Dans le sud du Berry, j’arrive au centre géographique de la France. Le moment est particulier. Les élections régionales viennent de se dérouler sur fond d’attentats. Électeurs du front national, agriculteurs écolos, étrangers amoureux de la France… À Chacun sa vision des choses.
« T’as vu les élections ? Cette fois ça va péter ».
Sur le parking de Saint-Amand-Montrond où je prends mon petit déjeuner, j’entends les ouvriers se réjouir. Les résultats des régionales sont tombés et le FN est au second tour dans un nombre impressionnant de circonscriptions.
De me retrouver au centre géographique de la France au moment d’une élection, j’ai le sentiment étrange d’être au cœur des choses. Mais une ville est-elle plus représentative par sa seule position géographique ? Ça n’a pas de sens.
Je fais le tour du rond-point où dieu sait quel élu a planté par la queue un mirage III décoratif. Les petits points noirs d’une escadrille d’oiseaux fendent l’air en murmurant. Je crois qu’ils se moquent de nous…
Le planter de bâton
C’est une belle journée pour reprendre le voyage, après plus d’un mois d’arrêt. Nouveau rythme, avec ces journées qui finissent à dix-sept heures et ces nuits froides et humides qui rendent le camping sauvage pas vraiment glamour.
Le chemin un peu humide glisse sous mes semelles usées, ondule entre les bois. Je repars avec un sac trop lourd et des bâtons de marche dont je ne sais pas trop quoi faire. Chez les poulets, chez les moutons, ches les poneys, ils suscitent l’émotion. À quelle race appartient ce faux quadrupède qui fait un bruit de prothèse ?
Les humains me rangent d’emblée dans la catégorie « sportif ».
Pas lièvre, tortue
« Combien de kilomètres faites-vous par jour ? »
La bonne question, ce serait plutôt jusqu’où je vais… Ma réponse déçoit, alors on me parle de cet Anglais/Suisse/Hollandais croisé ici ou là et qui faisait quarante kilomètres, lui, « par jour, hein, par jour ! » et puis on change de sujet.
Pourtant j’avance plus vite avec ces bâtons. Ils rythment la marche qui devient moins dilettante. Ils relèguent surtout mon appareil photo à la poche arrière du sac à dos. Je ne les aime pas trop, ces bâtons…
Leur seule raison d’être : reporter sur mes bras la part du poids de mon sac à dos qui fait grincer mes genoux. En cela – je le dis de mauvaise grâce – ils sont indispensables.
Bocage et pâté de campagne
Première nuit dans une maison abandonnée. Occasion de valider mon nouveau sac de couchage, zéro degré en température de confort. Je suis prêt pour le camping sauvage, si besoin, libre de mes haltes et de mes mouvements.
Levé tard, j’attaque la journée par le déjeuner. Au restaurant L’éventail, tout est fait maison. Buffet de charcuterie, galette de pomme de terre, cassoulet, plateau de fromage de chèvres, mousse aux deux chocolats et café, pour 12 € et avec le sourire… Imbattable ! La patronne me glisse en prime l’adresse d’une ferme où passer la nuit.
Je passe l’après-midi à digérer mon repas dans des odeurs de terre. Des chemins larges traversent des champs de pâture bordés de haies d’arbres roux. Les routes sont tachées de boue, mordues par le sable.
Je commence à prendre l’habitude de finir entre chien et loup, aux premières lueurs des habitations.
Chez Justine
À La Place, Alex termine juste sa journée. Charpentier de formation, il remet en état le toit de l’immense ferme qu’exploite Justine, sa compagne. On se réchauffe dans la cuisine. Entre les poutres, un petit poste radio distille le programme de France musique. Eloy, le « beau-frère », a ramené quelques échantillons de la bière qu’il brasse depuis quelques mois. Une reconversion. On goûte. On regoûte.
Justine arrive. C’est l’heure de nourrir ses chèvres. Je la suis, curieux d’en savoir plus sur la santé de sa petite entreprise. Les temps sont durs pour les éleveurs…
« Tout va super bien. Je fournis mon lait au fromager qui est un voisin. Lui vend directement aux commerces du coin, aux restaurants, aux AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne). Nous avons notre propre réseau de distribution. Tout est intégré. »
Wwoofing à la ferme
Contenus de la note…Justine accueille dans sa ferme les wwoofers désireux de s’initier aux travaux de la ferme. Chèvres, brebis, vaches, cochons, oies, vaches, poules, canards… De quoi s’occuper ! Ambiance à la coole dans la campagne berrichonne.
Contact : Justine FLOQUET
Adresse : La Place, 18170, LOYE SUR ARNON
Mel : floquet.justine@hotmail.fr
Tel : 06 85 06 11 33
Permaculture et acupuncture
Sa sœur Sandy arrive alors que la soupe de courge ne va plus tarder. Elle s’installe en bio sur les terres de Justine. Elle est en train de planter ses semis et enrage de voir le voisin jaunir son herbe à coup de round-up.
Je passe la nuit au chaud dans la caravane destinée aux visiteurs/volontaires de passage. La ferme pratique volontiers le woofing. L’agriculture que pratique les deux soeurs est aux antipodes de celle que pratiquait leur père, céréalier et éleveur…
Au petit matin, je rends une dernière visite aux bêtes. Idée claire, Intégrale, ISF… Leur nom reflète la diversité des parrains qui ont financé la constitution du troupeau. Dans l’étable, Justine est à la traite, sur fond de musique pop. Elle est un peu en retard, me fait une bise d’adieu et démarre en trombe pour rejoindre sa formation d’acupuncture… pour vaches !
