Vallée du Tarn : 4 jours sur le GR36

Quatre jours de randonnée avec mon père le long de la vallée du Tarn, c’était une première. D’Albi jusqu’aux portes de l’Aveyron, montées et descentes au rythme du GR36, le long du fleuve, du lit au plateau.

Quatre jours de randonnée avec mon père, c’était une première. D’Albi jusqu’aux portes de l’Aveyron, montées et descentes au rythme du GR36, le long de la vallée du Tarn, du lit au plateau.

Mon père devait venir marcher avec moi. Ma mère, fine mouche, a saisi l’occasion de leur anni­ver­saire de marriage pour nous réunir tous le temps d’un week-end avant de nous séparer, hommes d’un côté, femmes de l’autre. Elles sillon­ne­ront les petits villages en voiture. Nous partons pour une aven­ture de quatre jours à pied le long de la vallée du Tarn. Départ sous les flashs des caméras. On sourit pour la photo, mais on est vrai­ment content.

Mon père et moi, on n’a jamais vrai­ment partagé de moments comme ça, juste à nous. Pas de matchs au stade, de parties de pêche ou de vacances entre hommes… Les rituels s’organisent plutôt autour d’une bonne bouteille ou d’un morceau de musique. Cette randonnée ensemble est une première. On est tout excité.

Par soucis d’économie, il a emprunté mon sac de rando de montagne. Aux pieds, les mêmes vieux modèles premier prix qu’il chausse pour ses balades à la demi-journée. J’ai des doutes sur le tapis de sol. En guise de sac de couchage, une simple couver­ture polaire achetée par ma mère la veille, à l’arrache.

Avec sa casquette à l’envers, son petit pull jaune clair et son unique bâton de marche – pour­quoi en prendre deux ? – il a l’air d’un prome­neur du dimanche. Avec mon Carrix, mes bottes de randon­nées et mes t‑shirts tech­niques, j’ai l’air d’un voya­geur de l’extrême.

On forme une drôle d’équipe. Ça nous amuse.

Randonnée le long de la vallée du Tarn - Carnet de voyage en France

Albi-Marsal : En route pour la vallée du Tarn

La bambou­se­raie à la sortie d’Albi nous plonge d’emblée au cœur du sujet. Passages de gués, lianes et mous­tiques… Le GR de la vallée du Tarn s’annonce sauvage. En contrebas, au pied des côteaux abrupts, le fleuve s’écoule.

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Nous gagnons les plateaux couverts de champs, baignés de soleil. La chaleur étouf­fante justifie une sieste à l’ombre d’un arbre provi­den­tiel. Un vent léger nous rafraî­chit. Une mousse serait la récom­pense idéale de cette première journée de marche, d’autant que la coupe du monde bat son plein et que ce soir, c’est Italie-Espagne.

Mais à Marsal – en gras sur la carte – c’est la diago­nale du vide : pas de bar, pas de bière, pas de télé, pas de réseau…

« Ne bougez pas, je reviens ! »

Le conduc­teur du camion qui nous croise est inter­loqué par mon Carrix. Notre virée au long cours l’enthousiasme – il a le même âge que papa. Depuis qu’il est à la retraite, Alain a retapé la maison de ses grands parents, perchée au dessus des rapides du Tarn. Il nous fait la visite guidée du gîte auquel il vient de mettre la dernière touche.

Nous voilà bière en main, devant la télé du salon. Le toit du garage nous abri­tera pour la nuit. Les chats et les chiens sont ravis !

Randonnée le long de la vallée du Tarn - Sur l'échappée verte à la sortie d'Albi
Randonnée le long de la vallée du Tarn - Le Tarn côté sauvage

Marsal-Ambialet : de la nature et des maths

La nuit a été fraîche. J’ai dormi sur mes deux oreilles ; mon père n’a pas fermé l’œil. Les grillons, le gron­de­ment continu du torrent… En fili­granne, ce que j’entends surtout, c’est que son matelas de sol est une vraie merde et sa couver­ture parfai­te­ment anec­do­tique. Sur le béton, dans l’humidité, pas de miracle.

