Sur le plateau de Millevaches, collectifs et alternatives

Sur le plateau de mille­vaches, balade en forêt à la décou­verte d’un terri­toire qui reven­dique haut et fort sa diffé­rence et sa liberté.

On m’avait prévenu : « Le plateau de Mille­vaches, ça bouge bien là-bas ». Sans plus d’explications, je savais que j’allais trouver matière à portraits. Du lac de Vassi­vière à Faux-La-Montagne, la balade en forêt m’emmène à travers cette montagne limou­sine qui reven­dique haut et fort sa diffé­rence et sa liberté.

À Tulle, il y a un mur bleu étrange, repeint comme un tableau d’art moderne. À côté de la porte, une plaque usée qui paraît dater des années cinquante. Je partage mon éton­ne­ment autour de moi. L’explication ne tarde pas :

« Ah ça y est, ils ont démuré la perma­nence du PS ? Les mani­fes­tants l’avaient condamné pour protester contre la Loi travail. Le gouver­ne­ment a le 49.3, nous on a le béton prise rapide ».

Le Corré­zien sait mani­fester son mécontentement…

Sur le plateau de Millevaches

Le TER monte jusqu’au plateau de Mille­vaches à travers une forêt fumante et me dépose à Eymou­tiers. Je laisse mon vélo chez le répa­ra­teur de tondeuses-débrou­sailleuses-tron­çon­neuses et vélos pour réparer une roue. L’itinéraire à travers le parc naturel régional de Mille­vaches sera pédestre.

Bali­sage approxi­matif. Les panneaux appa­raissent mira­cu­leu­se­ment quand on ne les attend plus mais la forêt reste accueillante. Les fougères qui s’allument dans les sous bois assurent le gîte, les massifs de mûres le couvert.

Entre les arbres, le lac de Vassi­vière se réchauffe au soleil couchant. Quelques pédalos font durer l’été.

Balade sur le plateau de Millevaches - Eymoutiers en Corrèze

Écotourisme sur l’île de Vassivière

Depuis la jetée qui relie l’île de Vassi­vière à la terre ferme, une forme dans l’eau intrigue : un sous-marin. C’est l’œuvre de l’artiste et ingé­nieur nautique Alexander Pono­marev. L’île abrite le centre inter­na­tional d’art et du paysage où s’organise la rencontre entre nature et sculpture.

Un itiné­raire sinueux mène d’œuvre en œuvre. Conçu comme l’une d’entre elles, un bâti­ment se dresse dans la grande prairie qui sépare le bois du domaine de Vassi­vière. Les artistes accueillis en rési­dence viennent y créer en tenant compte des théma­tiques locales, rurales et envi­ron­ne­men­tales. Je retrouve l’es­prit des refuges d’art d’Andy Gold­sworthy (une de ses oeuvres fait partie de la collection).

« Valo­riser l’état de nature propre au site de Vassi­vière, en préserver le méca­nisme, insti­tuer un tourisme – ou un mode de rési­dence – compa­tible avec cette approche, inviter la popu­la­tion active à parti­ciper à cette entre­prise : projet sans équi­valent réel sur le terri­toire français. »

La charte imaginée par le paysa­giste Gilles Clément dans les années quatre-vingt propose un écotou­risme qui ne tient pas l’homme à l’écart de la nature. Au contraire, il le place au cœur du paysage. Je le prends au pied de la lettre et plante la tente sur l’île. Les visi­teurs mal informés la pren­dront peut-être pour une œuvre d’art ?

À lire aussi : Land art, décou­vrir la nature autrement

Ambiance bois, changer de vie au lieu de changer le monde

La grosse BMW qui me prend en stop démarre dans une odeur de poisson. Romain, son conduc­teur, roule à l’huile de friture par soucis d’économie autant que par respect de l’environnement. Il travaille dans le bois.

Ambiance Bois, son employeur, est l’une des fiertés du plateau de Mille­vaches. Cette scierie spécia­lisée dans l’éco-construction a été créée il y a vingt huit ans par des Pari­siens décidés à changer de vie au lieu de changer le monde. À commencer par leur rapport au travail.

Chez Ambiance BoisSociété Anonyme à Parti­ci­pa­tion Ouvrière, tout le monde est payé le même salaire. Le PDG est choisi au tirage au sort pour deux ans. Des vingt huit sala­riés, peu sont employés à plein temps. La raison : travailler moins favo­rise l’embauche. Le collectif semble au cœur de leur démarche, comme le suggèrent les titres des ouvrages publiés par deux des six cofon­da­teurs : Au « Scions… travaillait ensemble » de Michel Lulek répond le « Quand l’entreprise apprend à vivre » de Marc Bourgeois.

L’année précé­dente, la société a réalisé son plus gros chiffre d’affaire de toute l’histoire de l’entreprise : plus d’un milions d’euros. L’expérience porte ses fruits.

Dynamisme associatif à Faux-la-montagne

À Faux-la-montagne, l’alternative et le collectif, on sait ce que c’est. Les plus chau­vins disent qu’elle est « la ville de France qui compte le plus d’associations par habi­tants ».

À la mairie, la secré­taire confirme. Elle est venue du Nord s’installer il y a douze ans.

« On est tombé amou­reux de la région. Et puis Faux, c’est dynamique ».

Effec­ti­ve­ment… Sur la place de la fontaine, juste en face du gîte communal, je promène ma gour­man­dise parmi la sélec­tion de thés et les petits gâteaux faits maison du Volu­bilis. Sablés à la noix de coco, navettes à l’anis, cookies au chocolat, le salon de thé commer­cia­lise les gâteaux de la biscui­terie asso­cia­tive du Plateau. Une tonne de biscuits ont été écoulés l’année passée pour promou­voir la soli­da­rité et l’échange.