Les fantômes de la campagne
Dans la brume matinale, la terre se repose en silence. Les rayons du soleil qui percent se diffractent dans la rosée. Tout est continuellement humide – mes chaussures compris. Matin et soir, lorsque la brume se lève, toutes les formes disparaissent. Des fantômes flottent dans une lumière gris-bleue.
Ici, le réseau téléphonique est un espoir, l’internet mobile un fantasme. Les appels sonnent dans le vide, les tonalités d’attente résonnent étrangement, les communications coupent sans crier gare… Allô la terre… Ici la diagonale du vide. Ai-je changé de planète ou d’époque ?
Le moral des Français
« Avant, il y avait plus de monde dans les campagnes. Je ne sais pas si je vais rester ouverte encore longtemps. »
Au Châtelet, la tenancière de l’hôtel du Pont Bayard n’a pas trop le moral. Cette année, la fête de fin d’année de l’école municipale est interdite aux grands parents. On évite les rassemblements. Risques d’attentat ! Je n’en crois pas mes oreilles.
Le récent massacre du Bataclan a réveillé des peurs irrationnelles. L’ambiance est au repli sur soi. Même au fin fond de la France, tout le monde est Charlie. Sur les réseaux sociaux, boire un verre en terrasse est devenu un acte militant. Sur le terrain, le principe de précaution domine.
Les Anglais à la rescousse
Je quitte le Cher dans le camping car d’un Anglais de Manchester. David possède depuis vingt ans une maison dans le coin. En Angleterre, c’est connu, le Berry est une aubaine. Les prix à l’achat sont deux fois moins chers que partout ailleurs en France. Et comme il dit :
« Les Anglais ont les bras courts et les poches longues ».
Il va chercher du vin, quelques cartons pour ses amis avant de rentrer au pays. Je me demande si le salut ne viendra pas de l’étranger…
Commentaires
merci pour ce beau carnet de voyage…et les magnifiques photos qui vont si bien avec les mots choisis !
bises
Merci 😀
Ça m’a bien plu, ce petit tour dans le Berry. Les conditions étaient un peu particulières mais j’ai bien aimé ces rencontres faites sur la route. J’y retournerai pour conclure le voyage. Des bises
bonjour Mat,
J’ai découvert votre site il y a peu et j’aime beaucoup vos photos et les textes qui les accompagnent..
Nous avons vendu notre propriété,faute d’argent et de repreneur,qui se situe près de La Chatre, dans l’Indre.
Je me sens déracinée et nostalgique de mon enfance. 5 générations y ont vécus.
J’écris mes souvenirs, pour la nouvelle flopée d’enfants qui ne la connaitrons pas. Un atelier d’écriture m’aide à tenir le cap.
Bourges est tout près. Le Cher et l’Indre , ont des paysages presque identiques.
Avez-vous rencontré des rebouteux et des jeteurs de sorts ?
Le Berry est une terre de sorciers et à Bourges ‚un pretre,fait des exorcismes. Il a fort à faire,parait_-il.
Je vous souhaite de belles rencontres avec de bels gens,de bonnes chaussures et un moral d’acier.
A bientot à travers vos écrits.
Bon courage.
BRIGITTE.
Bonjour Brigitte !
Merci pour votre message 🙂 Je comprends votre nostalgie, une maison c’est des souvenirs ! C’est bien que vous les conserviez par écrit. Pour les enfants, c’est de l’or en barre. Je suis passé à La Chatre, c’est là que j’ai mis un terme à cette première partie du voyage. J’y repasserai pour la fin du voyage et j’adorerais rencontrer des rebouteux ou des jeteurs de sorts. Je serais très intéressé par des contacts, si vous en avez.
Côté chaussures et moral, je suis au top, merci ! Envoyez moi quand même un petit sortilège de protection, on ne sait jamais 😉
Bonne écriture à vous aussi !
Mathieu
haha ! ces anglais ils sont dans tous les bons coups ! 🙂
je sais que t’es dans les Pyrénées en ce moment alors bon courage parce que la météo n’est pas trop avec toi je crois !
Héhé ! Tu as raison 😉 Jamais les derniers, les Anglais…
Merci pour le courage, il est bon. Quant à la météo, je m’en accommode. C’est l’hiver, je peux pas me plaindre que ce soit l’hiver… Quand il fait moche, je reste au chaud et j’écris.
Sauf quand il fait beau et que soudain il fait moche sans crier gare. Là pour le coup, je me sens trahi. Mais ça, ça fait des anecdotes à raconter 😉
Et puis en marchant sous la pluie, les gens vous prennent pour un héros (ou un débile, c’est selon…)
À bientôt Mitchka !
Mat
Salut Mat ! Je commence à suivre doucement ton blog et j’aime beaucoup ton idée de parcourir cette diagonale du vide. C’est déjà très courageux en terme de fatigue et puis parce qu’aux premiers abords, ce ne ne sont pas forcément des coins qui attirent. Tu retranscris très bien ton périple, et les gens que tu croises doivent être souvent de belles rencontres. Tes photos avec la brume sont très jolies ! 🙂
Merci Anne !
Ne t’inquiète pas côté fatigue, je suis le conseil de Jésus : « quand t’es naze, arrête »
Non ce ne sont pas des coins qui attirent, en effet, mais c’est surtout par ignorance. Moi je me régale et j’espère aussi donner envie.
Je voulais faire un voyage que tout le monde pourrait faire. Je crois que c’est le cas. Il suffit juste d’y aller. C’est ça le plus dur.
Ensuite, tout roule, comme tu peux le constater 😀
Bon je dis ça, je me suis fait un lumbago samedi, mais tout seul en me levant de ma chaise, alors ça ne compte pas !!
À bientôt pour la première étape de montagne !
Mat