La route s’enfonce dans la brume mati­nale. Des nuages courent sur le Tarn. Les rives dispa­raissent derrière un voile blanc qui s’évapore pour laisser place à des montées raides. Les insectes se réveillent, les champs vrom­bissent. On croise des crapeaux, il doit y avoir des serpents…

Les plateaux nous réservent une chaleur immo­bile, mais aussi de superbes points de vue sur tous les alen­tours dans une odeur de foin sucrée. Devant un champ en spirale, mon père s’exclame :

« x expo­sant 4 + y expo­sant 4 = 0 »

C’est l’équation de la courbe que le champ trace approximativement.

« J’avais tiré ça en colle de maths quand j’étais étudiant ! »

J’ai toujours été nul en maths.

Marsal-Ambialet : premières douleurs

Dans les sous-bois, des visages appa­raissent dans les souches. La roche affleure sur les chemins. Nous contour­nons les montées trop raides, emprun­tons des routes incon­nues de Google maps. J’ai mal en bas du dos et à la fesse droite. Papa se plaint des genoux et de sa fesse gauche. Fatigué ? « Non non… ».

La mousse bien fraîche et le menu terroir à Ambialet, censés nous retaper, nous anéan­tissent. Sieste (diges­tive, donc, rien à voir avec une quel­conque fatigue…) et nuit à l’hôtel.

Au barrage hydro-élec­trique en contrebas, l’eau qui entraîne les turbines cascade en un beau mouve­ment fluide.

« Ça ressemble au verre qui coule sur l’étain en fusion lorsqu’on fait du verre plat. »

Il y a des secrets bien gardés dans la tête d’un ingénieur…

Ambialet-Trèbas-les-Bains : des mouches et des gouttes

C’est le matin et ma patience est déjà bien entamée par les trois montées raides que nous venons de gravir coup sur coup et le Carix que je dois équi­li­brer en perma­nence le long des sentiers cahoteux.

Sur les plateaux où paissent les premiers trou­peaux de moutons, les mouches viennent butiner nos bras trempés de sueur ! Mon sang bout sous la chaleur. J’ai perdu mes lunettes, ma crème anti- et après-soleil. J’avance en silence, résigné, à fleur de peau.

Papa ne perd rien de son indé­fec­tible bonne humeur et ne rate pas une occa­sion de discuter. Agri­cul­teurs comme prome­neurs, il entre­prend tout le monde avec le même enthousiasme.

« Mais tu n’es pas tout le temps tout seul, quand même !? »

Il a l’air de me plaindre. Cette soli­tude du marcheur ne me pèse pas. La nature me nourrit de l’intérieur. Une fois au village, je sais qu’il y aura des hommes avec qui discuter, au hasard d’un bistro – toujours cette envie de bière fraîche…

À Trébas-les-bains, nous snobons le camping pour un bivouac nature au bord du Tarn, les pieds dans l’eau. Alors que je monte la tente, une odeur étrange m’alerte. Trop tard. Le boudin en caou­tchouc qui assu­rait l’étanchéité de mon réchaud est en flamme. Papa ne l’a pas vu en prépa­rant la soupe. Il a perdu ses lunettes dans l’après-midi… On se venge sur le fromage, la char­cu­terie, les pâtisseries.

Les grenouilles célèbrent l’orage qui survient en fin de soirée. Il nous laisse espérer un peu de fraî­cheur pour le lende­main.

Trébas-les-bains-Brousse-le-Château : forêt vénérable et jungle tropicale

À Trébas, le GR de la vallée du Tarn s’arrête. Au delà, il est toujours plus ou moins prati­cable même s’il n’est plus entre­tenu depuis cinq ans, nous confirme un passionné de rando. Que le jeu de piste commence !

La roche affleure, les herbes sont hautes, nous suivons les balises qui longent la route avant d’aller nous perdre dans les bois. Privé de lunettes, papa se rallie à mon panache bleu – les mouches le devancent. Le lit du torrent nous sert de repère.

Dans la fraî­cheur du fond de la vallée, les mousses et les lychens traves­tissent cette forêt véné­rable en jungle tropi­cale. Les racines bous­culent les murs de pierre, les ronces enva­hissent le passage. Il faut débrous­sailler pour se frayer un chemin.

