Le parc national de forêts à vélo

Des gorges de la Vingeanne à la vallée de l’Aujon, itiné­raire à vélo à travers les paysages du parc national de forêts. Bivouacs, héber­ge­ments et rencontres inso­lites au gré des reliefs du plateau de Langres.

Pour les amateurs de paysages et les amou­reux de la biodi­ver­sité, le parc national de forêts est un paradis. Ses 240 000 hectares entre Cham­pagne et Bour­gogne préservent les forêts feuillues et leurs écosys­tèmes… Des gorges de la Vingeanne à la vallée de l’Aujon, la traversée du parc s’avère éminem­ment nature.

Arc-en-Barrois, Haute-Marne, France

Langres, porte d’entrée du parc national de forêts

Aux portes de Langres, le parc national des forêts est la deuxième étape de mon road trip en Cham­pagne. Mon vélo désor­mais réparé va pouvoir reprendre du service.

Depuis les remparts, la rue de la fonte aux fées descend vers la voie verte, pour­suit sa course le long de l’ancienne voie de chemin de fer, traverse Saint-Geosmes et s’immisce progres­si­ve­ment dans un entrelac de champs et de forêts .

Ma desti­na­tion : les gorges de la Vingeanne où je souhaite bivoua­quer pour la nuit.

Les gorges de la Vingeanne

De combe en combe, je prends contact avec le relief plissé et creusé du plateau de Langres, usant mes mollets à descendre puis remonter les versants d’une même vallée. Je fais halte à la ferme des trois tilleuls pour assouvir ma soif. Michel qui savoure une bière dans son jardin n’a pas l’eau courante, mais va me cher­cher dans son stock une bouteille d’eau miné­rale. « On n’est pas des bêtes ! »

Quand je lui indique ma desti­na­tion, son sang ne fait qu’un tour. Il appelle le Didier. En deux minutes, l’affaire est entendue. J’aurai tout loisir de planter la tente au bord de l’étang situé juste à l’entrée du sentier qui mène aux gorges et d’y passer la nuit. Il lui appartient.

La décou­verte des gorges de la Vingeanne se fait le lende­main, aux premières lueurs. Dans la fraî­cheur, à l’ombre du feuillage, dans une odeur entê­tante d’ail des ours, je suis le filet d’eau qui serpente dans son lit. Un chevreuil pris au dépourvu illu­mine la balade. En quelques bonds, il remonte la pente du vallon pour se mettre hors d’atteinte.

Le sentier ombragé s’ouvre et la végé­ta­tion laisse bientôt place à des falaises où l’eau en cascade s’est taillé un passage sinueux. Je suis au pied de la zone-cœur du parc national de forêt

Le dilemme du slow travel

Aujeurre, Vaillant, Mouilleron, Ville­mervry… De combes en combes, les montées et les descentes s’enchaînent et s’annulent mais puisent dans mes ressources celles néces­saires pour faire avancer mon vélo lesté de ses sacoches et de son conducteur.

Je commence déjà à me dire que j’ai peut-être un peu « chargé la mule », pris entre le rythme imposé par les rendez-vous et l’envie de musarder… Avec le vélo, je cours après le temps. Sans le vélo, le dépla­ce­ment ne fait plus partie du voyage. C’est la contra­dic­toire du slow travel orga­nisé au cordeau.

Sur le plateau de Langres, le ciel bleu sombre illu­mine par contraste le vert des arbres et des prai­ries. J’arrive à l’herberie de la Tille juste avant l’averse. On est à 300 mètres de la fron­tière avec la Bour­gogne ! Il était temps de s’arrêter ! Elsa prépare une tisane – sariette, tonique et diges­tive – et nous regar­dons tomber la pluie derrière la fenêtre de sa petite maison en aspi­rant des gorgées brûlantes. De petites cerises s’échappent d’un sac en papier. Les deux chiens Meika et tipop sont venus s’allonger dans un coin. Ici, on n’oublie pas de prendre le temps de vivre.

