Une étape sur la via francigena

Péle­ri­nage sur les routes de l’Aube, de la via fran­ci­gena aux chemins de Saint Jacques de Compos­telle, de l’ab­baye d’Au­be­rive à l’ab­baye de Clairvaux…

De la via fran­ci­gena aux chemins de Saint Jacques de Compos­telle, de l’abbaye d’Auberive à l’abbaye de Clair­vaux… Dans l’Aube, sur les chemins de Dieu, je deviens pélerin. Enfin presque…

« Vous êtes sûr que c’en est un ? »

À travers les murs de l’appartement mis gracieu­se­ment à dispo­si­tion des péle­rins de passage par la mairie de Château­villain, j’entends la voisine du dessous confier à ses voisins ses doutes sur mon compte. Depuis que j’ai élu domi­cile dans l’immeuble, elle ferme à clé la porte du bâti­ment. Son roquet monte la garde. Elle lui confie ses angoisses, je l’entends lui parler.

Depuis Aube­rive, je navigue malgré moi d’abbayes en pres­by­tères. Après avoir suivi le GR7 et la voie nord du chemin de Saint-Jacques de Compos­telle, me voilà sur l’axe Rome-Canter­bury de la via fran­ci­gena. En discu­tant avec les – rares – péle­rins de passage, je compare mon rythme et le leur. Le constat est sans appel. Il me faut un mois pour venir à bout du chemin qu’ils parcourent en une semaine.

Le ciel attendra…

À la frontière

À Château­villain, j’épouse le rythme tran­quille de cette jolie petite ville aux fron­tières des anciens royaume de France, duchés de Bour­gogne et de Lorraine. Dans les boulan­ge­ries, les pâtés ne sont plus « lorrains ». Ils sont « à la viande ». Je jette mon dévolu sur les gougères qui ont pris place à leur côté. Chan­ge­ment de civilisation !

De l’ancienne place forte, il reste des kilo­mètres de murs de pierre ponc­tués de tours, parsemés de portes. Derrière les battants de bois de la porte « madame », une surprise de taille : 272 hectares de parc où les daims jouent depuis plus de deux siècles aux paysa­gistes en toute liberté. Je retrouve avec enthou­siasme l’instinct du chas­seur (d’images) que j’avais éprouvé à Aube­rive.

La via francigena en moonwalk

Je reprends la route en direc­tion de Clair­vaux. Dans ma poche, les coor­don­nées de l’hostellerie des dames de l’abbaye. La via fran­ci­gena me mènera, si dieu me prête vie, jusqu’aux sœurs de la frater­nité de Saint-Bernard qui accueillent, outre les familles des détenus, les péle­rins de passage. Clair­vaux n’est pas seule­ment une abbaye. C’est aussi une prison de haute sécurité.

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Plongé dans un de ces ques­tion­ne­ments exis­ten­tiels qui taraudent le pèlerin ( À droite ou à gauche ? Rillettes ou viande des grisons ? 35 ou 77 mm ? 3G ou Wifi ?), je tombe avec stupeur sur le royaume de Jah ! À perte de vue, les plants de canabis dressent leurs feuilles créne­lées et leurs têtes gorgées de sève. Où sont les fumeurs de pétards ?

Sinners, where you gonna run ?

Roulée au coin des lèvres, la ques­tion amuse Fred, l’ouvrier agri­cole de l’exploitation. Gaëtan, le boss, ancien randon­neur, s’émeut de la chaleur sous laquelle je marche. Eau fraîche, melon, fromage, me voilà atablé, désal­téré, repus. Gaëtan m’explique les diffé­rents usages du chanvre non « récréatif » : graines pour les oiseaux, fibres, huile, cordage… La piste « trafic de stupé­fiant » s’évapore dans un nuage de fumée.

Au dessus de nos têtes, un gros orage se prépare mais je ne veux pas arriver en voiture. Je suis un faux pèlerin, pas un faux marcheur. Je me lance sous l’averse finis­sante. Ce n’était pas la fin.

C’était une mise en bouche. Des gouttes-coups de poings s’écrasent sur ma veste imper­méable. Le déluge dure une heure. Je fran­chis le seuil de la frater­nité Saint-Bernard lorsque la dernière tombe du ciel.

La propreté, c’est la sainteté

Je me sens tout de suite mal à l’aise. Tout est trop propre ici. Je me répands un peu partout. De l’eau sur le lino, des brin­dilles dans les esca­liers, de la boue sur le tapis, des graines sur la couette. Je comprends ce que voulaient dire les Alle­mands qui m’ont recom­mandé l’endroit. Sur la porte du placard de la cuisine, la devise :

« Chaque chose a sa place et chaque place a sa chose. »

Lever 7h30 ! J’accuse le coup.

– 7h30 ?!? Pas possible un peu plus tard ?
– 8h00 ? Vous ne vous levez pas à 10h quand même ?!?
– …

Quelle que soit l’heure à laquelle je me lève, tous les péle­rins sont déjà partis depuis long­temps. Par la fenêtre ouverte où pendouillent mes affaires qui sèchent, je les entends s’écrier avec entrain.

Cette allé­gresse inal­té­rable me met de mauvaise humeur. J’ai l’impression d’être le mauvais élève. Les sœurs lavent, rangent, s’activent alors que j’hésite encore sur le programme du jour. Je quitte ma chambre bleu pastel en lais­sant sur mon matelas quelques graines sauvages, miettes d’herbes et boules crochues.

Pèlerin ? Non, à coup sûr non ! Je me trans­for­me­rais plutôt en homme des bois. Hermite ? Va pour hermite !

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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