Le Cézallier à vélo : des monts au plateau

Cyclo-randonnée dans le Cézal­lier, aux confins du Cantal, entre paysages de steppe, tome fraîche, rencontres colo­rées et trou­peaux de vaches. 

Le Cézal­lier est une paren­thèse dans mon voyage. Aux confins du Cantal, ses paysages de steppe volca­nique évoquent plus la Mongolie que la France. Le coin est paraît-il sauvage, peuplé d’habitants hauts en couleur. Il ne m’en fallait pas plus pour me convaincre.

« Si tu cherches des endroits un peu coupés du monde et des gens atypiques à rencon­trer, j’en connais un parfait, sur le plateau du Cézal­lier. J’ai déjà repéré le chemin à vélo, rien de méchant et les paysages sont magnifiques »

À Murat, Jean-Claude m’initie au Cantal. Fondeur venu au VTT, pion­nier de la disci­pline en France, c’est un passionné de nature qui a du mal à rester enfermé. Mais Jean Claude est aussi fils de fromager, amou­reux du terroir et commer­çant de produits régio­naux… Je ne pouvais rêver meilleur guide !

Dans le Cantal, j’ai délaissé l’itinéraire de la Grande Traversée du Massif Central pour bifur­quer vers les sommets du parc naturel des volcans d’Auvergne. Perdu parmi ces hauteurs, le Cézal­lier a l’air bien tentant !

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Le Cézallier à vélo

Mon voyage touche à sa fin et je sens que le temps s’accélère. Les jours raccour­cissent. La tempé­ra­ture baisse. Je dois aller plus vite sans sacri­fier l’essence de mon voyage : rester ouvert à l’inconnu et – le plus diffi­cile – profiter du moment présent sans trop anti­ciper la suite.

Au cœur du massif central, Brion-Le-Haut n’est pas du tout sur ma route mais mon itiné­raire patauge. Contre toute logique, je me lance en direc­tion du hameau, à la fron­tière entre Cantal et Puy-de-dôme.

Sur le plateau du Cézallier, le syndrome du photographe

Sur le plateau du Cézal­lier, l’herbe jaunie a des reflets dorés. Les cloches des vaches tintent dans le silence de la campagne. Cette ambiance recueillie vaut bien un enre­gis­tre­ment. Je sors le micro. C’est le moment précis que choi­sissent deux trac­teurs péta­ra­dant pour débar­quer du bout de l’horizon, se rappro­cher à grand bruit et venir faire hurler leur moteur là, juste devant ma mine désabusée.

Il est temps de parler de ce syndrôme étrange qui touche tous les preneurs de sons, photo­graphes, vidéastes et autres repor­ters : une belle lumière inon­dant la clai­rière ? Sortez l’appareil, un nuage la fait dispa­raître ! Le son doux et velouté d’une flûte de berger ? Une meute de chiens hurlant à la mort déboule quand le micro est prêt. La fresque murale idéale pour une scène de rue ? Un camion vient se garer à l’instant précis où vous alliez déclencher.

Cette loi qui m’échappe n’en est pas moins univer­selle : les choses dispa­raissent quand on s’y inté­resse. Qu’on y renonce et les voilà qui réapparaissent !

Les vaches, population principale du plateau du Cézallier

Du lac du pêcher aux estives d’Allanche

Sur les rives du lac du pêcher, les canettes tintent dans la besace des pêcheurs. Les tritons se laissent bercer par l’onde que le soleil réchauffe. Les joncs se découpent en ombres chinoises dans le soleil couchant… La nuit sera calme.

Sur l'île de Stromboli, l'ascension du volcan - carnet de voyage îles éoliennes

Dans les prés, des citernes pastel rouillent immo­biles. À Allanche, mon télé­phone fait un dernier plein avant notre cavale à travers des espaces désertés par l’homme. Chez Josette, je m’informe sur l’itinéraire.

« Si je connais Brion ?!? Ben oui !!! »

L’homme a l’air presque vexé.

