Au Kazakhstan, les dangers d’une photo et d’un lever de soleil

L’his­toire d’une photo ou comment un lever de soleil sur les montagnes célestes du Kaza­khstan a bien failli tourner à l’in­ci­dent diplomatique.

La photo n’est pas bonne. Et pour­tant elle aurait pu nous coûter cher. Comment un lever de soleil sur les montagnes célestes a bien failli tourner à l’incident diplomatique.

C’est l’étape la plus courte de notre tour du monde. Nous n’avons pas passé 24 heures au Kaza­khstan. Nous ne sommes pour­tant pas prêts de les oublier.

Alma Ata n’est qu’une ville de transit sur la route pour l’Ouzbékistan. Nous espé­rons y trouver un restau­rant où, comme dans les films d’Emir Kustu­rica, les hommes dansent sur les tables au son des violons, une bouteille de vodka sur la tête.

La nuit sera blanche et arrosée.

Au pied des Monts célestes

Le soleil se lève lorsque nous repre­nons le chemin de l’aéroport. Les premiers rayons enflamment les sommets enneigés des Tian Shan, les monts célestes, 4000 mètres de roche abrupte qui séparent le bassin chinois du Tarim des hauts plateaux kazakhs. Le spec­tacle est gran­diose, mais les tours de contrôle gâchent un peu le paysage. La vue serait certai­ne­ment plus dégagée en se faufi­lant sur la zone de travaux bordant l’aéroport.

Un gros ouvrier casqué me donne son accord. Je traverse le chan­tier, esca­lade le mur d’enceinte. De vilains fils élec­triques barrent le ciel et balafrent les sommets en feu. Le toit du bâti­ment en construc­tion offri­rait le point de vue idéal… Personne pour me l’interdire… L’échelle de ferraille qui me défie. Je ravale ma peur, oublie mon vertige. J’attrape les barreaux, grimpe réso­lu­ment jusqu’au sommet et atteins le point le plus haut de l’aéroport. Exac­te­ment ce que je voulais, je domine tout. Clic-clac, l’instant magique est sur la bobine.

Interdit au public

Coup de sifflet de l’autre côté de la barrière. La sécu­rité m’a repéré. Ordre de redes­cendre. J’emboîte le pas d’un homme en uniforme.

Un panneau défend l’accès du sas que nous traver­sons : « Zone inter­dite au public ». Des molosses en treillis, mitraillette en bandou­lière,me jettent des regards inqui­si­teurs. Je dis bonjour à tout le monde et dispa­rais dans le couloir sombre d’un bâti­ment cras­seux. Pièces exiguës, armoires crou­lant sous le poids des clas­seurs, des papiers et de la lour­deur bureaucratique.

Dans le bureau où je suis assis, une Kazakh pulpeuse jongle avec trois télé­phones, plusieurs talki-walkis et un terminal télé­pho­nique truffé de boutons, de fiches et de voyants lumi­neux. L’engin a du être, à une époque, la fierté des ingé­nieurs en télé­com­mu­ni­ca­tions. Un homme en uniforme me fait face. Un gradé. Il contrôle mon passe­port, me pose quelques ques­tions que je réussis à décrypter. Je réponds avec le sourire. L’homme commente mes réponses en blaguant, Miss Money­penny me couve du regard, l’atmosphère est détendue. Mais j’arrive vite au bout de mes ressources linguis­tiques.

« Fran­zuski » – fran­çais

« ya ne poni may ruski » – je ne parle pas russe

Comme partout, je commu­nique en dessi­nant ou en mimant. Ça ne suffit pas.

“Vous voyagez seul ?”

Un petit homme pressé, bouche pincée, air grave, vient se mêler à l’interrogatoire. Lui n’a pas envie de rire. Coup d’oeil scep­tique à mon passe­port, réqui­si­tion de mon billet d’avion, Minimoi quitte la pièce d’un pas décidé, emme­nant avec lui les deux précieux docu­ments. Sans papiers ni titre de trans­port, je n’ai plus envie de rire non plus. Je n’en laisse rien paraître et garde l’air détaché.

Le contenu de ma sacoche suscite l’attention. Disquettes, micro­phone, mini-disc, appa­reil photo… Re-ques­tions en russe, re-réponses en fran­glais. J’explique à nouveau l’épisode du toit, le soleil, les montagnes, la photo, l’ouvrier casqué, le tout en gestes et en images. Nouvel échec. Et minimoi qui revient comme je le crai­gnais sans passe­port ni billet.

« Vous voyagez seul ou accompagné ? »

La ques­tion tombe comme un uppercut. Même seul, dans une telle situa­tion, j’aurais répondu le contraire ! Mon instinct de survie commence à prendre le pas sur mon sens de l’humour. Une voix inté­rieure me souffle que je vais y laisser des plumes.

Interrogatoire

Encadré par deux molosses, Franck fait son appa­ri­tion dans le bureau. Regard noir où je lis une montagne de reproches, quelques insultes, et même une petite envie de meurtre. Minimoi ne tient plus en place, quitte la pièce, revient, repart… La situa­tion semble inex­tri­cable. On nous tend fina­le­ment le télé­phone, mais pour appeler qui ? Impos­sible de joindre l’étranger.

