Après trois semaines dans une Inde chauffée à blanc, nous prenons la direction du Népal. Gagner un peu d’altitude et respirer un air moins étouffant nous fera du bien. Mais avant, il faut passer l’épreuve du bus.
Nous avons choisi de relier Katmandou en bus pour épargner nos mollets. De l’Himalaya, nous préférons connaître les descentes plutôt que les montées. Le chauffeur nous a installés, nous et notre montagne de bagages, à côté de lui, sur une banquette étroite et bancale. Franck me tombe dessus et si je ne ferme pas la fenêtre, je tombe du bus.
Mes jambes étendues jusqu’au pare-brise, le bras accoudé à la fenêtre, je ne boude pourtant pas mon plaisir. Être assis à côté du chauffeur et pouvoir mettre les pieds sur le tableau de bord ressemble à un privilège. Nous le partageons avec le petit monde de plastic coloré qui envahit la plage avant du bus éclairée par deux spots vert et rose en forme de grappe de raisin.
Le paradis du kitsch
Le portrait d’un dieu barbu – le Saint-Christophe local ? – nous sourit sous les fleurs rose artificielles fixées sur le pare-brise. Mis en lumière par une guirlande de diodes rouges et vertes qui clignotent en alternance, un bouddha sous la neige trône fièrement au centre de la plage avant. Le baldaquin qui l’abrite passera tout le voyage à tomber et le chauffeur à le remettre d’aplomb. Disséminés un peu partout, des autocollants exhibent de gros costauds en marcel, sourcils froncés, bras croisés, muscles aux aguets. Une guirlande blanc-rouge-violet à pompons fait le tour du pare-brise comme le cadre de ce tableau de maître. Le paradis du kitsch est ici.
Du plafond pendouillent de part et d’autre de la cabine des fils électriques d’où se balancent de minuscules haut-parleurs qui crachent à plein volume une musique indistincte. Avec les cahots de la route, la fenêtre qui menace de s’ouvrir pour me jeter dehors, les crachats des enceintes et les arrêts incessants, la nuit s’annonce blanche… Les coups de freins et de klaxons y veilleront.
Petit lexique de bus parlé
En Inde, le klaxon est le prolongement de la bouche du chauffeur. On discute avec son klaxon. Voici une liste de quelques uns des codes que j’ai cru repérer :
– un coup normal : “attention, j’arrive !”
– deux coups normaux : “attention, je double !”
– deux coups longs et appuyés : “j’ai dit attention je double !”
– un coup très long et très appuyé : “Si tu ne me laisses pas passer, il va y avoir du petit bois…”
– un coup très court : “Salut Robert, ça gaze ?”
– un coup très court (en réponse à un coup très court) : “tranquille, la routine…”
– plusieurs petits coups rythmés : “Tiens ! Et si je klaxonnais un petit coup, moi ?!”
– nuit, appels de phares, pas de coup de klaxon : ” Personne n’arrivera en face dans ce virage, c’est sûr !”
– quinze coups très longs et très appuyés : “Nom de Dieu, tu vas le virer ton troupeau de chèvres ?!!!”
C’est au terme d’un voyage de neuf heures bruyant et cahoteux que nous arrivons à Katmandou, fatigués mais heureux de laisser pour un temps l’Inde derrière nous. Passer une frontière matérialise les kilomètres parcourus, concrétise l’impression d’avancer et remet les compteurs à zéro. C’est un nouveau départ, avec son lot de promesses et d’envies.
Commentaires
Même sans photo, on imagine tellement bien le tableau de bord du bus 🙂
Haha 😀 Merci Sébastien !
Je me souviens que frustré de ne pas pouvoir prendre de photos (j’étais un photographe timide à l’époque, un peu moins aujourd’hui), j’avais scrupuleusement décrit tout ce que je voyais. Je suis content que tu te sois ta petite image mentale. JE suis sûr qu’elle est aussi flamboyante que l’originale 😉
J’espère que tu t’es bien amusé lors de ton voyage. Tes articles me donnent envie de faire le tour du monde. La ville de Katmandou est vraiment magnifique comme endroit. À bientôt.