« J’ai fait des foires là-bas. »

Il saisit son verre de cantine, avale son rouge limé d’un trait et dispa­raît en lais­sant quelques centimes sur la table. La patronne enchaîne…

« Ici aussi, il y avait des foires, mais c’est fini. Mercredi prochain, il y en a une… Vingt bêtes au foirail. Mais c’est pour le flok­lore. Comparé aux cinq cents bêtes de l’époque… C’est fini tout ça ! Main­te­nant on vend les bêtes direc­te­ment sur internet. On vend bien des humains sur internet… »

Les bêtes sont pour­tant là. Toute la montagne résonne des cloches des trou­peaux. Avec une densité de 0,5 habi­tant au kilo­mètre carré, les vaches sont les vrais maîtres du Cézal­lier. À partir de Pradieu, les reliefs arrondis et pelés prennent des allures de steppes. Je retrouve le tracé de la grande traversée du Massif Central que j’avais quittée quelques jours plus tôt.

Jean Claude m’avait dit :

« Mon rêve, ce serait d’aller voir la panthère des neiges en Mongolie. »

Pour la panthère, je ne sais pas mais pour la Mongolie, tout est déjà là ! J’installe le bivouac au sommet de la montagne de Paillas­sère. À perte de vue, le vert des estives, quelques burons noyés de nature et au loin, les sommets du Puy Mary et des Monts du Cantal.

À lire aussi : Le Cantal de Puy en Puy

L’écir et l’angélique, bistro de pays

J’arrive au lieu dit sous un soleil magni­fique. Les voix enjouées des convives résonnent à la terrasse du bistro L’écir et l’angélique. C’est l’heure de l’apéritif. L’assistance se mélange, tout a l’air très informel, comme dans une réunion de famille endi­man­chée. Un grand barbu, très affairé, fait des aller-retours verres à la main. Proba­ble­ment le maître des lieux ? Sur la carte, le menu unique est plutôt tentant. J’avance sur la pointe des pieds :

« Serait-il encore possible de manger pour une personne ? »
– Si vous êtes patient ! »

Le ton n’a rien d’une promesse mais ce n’est pas le refus auquel ont eu droit plusieurs groupes de marcheurs avant moi.

Un kir à l’angélique accom­pagne mon attente. Pour profiter de la beauté du lieu, j’ai tout mon temps.

Vermeer en Auvergne

On rentre ici comme à la maison. Sur la gauche, un petit salon derrière un rideau rouge, puis la cuisine, dans l’enfilade. À droite, l’espace de récep­tion. Je suis installé au fond, dans un coin du restaurant.

« La table du magné­ti­seur » annonce Jean, l’air obsé­quieux. À côté, des livres posés près de la liseuse : Une France sauvageScot­land pano­ramaLes hautes herbes

Sur les tables, il y a des fleurs séchées, des nappes à motifs colorés, de la vais­selle de porce­laine et une pénombre illu­minée en clair obscur par deux fenêtres. Des poutres qui font toute la longueur de la salle renforcent la pers­pec­tive. Un tableau de Vermeer façon grand maman. Les prénoms d’Hélène, en cuisine, et de Jean volent à travers la salle.

Tome fraîche et herbes de prairies

« Tartines aux plantes
Truites sauce marjo­laine
Salade de laiteron plumier des sous-bois.
Plateau de fromages
Dessert à la tomme fraîche »

Jean goûte chaque mot qu’il prononce comme une frian­dise. De table en table, il livre des anec­dotes peuplées d’ambassadeurs, de prési­dents, de philo­sophes… On croi­rait faire parti du grand monde. J’hésite sur le choix du vin.

« Prenez celui-là ! Au pendule, il vibre magnifiquement ! »

Il revient avec la bouteille, un char­donnay oppidum 2014 de la cave de Mauriac.

« Il vibre au moins à vingt mille »

Dans son dos, sa main s’agite comme s’il les comp­tait. Sur la bouteille, en italique « Volem viure al pais ». Tout à fait de circonstance.

Dans la cave à fromage

Pendant que la photo­graphe qui a réalisé les portraits de ces céli­ba­taires auver­gnats exposés sur les murs dit deux mots, Jean fait les honneurs de la cave à Trevor, from New york. Je lui emboîte le pas.

