À Bourges, coup de froid et cuisine de saison

Aux portes de Bourges, les marais sont un laby­rinthe de jardins et de canaux à l’écart du monde. Prome­nade gastro­no­mique de la terre à l’assiette.

Aux portes de Bourges, les marais sont un laby­rinthe de jardins et de canaux à l’écart du monde. Prome­nade nature et gastro­no­mique de la terre (fertile) à l’assiette (étoilée), entre deux pous­sées de fièvre.

Une vague de froid s’est abattue sur la France. Je reprends la route, équipé pour l’automne mais surtout pour l’hiver, prêt pour la vie sauvage au grand air. Tout ce que j’espère, c’est éviter la pluie.

Pantalon rouge « tech­nique » type moni­teur de ski, polaire bleu-verte à poils longs, bonnet vert et blanc tricoté main, bâtons de marche carbone light noir et orange fluo, sac à dos bleu… Côté camou­flage, c’est râté. Partout, on me taquine :

« Tiens, la neige arrive ! »
« Alors comme ça, on part au sport d’hiver ? »

Ça devrait me faire rire mais la grippe qui se confirme me rend susceptible.

Demain je reprends la route

C’est ma première nuit à zéro degré, et météo France annonce jusqu’à moins six pour les prochains jours. Le temps est idéal : c’est la tempé­ra­ture de confort de mon nouveau sac de couchage. Une bouteille à la mer lancée sur le site de couch­sur­fing m’épargne fina­le­ment le test gran­deur nature. J’atterris dans le fouillis de jour­naux, de tracts et de bouteilles d’Alexis, ouvrier agri­cole et mili­tant anti-nucléaire. À vrai dire, ça tombe bien… Je suis déjà malade.

L’auberge de jeunesse de Bourges sera mon hospice en atten­dant d’aller mieux. Chaque jour en allant régler ma nuit, je me dis :

« Demain, je reprends la route. »

Les jour­nées passent. Je croise des repré­sen­tants de commerce, des étudiants en alter­nance, des malades en visite pour examens, des spécia­listes de l’histoire de l’Islam… Les couloirs de l’auberge recèlent tout un monde inat­tendu.

Une semaine plus tard, je m’extirpe enfin du fond de mon lit.

Le labyrinthe du marais de Bourges

Je me voyais déjà embarqué pour une balade photo­gé­nique à travers les îlots embrûmés du marais de Bourges. En pous­sant la porte du moulin de Voiselle, je trouve les membres de l’association « Patri­moine Marais » recro­que­villés dans leur local, isolés de l’extérieur par des années de pape­rasses. Les yeux convergent vers le plan cadas­tral qui s’étale sur toute la table.

Dans ce puzzle géant de mille cinq cents pièces, le jeu consiste à retrouver le proprié­taire de chaque parcelle. Cent trente cinq hectares de terres, d’allées, d’îlots, six pour cent de jachères pas toujours bien iden­ti­fiées, héri­tiers et ayants droits dissé­minés aux quatre coins du monde… Le marais de Bourges est un laby­rinthe admi­nis­tratif.

C’est aussi un dédale naturel coupé du monde par les eaux de l’Yèvre et de la Voiselle. Un espace de liberté inédit aux portes de la ville où j’imagine les petites îles – promesses de fêtes esti­vales et de week-ends au calme – comme les plus cour­ti­sées. Erreur ! Si le farniente et les soirées barbecue font parti du charme du lieu, ici, le sport national, c’est le jardinage.

Tous au jardin

Le dernier maraî­cher profes­sionnel a cessé son acti­vité il y a quarante ans mais depuis, mille huit cents maraî­chers amateurs ont repris le flam­beau. Ils plantent, sèment et récoltent les fruits et légumes de cet immense espace vert classé patri­moine remar­quable.

Certes, les adhé­rents de l’association « Patri­moine marais » affichent une moyenne d’âge plutôt élevée, mais la pers­pec­tive d’obtenir des fruits et légumes sains et de qualité attire de nouveaux maraî­chers plus jeunes. Certains alimentent même les meilleures tables de la ville.

Cuisine canaille au Cercle

Au restau­rant Le Cercle, Chris­tophe Lot et Pascal Chau­pitre travaillent les meilleurs produits de la saison. De l’huile aux escar­gots, des fleurs aux crus­tacés, honneur est rendu aux produc­teurs, tous cités à la fin de la carte. Ce sont eux qui dictent ce que le restau­rant propo­sera au menu.

En cuisine, chaque chef propose sa version d’un plat. Des duos créa­tifs, deux manières de faire décou­vrir le produit, d’en révéler les secrets. Pour Chris­tophe, cette cuisine « canaille » revi­site la tradi­tion sans être arrogante.

« Nous voulons rester acces­sible. Il faut que les gens soient à l’aise. Les cours de cuisine que nous orga­ni­sons sont là pour ça, on veut rester proches de nos clients. On vient même les cher­cher à l’hôtel avec la DS. C’est sûr, ça nous fait des bonnes journées…»

Le menu club – salade de bette­rave rouge en fine tranche, mâche et copeaux de Salers – tranche de langue de veau à la plancha, salsifis acidulés – poire au vin chaud, glace au pain d’épice – servi le midi pour seule­ment 26 euros illustre le propos. Imbattable.

« Et l’étoile au Michelin ? Ca met la pres­sion ?
– Pas vrai­ment. Faire aussi bien avec la même régu­la­rité, c’est un défi que nous rele­vons deux fois par jour. Cette étoile, c’est surtout pour l’équipe.”

Une à une, je rends mes assiettes bien nettoyées. Après le coup de froid, me voilà réchauffé, retapé, prêt à reprendre la route. Le centre géogra­phique de la France n’est plus très loin.

Coups de coeur à Bourges - Christophe Lot, un des deux chefs du restaurant Le Cercle

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Bonjour Mat, 🙂
J’ai décou­vert ton blog récem­ment et je doit dire que je me régale à lire tout tes articles !
Je ne connais­sait pas encore Bourges et son marais. Ça donne envie d’y aller faire un tour lors de mon prochain voyage en France. C’est top qu’une asso­cia­tion cherche à protéger le marais.
Il y a beau­coup trop d’en­droits magiques comme ça qui dispa­raissent, faute d’être protégés.
Sinon, ton article me donne faim ! Après tout , une bonne ballade, un bon repas… Il n’y a que ça de vrai ! 😛
A bientôt !
Vincent.
http://www.regardnomade.com

Merci Vincent !
Ah oui, Bourges, c’est pas Toronto, c’est sûr…
Oui cette asso est top, et il y en a un paquet des top asso comme ça dans notre pays.
À se demander des fois comment ça fonc­tion­ne­rait sans elles.
La cuisine fran­çaise doit te manquer, j’ima­gine. Pour ça voyager en France, c’est quand même le bonheur.
À bientôt,
Mat

Ah oui, l’avan­tage de voyager en France, c’est qu’on est presque sûr de bien manger… Après 2 semaines de Brésil, je suis contente de rentrer (oui, on peut se lasser des fruits exotiques et des feijoas!)

Hello Anne !
La gastro­nomie est sans aucun doute un des points forts d’un voyage en France ! Le tour de France des bons produits, des boulan­ge­ries, des fromages, des desserts… Un vrai bonheur.
Un autre avan­tage, et pas petit : tout le monde parle ta langue. Tu comprends tout, tu peux t’ex­primer avec finesse, tu peux poser des ques­tions, avoir des réponses précises… Satis­faire sa curio­sité dans son propre pays, dans sa propre langue, c’est telle­ment plus simple !

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