Deux heures déjà que cet inter­ro­ga­toire stérile dure et que l’affaire gonfle comme une brioche au repos. Dépassée par l’ampleur de la situa­tion, la sécu­rité de l’aéroport passe la main au contre-espionnage.

Le contexte en Asie centrale ne joue pas en notre faveur. La plupart des ex Répu­bliques Socia­listes Sovié­tiques fêtent les 10 ans de leur indé­pen­dance et redoutent un coup d’éclat de la part des groupes isla­mistes qui contestent les tracés des fron­tières et reven­diquent leur auto­nomie. Avec nos barbes mal taillées, on a vite fait de nous ranger parmi les terroristes.

Le contre-espionnage s’en mêle

Il est blond, les yeux bleus, la tren­taine spor­tive dans un costume noir tiré à quatre épingles. Il pose en silence son attaché-case sur la table, installe métho­di­que­ment ses instru­ments : papier, crayon, et grande première, un enre­gis­treur flam­bant neuf. Nous le regar­dons se débattre avec l’appareil. Faute d’en percer les mystères, il revient fina­le­ment à la bonne vieille dépo­si­tion manuscrite.

« Alors Monsieur Mouillet… » entame mon inter­lo­cu­teur avec un fort accent russe. Ouf ! Il parle français.

Je lui raconte toute ma vie, présente de A à Z notre projet de tour du monde des musiques, plaquette de démar­chage à l’appui. De son côté, Franck fait écouter les derniers enre­gis­tre­ments réalisés en Chine aux musclés qui se partagent l’oreillette, penchés sur le mini-disc. Des sourires de petits garçons émer­veillés illu­minent leur grosse tête de brutes.

D’autres hommes de main sont partis en urgence faire déve­lopper ma pelli­cule et véri­fier la nature des clichés suspects. L’ambiance se détend. La curio­sité de notre inter­lo­cu­teur tourne plus autour de notre voyage que du problème de l’Islam en Asie centrale. Il s’excuse presque de nous poser toutes ces ques­tions, mais l’aéroport est une zone mili­taire… Bien sûr que nous compre­nons, mais de son côté, comprend-il que notre avion part dans moins de vingt minutes ?

Blanchis

Arrivent enfin les envoyés spéciaux avec les photos déve­lop­pées. Pas de traces d’aéroport, nous sommes blan­chis, on me féli­cite même pour la qualité des clichés. Notre inter­lo­cu­teur se confond en excuses, Miss Money­penny va nous tomber dans les bras. Mais pas le temps de nous émou­voir, nous quit­tons tout ce petit monde pour courir après notre avion dont l’embarquement est déjà terminé.

Tout en nous aidant à porter nos bagages, notre inter­ro­ga­teur se confond en excuses.

« Je suis vrai­ment désolé, j’espère que malgré ce regret­table inci­dent, vous ne garderez pas un trop mauvais souvenir du Kaza­khstan. Nous avons aussi un très beau festival de musique, il faudra revenir ».

Je me souvien­drai surtout qu’il y a de belles montagnes

Commentaires

Tiens donc, le Kaza­khstan sera peut-être (ou pas) au programme cet été. Je note donc, pas de photos de l’aé­ro­port ! Il m’est arrivé quelques fois de tomber dans des situa­tions un peu kafkaïennes, mais jamais aussi tendues que ton histoire ! Elles étaient pour moi plus burlesques que stres­santes, même si le burlesque ne saute pas toujours aux yeux de premier abord !!

Tu as complè­te­ment raison, dans le kafkaïen, le burlesque n’est jamais loin. C’était un peu « Burn after reading » des frères Coen, où tout le monde prend l’autre pour ce qu’il n’est pas. Tout était burlesque de bout en bout, même si cette histoire aurait pu aussi finir en eau de boudin ! Le genre de truc qui te fait des souve­nirs à raconter 🙂
Merci Laurent d’avoir lu ce long texte sans images (et pour cause)…

Je ne te le fais pas dire… Je retiens la leçon !
Mais j’ai quand même réussi à sauver ma pelli­cule, et ça, je n’en suis pas peu fier 😀
Merci Romain d’être passé par ici !

et dis moi, avec cette histoire que je ne me lasse pas de relire, es tu toujours en contact avec Franky, le barbu qui t accompagnait 😉

Oui, toujours en contact avec le barbu, qui a perdu du poil je dois dire 😉
Même si là, voyage oblige, on est un peu coupé… Je te file son mail si tu veux !

Ce genre d’his­toire n’est jamais agréable à vivre, mais toujours plai­sant à raconter (et à lire) par la suite ! Je ne t’en souhaite pas trop souvent ! Sympa­thique blogue en passant !

Merci (Pierre-Luc ?) !
Haha, c’est bien résumé 🙂 Sur le coup, on ne fait pas les malins, c’est clair ! Jusqu’à ce que la situa­tion se débloque et que tout le monde en rigole avec un peu de recul.
C’est ce qui fait aussi le piquant des voyages 😉

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