Berlin, toujours pauvre et sexy ?

Berlin, « pauvre et sexy » ? La formule lancée par l’an­cien maire, Klaus Wowe­reit, colle à la ville comme un stickers publi­ci­taire. Hipster de tous les pays, unissez vous… à Berlin !

Berlin, « pauvre et sexy » ? La formule lancée par l‘ancien maire, Klaus Wowe­reit, colle à la ville comme un stickers publi­ci­taire. Hips­ters de tous les pays, unissez vous… à Berlin !

Rue de la commune de Paris, j’émerge de mon concept-hôtel. Le DDR Ostel surfe sur la vague de l’ostalgie. Ses chambres offrent une expé­rience édul­corée de la vie en Alle­magne de l’est. Après un mois dans le quar­tier ultra bobo de Prenz­lauer­berg, le choc est rude.

Karl Marx Allee, l’Allemagne qui perd

Je suis hier, je suis ailleurs. Déam­bu­la­teurs et fauteuils roulants battent les dalles mal ajus­tées des trot­toirs. Une vieille dame perma­nentée, chemi­sier mauve pastel et gilet rouge carmin, émerge à petits pas d’un magasin. La phar­macie célèbre ses 60 ans. Elle n’est pas la seule dans le coin… Les enseignes ringardes ont des relents de XXème siècle.

Au café Sybille, le Tagess­piegel posé sur la nappe titre « Les souhaits et les espoirs se sont réalisés ». Angela Merkel se féli­cite. « Des villes qui étaient grises et cassées sont deve­nues colo­rées ». « ici, ça ne bouge pas beau­coup » commente la serveuse uruguayenne. Les meubles et les gens sont d’époque. Ils vieillissent avec le quar­tier. Trou­ve­raient-ils leur place ailleurs ?

Gentrification avancée

Quelques rushs du futur webdoc « Berlin à contre­cou­rant » sont projetés à la villa Neukölln. Dans un coin de la salle de cet ancien cinéma, Rein­hardt, un grand échalas au sourire timide, a l’air d’un éternel étudiant. Pauvre et sexy, Berlin ? Pauvre, en ce qui le concerne, assu­ré­ment. Il vit au chômage depuis… vingt ans ! Les études de philo­so­phie qu’il a reprises après la chute du mur ne lui ont jamais permis de trouver du travail.

Et sexy ?

« Sexy ? Ça, c’est le marke­ting capi­ta­liste. Pour moi, l’oppression du marché a remplacé l’oppression de l’État ».

À Prenz­lauer­berg, dans son quar­tier, il ne connaît plus personne. 90% de la popu­la­tion a démé­nagé en l’espace de vingt ans. La hausse des loyers est un sujet d’inquiétude pour les plus démunis. 10% par an selon les chiffres offi­ciels, plus si on écoute la rue. La ville change à toute allure. Les clubs technos se traves­tissent en gale­ries marchandes, les bars mutent en restau­rants, des squatts chry­sa­lides naissent des hôtels papillons.

Des startups, des stagiaires, des touristes

Dans les rues de Frie­drich­shain, les chiens se promènent. Au bout des laisses, de drôles d’oiseaux. Crêtes colo­rées, pattes moulées, jeans usés, regards perchés dans les nuages… Trouver du boulot ? Une gageure à moins d’être déve­lop­peur. Berlin est la ville des star­tups, des stagiaires, des chômeurs. On trouve des plats à 3€ et des formules à 5€ dans les restau­rants de la Simon-Dach Strasse. De tables en tables, un vieil homme passe ramasser les bouteilles de bière vides. Consi­gnées, elles arron­dissent sa retraite, centimes par centimes.

En fin de thèse de musi­co­logie et de droits assedic, Chris­tina trouve le slogan « pauvre et sexy » tris­te­ment cynique. Les marchés aux puces qui fleu­rissent chaque week-end et enva­hissent les lieux les plus impro­bables ont certes un petit côté folk­lo­rique sympa… Mais recy­cler, consommer moins, ici, ce n’est pas seule­ment tendance : c’est d’abord une ques­tion de réalisme économique.

Le street art de Blu (avant qu'il ne disparaisse)

Le marketing de l’ostalgie

« Pauvre et sexy ». À qui s’adresse ce slogan provo­quant ? Qui rêve d’une ville pauvre et sexy ? Les touristes ! Liberté de consommer et devoir de diver­tis­se­ment, l’ordre nouveau est taillé sur mesure pour eux.

Berlin est devenue la desti­na­tion festive de l’Europe. On vient y vivre le frisson alter­natif, s’étonner devant les murs taggés des squatts et des struc­tures post-indus­trielles, écumer ses gale­ries et ses clubs… 11,3 millions ont fait le voyage en 2013, record à battre.

Berlin est coole. Hipster. Vintage. Ses murs ont vu la fin d’un monde et la ville vit encore sa crise d’adolescence. Les vapeurs déli­cieu­se­ment anti-capi­ta­listes de l’ex-RDA agissent comme un filtre d’amour sur ses visi­teurs étrangers.

Née en RDA, Chris­tina éprouve un malaise à voir les adresses les plus pres­ti­gieuses de l’est tomber en désué­tude ou devenir au contraire furieu­se­ment tendance. Le marke­ting de l’ostalgie, qui joue à plein, ne lui est pas destiné.

Tourism is terrorism

Au café Laïka, quar­tier de Neukölln, les murs sont décrépis mais le papier peint caca d’oie d’époque est impec­cable, lui. La déco néo-jemen­fou­tiste mêle des meubles chinés aux puces et des éléments déco street-art post-bran­chouilles. L’ambiance se veut prolo mais dans la mise en scène, il y a un peu de condes­cen­dance. Pas besoin d’en voir plus pour comprendre qui sont les gagnants de la réunification.

Les perdants, eux, sont déjà poussés dehors par la flambée des loyers et la disney­lan­di­sa­tion de la ville. Pour une ambiance prolo brute de décof­frage, il faut aller du côté de Schö­ne­weide, là où le NPD, le parti d’extrême droite, joue des coudes et fait grimper les scores… Mais là-bas, aucun touriste n’y va. Les pauvres n’y sont pas assez sexy.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

33 Partages
Partagez33
Enregistrer
Tweetez