Tourisme engagé en Corrèze

En Corrèze, loin des sentiers battus, le batte­ment d’ailes propose une autre manière de faire du tourisme. De l’éco­tou­risme parti­ci­patif et alternatif. 

En arri­vant en Corrèze, j’avais l’intuition d’être au coeur de mon voyage. Loin des sentiers battus, prati­quer un tourisme qui trai­te­rait le visi­teur avec huma­nité, non comme un consom­ma­teur vache à lait qui beugle et qu’on trait. Il y a de ça au Batte­ment d’ailes.

À l’auberge de jeunesse de Beau­lieu sur Dordogne, des cris me tirent de mon sommeil. Les Bretons, si rigo­lards la veille à table, tempêtent leur mécon­ten­te­ment à qui veut l’entendre – autant dire personne, il est 7h15.

« Non mais vous vous rendez compte ? Minuit et quart et ça parlait encore dans le salon ! C’est bien la peine de prôner le respect ! »

À travers les fines cloi­sons, j’entends l’ancien maquet­tiste de bateaux, ulcéré, « passer son déjeuner par dessus bord ».

« La prochaine fois, on paiera plus cher mais au moins on dormira tranquille »

Voilà, faites ça ! Si j’allais dormir en maison de retraite, est-ce que je ferais un scan­dale pour silence abusif ?

Tourisme engagé en Corrèze

La fin des grandes vacances

Dieu merci, c’est la fin des grandes vacances et je devrais retrouver le calme auquel je me suis habitué. C’est aussi la fin du sud-ouest : magrets et foie gras ont disparu des menus. Les cartes des restau­rants tracent les limites régio­nales aussi sûre­ment que les géographes. Dis moi ce que tu manges, je te dirai où tu es. À la Grafouillère, un panneau me souhaite la « Bien­venue au pays du veau fermier élevé sous la mère ».

Je quitte la natio­nale pour des chemins moins recti­lignes qui s’enfoncent au coeur du pays. Les fougères débordent des sous-bois, les bogues des châtaignes jonchent déjà la route serpen­tine où croisent des voitures du siècle précé­dent. Par la vitre, quelques regards méfiants. Un ciel sombre, une scierie aban­donnée, une odeur de sapin… L’atmosphère est lourde comme dans un film de genre.

Heureu­se­ment, il y a le batte­ment d’aile.

Le battement d’ailes

Un panneau indique le « centre agroé­co­lo­gique et culturel » à l’entrée du hameau de Lauconie. Un peu camouflé par la végé­ta­tion, un grand bâti­ment surplombe le village et dégrin­gole la pente en terrasses pota­gères. Parmi les plan­ta­tions, une pancarte peinte en rose déclame « La poésie n’est pas un luxe ».

Le batte­ment d’ailes a pris son envol en 2005. Revi­ta­liser la ferme du grand père et trans­former des pensées en actes, tel était le projet originel. Tout en cueillant les fram­boises qui ont survécu à la séche­resse, Pascal m’explique le credo de l’association :

« Pas trop de paroles, mais des actes. »

Ancrer les choses par l’action, faire pour soi et faire avec les autres. Sur les chan­tiers parti­ci­pa­tifs, un minimum de théorie et un maximum de pratique. Écocons­truc­tion, coges­tion, agroé­co­logie, cuisine à base de plantes… Le batte­ment d’aile expé­ri­mente sur de nombreux sujets. Aujourd’hui il essaime ses savoir-faire à travers des forma­tions, des acti­vités et des événe­ments ouverts à tout public.

J’installe ma tente au camping, entre les yourtes et les fustes qui accueillent régu­liè­re­ment les béné­voles, volon­taires et visi­teurs de passage. J’ai hâte que le jour se lève.

Le battement d’ailes

Même si l’on peut y passer un séjour en tente, en yourte ou en chambre dans un cadre parti­cu­liè­re­ment agréable, le batte­ment d’aile est beau­coup plus qu’un centre de loisir. L’expérimentation en cours depuis 10 ans mise sur le faire ensemble, le partage et la trans­mis­sion. Au batte­ment d’aile, on s’initie, on pratique, on essaye, on observe, on apprend. Des ateliers et des séjours en immer­sion permettent de comprendre ce qui se passe ici, pour s’en appro­prier les meilleures pratiques et les appli­quer ou les diffuser à son tour. Les formules sont à la carte, leur site très au clair sur leur vision. Allez y jeter un oeil !

Adresse : Lauconie 19150 Cornil
Tél : 05 55 26 49 98
www : www.lebattementdailes.org

Tourisme engagé en Corrèze

Jardin pédagogique

Sous la serre, Fred, le jardi­nier en chef, s’active avant qu’il fasse trop chaud. Il est épaulé par Yves, agri­cul­teur en herbe venu aux plantes par le canabis. Aujourd’hui, il souhaite cultiver son propre jardin et devenir maraîcher.

Plus bas, Julien tamise le terreau comme un orpailleur, rempote tendre­ment, plante avec appli­ca­tion. Ancien manager chez Mac Donald, un burn out lui a ouvert les yeux sur une alimen­ta­tion plus respec­tueuse. Fraî­che­ment arrivé, il aime­rait reprendre le potager du batte­ment d’ailes.