L’Herberie de La Tille

Elsa connaît bien le charme et les contraintes de l’itinérance. En 2018, elle a réalisé un voyage en auto­nomie avec son cheval et sa mule. L’autonomie, c’est son fil direc­teur aujourd’hui encore. La maison est alimentée par l’eau de la source. Pas plus de réseau élec­trique. Seule­ment de quoi charger le télé­phone et l’ordi. Pas de frigo, chauf­fage bois… Il manque quand même une machine à laver mais la tante au village y pourvoit.

« Quand je suis arrivée ici, on a fait la visite et puis je me suis dit c’est pour moi, c’est sûr. Et ça s’est fait comme ça, mais alors tout de bout. »

Ça fait 2 ans déjà.

Parc national de forêts - L'herberie de la Tille

« Au départ, j’avais construit le projet autour de l’hébergement inso­lite. Je reve­nais de mon voyage et j’avais envie de rendre l’accueil qu’on m’avait donné, envie de conti­nuer à être dans le contact humain mais avec un côté inso­lite parce que ça attire une certaine clien­tèle qui me corres­pond plus, un peu plus rustique et qui est au contact avec la nature. Ça m’a permis d’imaginer aussi des anima­tions avec mon cheval et ma mule, des rando bivouacs… Ça a démarré comme ça. »

Les anciens proprié­taires la forme sur l’exploitation. Titu­laire d’un BTS agri­cole, gestion et protec­tion de la nature, elle s’installe comme agri­cul­trice et attaque les saisons.

« Et après, je continue d’apprendre par les bouquins, sur le tas… »

Dehors, la pluie s’est arrêté et le soleil perce à nouveau. On part visiter le jardin.

Parc national de forêts - Le jardin de l'herberie de la Tille

Un jardin vivant

« Donc le jardin est vivant. Tant que ça me gêne pas pour les cueillettes, pour moi je dis qu’il est fonctionnel. »

Il y a des couleuvres, des lézards verts, des grenouilles au large, un bassin qui est un peu l’oasis des lieux. Des lignes de camo­mille, des menthes vertes, poivrées, berga­motte, l’odeur citronnée de la mélisse, de l’estragon, du thym, de la sariette, de la sauge… Et au milieu, quelques orchi­dées, le « label qualité » qui récom­pense les efforts.

« Tout est pensé pour les tisanes. Souvent les gens ils ne viennent pas cher­cher une infu­sion, ils viennent parce qu’ils ont mal quelque part. Mal à digérer, troubles du sommeil, stress… C’est pas pour le goût. Dans 90% des cas, ils me demandent des conseils. »

Sauf que Elsa est paysanne cueilleuse. En tant qu’agricultrice, il y a une liste de plantes offi­cielles qu’elle ne peut vendre. Pas plus qu’elle n’a le droit d’afficher les propriétés de ses plantes sur les sachets. Chasse gardée des pharmaciens.

« Ça ne m’empêche pas de donner des conseils oralement. »

Parc national de forêts - Elsa de l'herberie de la Tille

Des hébergements insolites

Au-delà du jardin, une roulotte et un tipi offrent un cadre nature et une jolie vue sur l’ensemble de la vallée.

« Offi­ciel­le­ment, je suis plus herberie mais si je n’avais pas les héber­ge­ments, je ne pour­rais pas gagner ma vie ou alors il faudrait faire de l’agriculture inten­sive et ce n’est pas dans mon état d’esprit.

En fait c‘est un tout : les gens viennent parce qu’il y a une herberie, les plantes, une histoire, mon acti­vité à décou­vrir… Il n’y aurait que les héber­ge­ments, il y aurait le cadre qui serait chouette mais il manque­rait quelque chose. »

La vie rêvée

Un cheval, des chiens, un voyage en autonomie…

« Quand je regarde la liste de tous mes rêves de gamins, je peux tout cocher. Vivre sur un site un peu auto­nome, isolé, avec une jolie vue, un joli paysage, vivre aussi d’un point de vue profes­sionnel sur mon lieu de vie, ne pas faire du boulot-dodo-trajet… Et puis être en contact pas mal avec les gens… En hiver, je fais le plein de soli­tude et en été, je fais le plein de rela­tions sociales. À chaque fin de saison, j’ai hâte de passer à la suivante donc c’est bien. »

Pourvu que ça dure !