La galerie végé­tale finit par débou­cher sur le Tarn et la chaleur de ce milieu d’après-midi. À Lincou, pour notre désor­mais tradi­tion­nelle pause bière, nous deman­dons au patron de nous situer dans le temps et l’espace.

« Pour ce qui est des distances, il vous reste environ huit kilo­mètres jusqu’à Brousse-le-château. Pour ce qui est du temps, je ne sais pas, j’ai quitté ma montre en arri­vant dans l’Aveyron, il y a déjà quelques années. »

Nous lui lais­sons nos dernières pièces – pas un distri­bu­teur en quatre jours de marche – et prenons la route pour Brousse-le-Château, terme de notre randonnée. Un bon restau sera notre récom­pense. Ils acceptent la carte bleue.

L’arrivée

« Norma­le­ment, il ne devrait rester plus que deux kilomètres. »

Papa anti­cipe. Je me garde bien de ces projec­tions. Les panneaux indi­ca­teurs ont parfois leur logique mathé­ma­tique propre. Le voyage m’a appris à penser au présent.

À rebours, je me repasse le film de ces quatre jours avec mon père. La soixan­taine de kilo­mètres parcourus. Le Tarn sous toutes ses formes. Les rencontres. Les coups de chaud. La fatigue… Des moments pas toujours bons, mais des moments passés ensemble.

Est-ce que ça lui a plu ? Je crois que oui.

Est-ce qu’il est fatigué ? En appa­rence, pas plus que moi.

Autour de la table du restau­rant, les femmes que nous retrou­vons se réjouissent de nos “bonnes” couleurs. On donne quelques détails du quoti­dien, les menus, les bivouacs… On ne fera pas grand cas des efforts prodi­gués pour rallier Brousse-le-Château. Chez les Mouillet, on a la victoire pudique. Père et fils.

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

merci Mat… quelle esca­pade… quel bonheur de te lire… sans nul doute un moment très parti­cu­lier avec ton père… cela donne à réfléchir …

Hello Arnaud 😀 Hahaha, oui quelle esca­pade ! On en a bavé, et en même temps c’était très beau… Mon père a dit (dixit ma mère 😉 ) qu’il n’avais jamais fait autant de sport ! Ça rend un peu plus tangible ce que je vis durant mon voyage. J’étais vrai­ment content qu’il vienne faire un petit de route avec moi. Un moment privi­légié ! Je recommande… 😉

Tu sais trouver les mots et créer une douce proxi­mité. C’est très plaisant.
J’es­père vrai­ment que nos chemins se croi­se­ront un jour. En atten­dant, je te souhaite une bonne route 🙂

Oh mais toi aussi Audrey tu sais trouver les mots pour me faire plaisir 🙂
Je ne doute pas que nos chemins se croisent un jour. Un peu d’or­ga­ni­sa­tion et le tour est joué !
Sur un bateau ?

Bravo à ton papa Mathieu, super bonne idée de venir partager ton expé­rience. Je me demande : comment vas-tu faire pour revenir à la vie normale ? Tu vas avoir la nostalgie, non ? La bise

Coucou Martine !
Remarque judicieuse 🙂
Mais mes voyages sont suffi­sam­ment longs pour que je désire vrai­ment le retour.
Et puis j’ai prévu le coup : j’aurai fort à faire pour faire aboutir mes projets en rentrant.
Sans compter que ce n’est ni mon premier voyage ni mon dernier.
Normale ou pas, si c’est la vie que je choisis, tout ira bien 😉
Bises

Hello Greg !
Ça fait plaisir de te lire 😀 Oui, si ça te titille, va-z‑y ! C’est l’oc­ca­sion de vivre des moments sympas, un peu hors cadre.
J’at­tends la réponse de mon père, sa version à lui de nos quelques jours ensemble, il paraît qu’il y travaille 😀 Je suis bien curieux de lire ça !
La bise, à bientôt !!!