Le lieu accueille régu­liè­re­ment des événe­ments locaux. Ce soir, télé Mille­vaches projette son maga­zine du plateau. Au programme du deux-cent trente deuxième épisode, six court-métrages pour un village, Peyre­le­vade. Un western bien trempé, un film qui fait peur, un clip de métal réalisé par les rési­dents de la maison de retraite… Faite par les habi­tants et pour les habi­tants du plateau, télé Mille­vache diffuse de l’actualité locale, suscite la réflexion et met en valeur la vie du plateau depuis 1986.

En pleine nature et ouverts sur le monde

Dernière escale avant de reprendre la route, la pâtis­serie. Sur le mur, deux affiches impri­mées de noir sur papier craft annoncent la fête de la montagne à Noailles. Sur l’une, un tout petit canton, comme une île cernée d’une mer noire uniforme. L’autre détaille le programme en lettres capi­tales, carac­tères gras… En bas, en guise de signature :

« Nous sommes le territoire. »

Autour du lac, les pêcheurs sont de sortie. Hugo, torse nu, monte et descend sa ligne du haut du pont à la manière des anciens.

« Ce n’est pas la campagne igno­rante ici. Il y a de la culture, on sort, ça vit. Les élus des années soixantes ont créé des ponts avec les grandes villes. Les cita­dins venus s’installer ont repro­duit leur mode de vie. Du coup, on est à la fois en pleine nature et ouvert sur le monde. »

Le prag­ma­tisme de l’ancien maire, Fran­çois Chatoux, a porté ses fruits :

« On ne peut pas se payer le luxe de choisir qui on accueille. Alors on accueille tous les projets et même si la moitié se casse la gueule, ça veut dire que l’autre moitié marchera ! »

Les chiffres lui donnent raison. Depuis 2008, cinquante habi­tants sont venus s’installer à Faux-la-Montagne.

Le chant de la forêt

Après deux mois de séche­resse, il fallait bien que ça arrive. Je me lance sous l’averse. Ce sera le défi du jour et mes retrou­vailles presque joyeuse avec la pluie.

Le ciel est aussi gai qu’un épisode de Derrick. La forêt bruisse comme si elle fêtait le retour de l’eau. Une forêt de Mac Douglas, imposée par les tech­no­crates pari­siens pour valo­riser écono­mi­que­ment ces terri­toires en déshé­rance. En quelques décen­nies, les pâtu­rages se sont refermés.

Au petit pont de Siroueix, la forêt s’ouvre de nouveau sur une lande accueillante, couverte de bruyère et de fougères. L’air est humide. Les pins distil­lent une odeur rafraî­chis­sante. Sur les rives du lac de Lavaud-Gelade, en dehors du hullu­le­ment du hibou, le silence est parfait.

Le cri des oiseaux me réveille au petit matin. Le miroir de l’eau fris­sonne sous les risées. Pour la première fois depuis long­temps, je me lève en ayant froid. Le temps presse. L’automne arrive. Pour moi aussi, il est temps d’arriver. 

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Merci pour cette visite express d’un terri­toire que j’adore. Adhé­rente de Télé­mille­vaches et plusieurs fois en visite à Ambiance Bois, je suis heureuse de leur réussite.
Tout n’a pas été rose pour eux par le passé.
De beaux projets d’ha­bitat à Faux aussi. Un terri­toire magique.
Bises

Bonjour Domi­nique ! Déci­dé­ment, j’ai l’im­pres­sion que tu as trempé dans tout ce qui se fait de bien en matière d’alternatives 😉
Qu’est-ce que tu entends par « tout n’a pas été rose pour eux par le passé ? » Je suis curieux d’en savoir plus…
Je crois que j’au­rais pu passer trois semaines sur le plateau pour faire le tour des initia­tives inno­vantes et rencon­trer les gens qui animent ce territoire.
Encore une fois, je me dis qu’il faudra que je revienne !
Bises de bonne année 🙂

Je découvre votre excellent repor­tage, je suis venu il y a 6 ans dans cette magni­fique région, j’y revient depuis chaque année, tout m’y plait : les paysages, les gens, le rythme… étant très sportif c’est un véri­table bonheur, c’est à la fois dommage que le tourisme reste discret (écono­mi­que­ment) mais telle­ment préservé !
bonne route, et merci pour vos récits passion­nants et les photos sublime.

Merci Nico !
Oui je ne sais pas trop quoi penser du tourisme sur le plateau de Mille­vaches. Je me trompe peut-être mais j’ai eu le senti­ment qu’un certain nombre de gens viennent juste­ment s’ins­taller ici pour qu’on leur fiche la paix. Peut-être qu’il y aurait moyen de conci­lier les deux en déve­lop­pant un tourisme basé sur la décou­verte de ces alter­na­tives et de l’en­vi­ron­ne­ment superbe qu’offre le plateau ?

Oui, je partage ton point de vue, je les comprends en même temps, les balades en fin de journée au couché de soleil sans croiser personne, offre une sensa­tion de liberté et de paix inté­rieur excep­tion­nelle. J’avoue que depuis le temps l’idée de m’éta­blir sur le plateau m’a plus qu’ef­fleuré l’es­prit, déve­lopper un projet alliant écologie et sport nature par exemple. En atten­dant je fais en sorte de m’y ressourcer plusieurs fois par an 🙂

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