Auberive

Je reprends la route qui tire vers le nord lesté de deux sachets d’infusion et d’une belle salade du jardin. Direc­tion Saint-Loup-sur-Aujon où je passerai la nuit à la maison de Courcelles.

Sur mon itiné­raire, il y a Aube­rive et son centre d’initiation à la nature qui m’avait réservé lors de ma traversée de la France une nuit mémo­rable et une rencontre inoubliable.

A lire aussi : Observer les animaux au parc national des forêts

Mais j’ai aussi une desti­na­tion à rejoindre et des muscles à nourrir… La quaran­taine de kilo­mètres et les deux vallées de l’Aube et de l’Aujon à fran­chir m’imposent des choix. En arri­vant à Aube­rive, c’est l’estomac qui parle. J’ai en mémoire un repas goûteux et un accueil char­mant à l’auberge de l’abbatiale, juste à côté de l’abbaye. Malgré l’heure tardive, je tente ma chance avec d’autant plus d’espoir que deux vélos stationnent devant l’entrée de l’établissement.

On m’installe dans la grande salle médié­vale où je déjeune d’une géné­reuse assiette de fromages, d’une tarte tatin et d’un verre de char­donnay qui font mon bonheur.

La maison de Courcelles

Sur la route qui redes­cend vers Saint-Loup-sur-Aujon, je croise une colonne de gamins en bottes couverts de boue. Je ne dois plus être loin de la maison de Cour­celles. Effec­ti­ve­ment, je retrouve une flopée de bottes à l’entrée d’une des salles de l’imposant bâtiment.

Dans une cour exté­rieure, une scène de planches est dressée et un duo d’acrobates se prépare pour une séance de travail. Des enfants gambadent un peu partout sur la grande pelouse où paissent quelques brebis. Côté cour, la table est dressée et les cuisi­niers mettent la main à la pate. Au menu ce soir, pizza. Les enfants vont être contents.

Mélanie, la direc­trice, m’invite à partager un verre.

« Moi, je suis le premier contact des instit’ à la maison de Cour­celles. Quand ils me disent « Voilà ce qu’on aime­rait bien faire », parfois ils ont des idées floues mais je vois à peu près ce qui les amène. Et du coup j’essaye de leur proposer de travailler avec des inter­ve­nants dont je pense que la sensi­bi­lité va correspondre. »

Juste­ment, les enca­drants reviennent petit à petit de leurs activités.

« On m’a fait visiter l’île de crado­lantha, à 3 km, dans les marais là-bas… 
- Balade cradoc
- … et je suis HS.
- C’est parce que les pieds sont restés collés !
- Eh ben c’est pas ça mais ces fameuses sorcières, là, dans la vase, on a beau leur mettre un bon coup de talon, et ben non non ! Ça suffit pas, elles nous arrachent les bottes ! Et après la pause, on rencontre des trolls…
- Vous étiez pas mal au retour de la rando crado !
- … Très belle expérience.

Parc national de forêts - Maison de Courcelles

Pédagogie alternative

À la maison de Cour­celles, on pratique une péda­gogie de la liberté. Quatre espaces sont proposés aux enfants : l’espace cirque dans la chapelle, l’espace trap­peur, construc­tion de cabanes, jardi­nage, etc… L’espace ludo­thèque, très bien fourni, qui propose des jeux de société, des jeux d’imitation et des jeux de construc­tion… Et l’espace brico­lage, où les gamins peuvent fabri­quer ce qu’ils souhaitent à l’aide d’une machine à bois et des pisto­lets à colle… Ça peut être un tout petit projet comme ça peut être une fabri­ca­tion qui leur prend plusieurs jours d’affilée.

Parmi ces 4 espaces perma­nents qui sont proposés, les enfants peuvent navi­guer comme ils veulent.

Ils peuvent égale­ment proposer eux-même des sorties ou des acti­vités : dormir à la belle étoile, manger des pizzas dans les chambres… au gré de leurs envies et sans aucun moment collectif imposé.