Sous les noise­tiers, Camille ramasse les fruits déjà tombés à terre. Après des études de commu­ni­ca­tion et une expé­rience non concluante, elle est venue cher­cher ici autre chose, sans vrai­ment pouvoir dire exac­te­ment quoi.

Mais le jardin n’a pas qu’une fonc­tion péda­go­gique. Les trois mille mètres carrés de maraî­chage servent aussi à nourrir les membres du batte­ment d’ailes, appro­vi­sionner le restau­rant en légumes de saison bio et la conser­verie en produits transformés.

Tourisme engagé en Corrèze

Vin bio et tapas veggie

Juste­ment, à l’occasion d’une soirée théma­tique autour du vin – bio évidem­ment -, David, le chef belge, a préparé tout un repas à base de tapas végé­ta­riens.

En salle, Domino (pour Domi­nique Andiran) raconte l’histoire, la sienne et celle de chacun de ses sept vins. Comment cet ancien moni­teur de ski est devenu vigneron ; Comment il est passé en bio, après s’être empoi­sonné avec des outils de trai­te­ment de la vigne ; Comment la nature lui a enseigné à « être le plus feignant possible » en la lais­sant travailler pour lui.

À contre-courant de ses copains gascons, il élève des vins de qualité là où l’on fait pisser la vigne depuis des géné­ra­tions. Inclas­sables, ses bouteilles n‘arborent ni AOC ni millé­sime pour une raison simple : elles ne rentrent pas dans les cases. Pas plus que les bouchées prépa­rées par David. Au menu :

Soupe froide concombre-poti­maron-verveine
// Vain de rû, blanc sec perlant

Rillettes de sardines-auber­gines farcies 
// Montis regalis, un char­donnay tout frais

Tarti­nade graines de tour­ne­sols-tomates 
// Magnus, rouge gour­mand d’assemblage Merlot-Tannat

Triangle feuilleté patates douces-conté 
// Rumi­nant des vignes, 100% Gros mensaing, complexe comme un Sauterne, léger comme un Gewürztraminer

Le Soyeux et ses arômes de fruits confits fera office de dessert

La soirée sera belle et finira au cul du camion pour emporter quelques souve­nirs liquides. Je me raisonne et n’enfourgue que trois bouteilles seule­ment dans mes sacoches.

Tourisme engagé en Corrèze

Du centre agroécologique à l’écovillage

Installé dans les canapés qui accueille­ront la séance cinéma du soir, Fred retrace pour moi le parcours qui l’a mené jusqu’au batte­ment d’ailes.

« Je faisais un truc un peu comme toi, le tour de France des lieux alter­na­tifs.
– Et pour­quoi tu t’es décidé à rester ici plutôt qu’ailleurs ?
– Parce que le projet… Il marque un silence… J’ai plus envie de dire projet, en fait. Souvent on dit que le batte­ment d’ailes, c’est un chouette projet, mais le batte­ment d’ailes, ce n’est plus un projet. C’est une réalisation. »

Effec­ti­ve­ment, dix ans après sa créa­tion, le projet a trouvé sa vitesse de croi­sière. L’équipe est stable depuis six ans. Aux perma­nents de l’association s’ajoutent les béné­voles qui parti­cipent et viennent déve­lopper leurs compé­tences. Une soixan­taine de volon­taires viennent apprendre et partager des savoirs et des savoir-faire tout au long de l’année.

Un petit point ressourçant

Pensée pour l’accueil du public, la struc­ture est aujourd’hui prête à devenir écovil­lage, une micro­so­ciété « déli­bé­rale » – qui déli­bère et qui met en place une alter­na­tive au libé­ra­lisme – fondée sur l’autogestion, l’agroécologie, l’économie soli­daire et l’éducation populaire.

« On est un petit point ressour­çant. C’est ce que les gens nous disent quand ils repartent d’ici : merci de nous offrir un petit sas de décompression ».

Pour un simple batte­ment d’ailes, c’est déjà pas mal ! On en a bien besoin par les temps qui courent.

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

Sur la même thématique

Commentaires

Encore une fois un grand merci du fond du coeur pour ces beaux partages. Cela m’en­thou­siasme, me fait rêver, me donne de l’es­poir 🙂 <3.….une très belle et lumi­neuse année Mat, tout le meilleur du fond du coeur.

Merci Cathe­rine ! Oui oui, venir par ici donne de l’es­poir ! Il règne une atmo­sphère pas comme ailleurs.
Ça ouvre un peu l’ho­rizon des possibles et ça donne envie de s’y mettre 😉
Merci pour tes voeux, je te souhaite moi aussi une très bonne année pleine de réus­sites et de bonnes surprises.

Merci Marie Lorette 😀 Plaisir aussi de partager ce genre de nouvelles !
Ces projets alter­na­tifs corres­pondent à ce que je souhai­tais trouver durant ce voyage. En matière de rencontres et de projets atypiques, cette fin de voyage a été un véri­table feu d’artifice.
À bientôt !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

7 Partages
Partagez2
Enregistrer5
Tweetez