À Sedan, bienvenue au far-east !

De Sedan à Douzy, carnet de voyage d’un road-trip dans les Ardennes. Où les cow-boys ont des airs de pêcheurs et où le blues se noie dans la bière.

Au programme de ce road trip dans les Ardennes, de la bière et des frites, des histoires de comp­toir, quelques séances de pêche et le blues d’une ville aux airs de belle endormie… À Sedan, les cow-boys sont des pêcheurs et les Ardennes ont des airs de Far-east.

Au milieu de la place d’Alsace-Lorraine, à Sedan, il y a une statue. Un monu­ment érigé à la gloire des soldats morts durant la guerre de 1870. Gravé dans la pierre, cette phrase : « Sans peur, il a été vaincu par le nombre ».

Un siècle et demi plus tard, c’est encore un nombre qui résume l’état de la ville. Celui des déser­teurs. Au camping, Lolita dresse un tableau – noir – de la situation.

« C’est la mort ici. En ville, rien que des cas sociaux. Au bar, rien que des poch­trons. L’avenir est ailleurs. Même le camping est laissé à l’abandon. Même pas de budget pour nous payer le wifi. »

Son bac comp­ta­bi­lité-secré­ta­riat sous le bras, elle se casse dés qu’elle a passé son permis. Ceux qui restent ? Des losers.

Le long de la Meuse, sous la pluie

La convivialité du régime végétarien

Pendant que je fais la queue à la friterie, un ivrogne joue les torreros entre les voitures. La foule commente, mi-inquiète, mi-amusée. Pommes de terres-huile de tour­nesol, céréales et houblon, le régime végé­ta­rien bière-frite semble moins lui réussir qu’à moi.

Au roi de la bière, l’ambiance qui règne est celle du plus vieux pub de France. Les géné­ra­tions se mélangent, une cuvée spéciale célèbre même les 70 ans de l’établissement. Kwak et Karme­litt sont à la pres­sion. Et puis l’indispensable fasci­cule au titre accro­cheur, « comment chier dans les bois », qui trône sur l’étal. Ce bar est une aubaine !

Au Roi de la bière

Voie verte et voie de garage

Dans les rues, les façades sont élégantes mais la période faste de la ville est derrière elle. Usines fermées. Casernes parties. Fini le temps où les ouvriers fondeurs réglaient en vacances rubis sur l’ongle, en coupures de 500 francs. Les demeures impo­santes semblent attendre l’arrivée du prochain train.

Sur la voie verte que je suis depuis Char­le­ville, je fais quelques pas avec un retraité de la SNCF. Déve­lopper l’économie en instal­lant des pistes cyclables ? Aveu d’impuissance des pouvoirs publics. À son époque, on instal­lait des voies de chemin de fer.

« C’était quand même autre chose ! »

Il y en a qui ont du mal à tourner les pages

Road trip et hospitalité ardennaise

Chèche sur la tête, traces de lunettes, coup de soleil sur le nez… J’ai désor­mais pris le rythme de croi­sière de ce road­trip en France. Le plus impor­tant : savoir s’arrêter pour dénouer les muscles et nouer des contacts.

À Lumes, au bar-tabac-presse où je recharge les batte­ries, Madame Isabelle fait du tricot entre deux clients.

« Les temps sont durs. Quand on voit les heures qu’on fait, et ce que l’état nous laisse, on se demande pour­quoi on travaille. »

Complainte clas­sique du commer­çant. Les affaires, ça ne va jamais bien. Et de me donner un sand­wich au jambon et deux pommes pour la route. Au bord de la Meuse, les jardi­niers s’affairent. J’aurai de l’eau si je fais 200 mètres. Et puis je pren­drai bien une bière ? Et puis je pren­drai bien une soupe ? Je dis oui à tout.

Entre deux cuillé­rées, Philippe m’explique l’origine des objets qui s’entassent en bon ordre dans son jardin, son garage, son grenier. Voitures pour enfants, fours à micro-onde, brouettes d’avant-guerre, il redonne vie aux déchets qui jonchent les bords du canal. J’hérite de mon poids en barres choco­la­tées et en biscuits secs issus de rations de l’armée. Ainsi que de l’adresse postale pour pouvoir lui envoyer une petite carte. Ça lui fera plaisir. Moi aussi.

Un petit air de Far-east

Teinte vert pâle des foins coupés dans les champs, cara­vane noyée dans les herbes hautes, un coucou sonne midi. Passé Sedan, le goudron de la voie verte laisse place à la terre du chemin de halage moulée par les pneus des trac­teurs. Je quitte la ville en bus.

À l’arrêt de Douzy, où les élèves digèrent leur journée de cours, la conduc­trice bondit de son fauteuil comme un diable de sa boîte, fond sur un homme, le pousse, l’invective, le met en garde du doigt avant de rega­gner son siège, furi­barde. Harcè­le­ment. La coupe était pleine. Tout le monde est stupéfait.

Au bar 84, les tour­nées s’enchaînent et notre anec­dote délie les langues. Les histoires se succèdent : règle­ments de compte à la tron­çon­neuse, mandales de contes­ta­tion pour une prune mal digérée, huile de friture bouillante à usage défensif… Mira­belle, Babass, les surnoms des prota­go­nistes ajoutent aux récits une touche pittoresque.

Le blues de Sedan

C’est cette hyper­nor­ma­lité qui fait tout le charme de la ville et de ses envi­rons. Ici, tout le monde a sa place. Pas de misé­ra­bi­lisme. « Cas soc’ », c’est une insulte courante, parce que c’est vrai qu’il traîne en ville de drôles de zigo­mars. On les charie et on vit avec. On les connaît par leur prénom. Ce sont les person­nages atypiques de cette drôle de ville qui vit au rythme de l’apéro, des soubre­sauts de son club de foot et des parties de pêches.

Dans les bars, on serre la main des habi­tués comme des inconnus. Il y a une huma­nité et une chaleur humaine quasi-surréa­liste pour un citadin rompu à l’indifférence des métropôles.

Contre la misère sociale, la richesse humaine. Est-ce suffi­sant pour vivre ici ?

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Merci pour ses tranches de vie. Tu narres avec brio le quoti­dien ordi­naire que l’on a tendance à fuir au profit de l’exo­tisme d’un voyage loin­tain… j’aime la poésie et la nostalgie qui trans­pire de tout ça. Très beau rendu photo­gra­phique qui sert parfai­te­ment le texte ! J’ai hate de lire la suite …

Salut Laura ! Merci pour le brio 🙂
Pour moi, rat des villes, c’est un quoti­dien pas si ordi­naire. Je prends beau­coup de plaisir à décou­vrir cet exotisme à la fran­çaise. Tu es de où toi ? Rat des villes ou rat des champs ? À bientôt dans la Meuse 😀

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