Au programme de ce road trip dans les Ardennes, de la bière et des frites, des histoires de comptoir, quelques séances de pêche et le blues d’une ville aux airs de belle endormie… À Sedan, les cow-boys sont des pêcheurs et les Ardennes ont des airs de Far-east.
Au milieu de la place d’Alsace-Lorraine, à Sedan, il y a une statue. Un monument érigé à la gloire des soldats morts durant la guerre de 1870. Gravé dans la pierre, cette phrase : « Sans peur, il a été vaincu par le nombre ».
Un siècle et demi plus tard, c’est encore un nombre qui résume l’état de la ville. Celui des déserteurs. Au camping, Lolita dresse un tableau – noir – de la situation.
« C’est la mort ici. En ville, rien que des cas sociaux. Au bar, rien que des pochtrons. L’avenir est ailleurs. Même le camping est laissé à l’abandon. Même pas de budget pour nous payer le wifi. »
Son bac comptabilité-secrétariat sous le bras, elle se casse dés qu’elle a passé son permis. Ceux qui restent ? Des losers.
Château fort de Sedan
La plus grande forteresse médiévale d’Europe ! Rien à voir avec les poilus ! Ici, c’est l’antre des chevaliers. Donjons et oubliettes, meurtrières et bastions, des seigneurs de La Marck aux La tour d’Auvergne, on passe en revue 1000 ans d’histoire et on retombe en enfance, chevauchant un cheval imaginaire.
Au café Turenne, le bar du château, super tartines de produits ardennais (en vente également sur place) accompagnées d’une petite oubliette moussue, la bière du coin. Bon, pas cher et très copieux. Allergiques à la musique médiévale s’abstenir…
Adresse : Cour du chateau, 08200 Sedan
Horaires : 10h-17h (10h-18h juillet-août) tous les jours
Tarifs : 7,5€ (enfants), 9,5€ (adultes)
Tel : +33 (0)3 24 29 98 80
Web : chateau-fort-sedan.fr
La convivialité du régime végétarien
Pendant que je fais la queue à la friterie, un ivrogne joue les torreros entre les voitures. La foule commente, mi-inquiète, mi-amusée. Pommes de terres-huile de tournesol, céréales et houblon, le régime végétarien bière-frite semble moins lui réussir qu’à moi.
Au roi de la bière, l’ambiance qui règne est celle du plus vieux pub de France. Les générations se mélangent, une cuvée spéciale célèbre même les 70 ans de l’établissement. Kwak et Karmelitt sont à la pression. Et puis l’indispensable fascicule au titre accrocheur, « comment chier dans les bois », qui trône sur l’étal. Ce bar est une aubaine !
Au roy de la bière
Belle ambiance dans ce bar, le plus ancien de Sedan. Serveurs avenants, habitués enjoués, grand choix de bière pression… La Belgique n’est pas loin ! La grande arrière-salle avec billard est parfaite pour se poser au calme et se connecter au wifi gratuit.
Adresse : 19 Place de la Halle, 08200 Sedan
Tél : 03 24 29 01 74
Voie verte et voie de garage
Dans les rues, les façades sont élégantes mais la période faste de la ville est derrière elle. Usines fermées. Casernes parties. Fini le temps où les ouvriers fondeurs réglaient en vacances rubis sur l’ongle, en coupures de 500 francs. Les demeures imposantes semblent attendre l’arrivée du prochain train.
Sur la voie verte que je suis depuis Charleville, je fais quelques pas avec un retraité de la SNCF. Développer l’économie en installant des pistes cyclables ? Aveu d’impuissance des pouvoirs publics. À son époque, on installait des voies de chemin de fer.
« C’était quand même autre chose ! »
Il y en a qui ont du mal à tourner les pages…
Road trip et hospitalité ardennaise
Chèche sur la tête, traces de lunettes, coup de soleil sur le nez… J’ai désormais pris le rythme de croisière de ce roadtrip en France. Le plus important : savoir s’arrêter pour dénouer les muscles et nouer des contacts.
À Lumes, au bar-tabac-presse où je recharge les batteries, Madame Isabelle fait du tricot entre deux clients.
« Les temps sont durs. Quand on voit les heures qu’on fait, et ce que l’état nous laisse, on se demande pourquoi on travaille. »
Complainte classique du commerçant. Les affaires, ça ne va jamais bien. Et de me donner un sandwich au jambon et deux pommes pour la route. Au bord de la Meuse, les jardiniers s’affairent. J’aurai de l’eau si je fais 200 mètres. Et puis je prendrai bien une bière ? Et puis je prendrai bien une soupe ? Je dis oui à tout.
Entre deux cuillérées, Philippe m’explique l’origine des objets qui s’entassent en bon ordre dans son jardin, son garage, son grenier. Voitures pour enfants, fours à micro-onde, brouettes d’avant-guerre, il redonne vie aux déchets qui jonchent les bords du canal. J’hérite de mon poids en barres chocolatées et en biscuits secs issus de rations de l’armée. Ainsi que de l’adresse postale pour pouvoir lui envoyer une petite carte. Ça lui fera plaisir. Moi aussi.
Un petit air de Far-east
Teinte vert pâle des foins coupés dans les champs, caravane noyée dans les herbes hautes, un coucou sonne midi. Passé Sedan, le goudron de la voie verte laisse place à la terre du chemin de halage moulée par les pneus des tracteurs. Je quitte la ville en bus.
À l’arrêt de Douzy, où les élèves digèrent leur journée de cours, la conductrice bondit de son fauteuil comme un diable de sa boîte, fond sur un homme, le pousse, l’invective, le met en garde du doigt avant de regagner son siège, furibarde. Harcèlement. La coupe était pleine. Tout le monde est stupéfait.
Au bar 84, les tournées s’enchaînent et notre anecdote délie les langues. Les histoires se succèdent : règlements de compte à la tronçonneuse, mandales de contestation pour une prune mal digérée, huile de friture bouillante à usage défensif… Mirabelle, Babass, les surnoms des protagonistes ajoutent aux récits une touche pittoresque.
Le blues de Sedan
C’est cette hypernormalité qui fait tout le charme de la ville et de ses environs. Ici, tout le monde a sa place. Pas de misérabilisme. « Cas soc’ », c’est une insulte courante, parce que c’est vrai qu’il traîne en ville de drôles de zigomars. On les charie et on vit avec. On les connaît par leur prénom. Ce sont les personnages atypiques de cette drôle de ville qui vit au rythme de l’apéro, des soubresauts de son club de foot et des parties de pêches.
Dans les bars, on serre la main des habitués comme des inconnus. Il y a une humanité et une chaleur humaine quasi-surréaliste pour un citadin rompu à l’indifférence des métropôles.
Contre la misère sociale, la richesse humaine. Est-ce suffisant pour vivre ici ?
Commentaires
Merci pour ses tranches de vie. Tu narres avec brio le quotidien ordinaire que l’on a tendance à fuir au profit de l’exotisme d’un voyage lointain… j’aime la poésie et la nostalgie qui transpire de tout ça. Très beau rendu photographique qui sert parfaitement le texte ! J’ai hate de lire la suite …
Salut Laura ! Merci pour le brio 🙂
Pour moi, rat des villes, c’est un quotidien pas si ordinaire. Je prends beaucoup de plaisir à découvrir cet exotisme à la française. Tu es de où toi ? Rat des villes ou rat des champs ? À bientôt dans la Meuse 😀