« Dans les sous bois , des visages appa­raissent dans les souches.…… » Regardez ce visage d’homme grima­çant sur le tronc ‚les dents serrées et les lèvres retrous­sées , j’ai l’im­pres­sion que c’etait NOUS .
Oui c’était impor­tant de partager ce court périple , ne serait ce que pour réaliser sur le terrain ce que chacun(e) des follo­wers du site a vécu en virtuel pendant cette année et demie sur des textes et photos d’une réalité et d’une poésie toujours présentes.
Bien sur on en a chié ensemble , bien sur on a adapté nos rythmes respec­tifs pour harmo­niser les étapes à nos fatigues respec­tives , bien sur on ne parlait pas trop pour garder nos souffles dans les montées rocailleuses suivantes qui nous atten­daient , tout dans ces 4 jours a été à la fois trop court et trop long ( surtout quand on en bavait ) mais si c’était à refaire , j’en repren­drais bien une louche .
Dans un texte je ne sais plus à quel moment , quel­qu’un qui demande : » A quoi tu penses quand tu marches ? » la réponse est : » A rien » , je confirme que ce petit bout de route buco­lique mais très physique sportif , même si ça n’en était pas le but , oblige à concen­trer toute sa réflexion sur .…..ses pas . Et c’est quand on s’ar­rête qu’on est heureux d’etre deux .
Merci Mat pour ce bout d’chemin . Bravo pour l’ex­ploit physique d’un projet qui a pris beau­coup de temps pour se préparer , dont les récits et les images ont régalé les yeux et les oreilles des inter­nautes , à commencer par tes parents . On a hâte de voir le book à Noel !

A la recherche de rensei­gne­ments sur les héber­ge­ments le long du GR 36 (traversée du Tarn), je suis tombée sur vos articles. Quel bonheur de vous lire ! Votre petite esca­pade avec votre père est belle à voir…Merci pour votre partage, Nathalie

Merci beau­coup Nathalie 🙂
Oui c’était un très bon moment et je suis content que cela perce entre les lignes.
Ça méri­te­rait d’être repro­duit, d’ailleurs. Merci pour votre commen­taire qui m’y fait penser.
Et si vous aimez la lecture, sachez que ce voyage existe désor­mais sous la forme d’un livre, dispo­nible dans la rubrique « diago­nale du vide » du menu.
À bientôt, Mathieu

Chouette récit, qui dit pudi­que­ment ce qui vous lie, avec un brin d’hu­mour… Ça me touche, car j’ai perdu mon papa en octobre dernier, et je sais que ce sont des moments tels que celui-là qui nous restent, tout le reste.….….….….….!
Et quelles superbes photos !
Bonne conti­nua­tion, Mat !

Merci beau­coup Marie ! Et merci de me remettre en tête qu’il faut profiter des moments tant qu’il est encore temps. Je vais réflé­chir à la prochaine desti­na­tion pour renou­veler cette expé­rience dont on garde tous les deux un très bon souvenir.

C’est vrai qu’on sait qu’il faut profiter de ceux qu’on aime tant que c’est possible, et que le point final arrive sans crier gare ! Cela peut même sembler une banalité.
Ce que je voulais surtout signaler, et j’en ai pris conscience avec l’ab­sence, c’est qu’une rela­tion est tissée d’un tas de choses : des paroles, bonnes ou mauvaises, tout un compa­gnon­nage un peu routi­nier, mais au final tout cela s’es­tompe. Ce qui reste vrai­ment, ce sont les actions parta­gées, surtout quand il s’agit comme là de moments privi­lé­giés. Avec les actes s’ins­crivent en nous, pres­qu’à notre insu, un tas d’élé­ments senso­riels qui restent et qu’on retrouve comme des pépites une fois la personne disparue.
On a tous vécu l’ex­pé­rience de certains morceaux de musique, entendus sans trop y prêter atten­tion pendant un fait impor­tant de notre vie. Des années plus tard, l’écoute fortuite de ce morceau de musique peut nous replonger illico dans l’état émotionnel du moment et faire émerger plein de souve­nirs ! C’est un peu le même phéno­mène, je pense.
Alors, oui, oui, expé­rience à renou­veler bien sûr… pour votre plaisir, et le nôtre 😉 !!

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