon je vais aller voir tes phoques !

Votre article m’a donné envie d’ex­plorer cet endroit, j’es­père que ce sera mon voyage passion­nant. Merci beaucoup

Merci Alexandre ! C’est top si mon article t’a donné envie 🙂 Tu ne devrais pas le regretter, toute la région est super­be­ment sauvage. Et puis regarder les vautours voler, c’est vrai­ment très très relaxant !

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