« C’est jamais tout le monde à 10h tir à l’arc. C’est vrai­ment en fonc­tion de leurs envies et de leur rythme. Donc les premiers levés sont accueillis pour un petit-déjeuner et les derniers levés sont accueillis égale­ment… A leur rythme, à l’heure à laquelle ils vont se lever. Et le repas, c’est pareil, à partir de 12h et jusqu’à 13h30, ils peuvent venir manger quand ils le souhaitent s’ils ont faim et quand ça tombe bien dans leur activité. »

Pour moi, cela sonne comme la colo de rêve. Y a‑t-il des jeunes qui ne veulent pas revenir ?

« Je pense que pour certains, c’est une super expé­rience et pour d’autres, c’est telle­ment décalé de notre système actuel très cadré, indi­vi­dua­liste… Ici on sort des codes, c’est moins rassu­rant, c’est toi-même qui dois prendre tes déci­sions, ton emploi du temps en main, du coup c’est vite… »

Des chants inter­rompent la discus­sion. Deux enfants fêtent leur anni­ver­saire et les deux classes entonnent en cœur « joyeux anni­ver­saire » suivi de la version en anglais. On retourne les assiettes pour se servir en gâteau.

Classes vertes et activités de pleine nature

Le guide sur lequel j’ai travaillé et où figure la maison de Cour­celles passe de main en main.

« Ça n’a pas dû être facile ! Parce que ce ne sont pas des desti­na­tions très touris­tiques…
- Et pas très écolo non plus !
- Après c’est aussi la demande qui crée l’offre touris­tique écolo. Peut-être que le parc national de forêts va apporter ça, et aussi de la visi­bi­lité sur cette région-là parce qu’il n’y en a aucune. Personne ne connaît la Haute-Marne ! Quand tu dis « Langres » les gens pensent que tu as dit « Londres »… Ou alors ils confondent la Haute-Marne et la Seine-et-Marne. En fait c’est vrai­ment le dépar­te­ment qui n’a pas une iden­tité très forte non plus… Ah si ! Les gens qui regardent un peu la météo, ils disent « Ah oui ! Le point bleu sur la carte ! » parce que bon Langres est connue pour être le coin le plus froid de France alors… La Haute-Marne, elle a ce côté confit, qui baigne dans le même jus d’il y a 50 ans.
- Ça change très très vite objecte un des inter­ve­nants
- Très très derniè­re­ment rétorque un second. »

Mélanie reprend le fil…

En tout cas, il y a vrai­ment urgence parce que là, nos gamins – et même les Haut-Marnais – ils sont bien décon­nectés du vivant, de l’extérieur et de la matière en fait.
- C’est pas bien décon­necté, c’est complè­te­ment décon­nectés ! C’est même plus la peine en fait. Moi je suis effaré. Ma géné­ra­tion, on a grandi dans les ruis­seaux, on y a tout appris, c’était la base. On a tout perdu, comme on a perdu en bio-diver­sité. C’est énorme ! C’est d’utilité publique de remettre les gamins dans la boue, dans la flotte… On fait des balades nocturnes, on les emmène le soir en pleine nuit noire dans la forêt. Ils sont confrontés aux peurs, tout seul dans la forêt, tu vois 3–4 étoiles filantes, un renard, tu entends des chouettes… et bien là, il y a 100% des enfants qui n’avaient jamais fait ça. »

Je repense à ma nuit dans le nid d’Amorey, à l’émerveillement que j’avais ressenti… Moi non plus je n’avais jamais vécu ça…

Parc national de forêts - Maison de Courcelles

Guide Champagne éthique et durable

Retrouvez toutes ces adresses dans mon guide Champagne millésimé

Plus de 300 adresses authen­tiques, éthiques et durables pour visiter la Cham­pagne côté nature. Édité par les guides Tao.

Sur la même thématique

Commentaires

Cela fait bien long­temps que je suis tes péré­gri­na­tions et au récit que je viens de lire tes moti­va­tions n’ont pas changées,continus dans ce sens et mon admi­ra­tion suivra.
Salut et bonne route.…..!

Merci beau­coup Jean ! Je me pose toujours des ques­tions sur ce que mes lecteurs attendent de mes histoires et je suis toujours sensible à leurs commen­taires. Le tien me récon­forte. Merci !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Partages
Partagez
Enregistrer
Tweetez