Avec la grange aux herbes et la cuisine d’Hélène, c’est un des endroits clé du bistro. L’ancien bota­niste y pour­suit ses expé­riences sur le vivant et les miracles de la vie cellu­laire. Vins et fromages reposent ici dans le secret des roches volcaniques.

Sur des étals pous­sié­reux, des croûtes sans âge coulent comme des horloges de Dali. Sous le couvercle de soupières imma­cu­lées, une soupe caca d’oie qu’on réveille du bout du couteau, avec prudence, comme on réveille­rait un mort. Il fut un temps où ces Saint Nectaire appar­te­naient à la famille des fromages…

On goûte. C’est fort comme un whisky. Et puis, passé le premier contact, d’autres arômes se révèlent sucrés, ronds, cares­sants. Une expé­rience culi­naire ! Même Trévor apprécie. Jean exulte.

« Mais bien sûr, c’est magnifique ! »

Le monde anglo-saxon “like” son fromage. Il pourra l’ajouter à son carnet d’anecdotes.

À la surface, André, le guéris­seur du coin, chante « La vie commence à 60 ans ». Comme les fromages, j’aurais du mal à lui donner un âge. La voix n’est pas très juste mais après une bouteille de char­donnay, le moment est émouvant.

À ma droite, dans la liseuse, une cliente est venue s’éteindre. On est bien ici. Si Hélène est d’accord, ça fera un beau portrait !

Cuisine vibratoire dans le Cézallier

Mauvaises ondes ou le réveil du volcan

Je reviens le lende­main équipé de mes outils de travail, m’enquiert d’un éven­tuel wifi. Hélène accepte, Jean s’étrangle. Je fais machine arrière mais il est trop tard. Au pays des bonnes vibra­tions et du pendule roi, j’ai déclenché un inci­dent diplo­ma­tique.

Ici, les tables de la salle à manger sont placées selon un schéma vibra­toire optimal. Les nappes de coton bio et de soie natu­relle résonnent en harmonie. Les plateaux de fromage qui patientent dans le vesti­bule se chargent en énergie sur un lit de plantes sauvages.

L’intrusion d’ondes nocives dans ce micro­cosme si bien maîtrisé déclenche la colère de son grand ordon­na­teur. « Jean des Plantes » le sadu affable s’est trans­formé en ayatollah. Il ne voit plus en moi qu’un aspi­ra­teur de sève humaine par voie d’écrans hypnotiques.

Je sens poindre en fili­grane les théo­ries conspi­ra­tion­nistes dont le chaman gersois m’avait déjà fait part…

Orage sur le plateau du Cézallier

En cuisine, Hélène tempo­rise tandis qu’elle prépare le repas du soir :

« Il fait sa forte tête. Laissez lui un peu de temps ! »

Mais je fais une croix sur ma leçon de bota­nique. Jean dispa­raît dans sa voiture-bric-à-brac, herbier géant où s’accumulent des années de cueillettes entre plusieurs couches de meubles de brocantes.

« Vos expli­ca­tions, vous pouvez vous les mettre où je pense ! »

Épilogue

Je passe la nuit à quelques kilo­mètres et m’enquiert d’un bon restau­rant dans le coin.

« Pas à Brion en tout cas ! J’y ai mangé une fois avec des amis, on ne m’y reprendra plus ! Une entre­côte pour quatre, une salade cueillie sur le bas côté de la route et un plateau de fromage moisi pour vingt euros ? Non mais ils prennent vrai­ment les gens pour des imbéciles ! »

“Et puis tout ce cinéma… Vous avez vu comme il parle, Jean… « Jean des plantes » ? – Il fait un petit geste précieux. Avec moi, il ne fait pas tant de manières !”

“Et André, le guéris­seur auto-proclamé qui vient rendre service ! On vous a parlé de ses dons de guéris­seur ? C’est nouveau ça, ces dons de guéris­seur ! Ce que je crois surtout, c’est qu’il en pince pour la belle Hélène ! »

« Non mais les cita­dins, on leur ferait vrai­ment avaler n’importe quoi ! »

J’irai au restau­rant qu’il m’a indiqué. Terrines, saucisson, viandes, fromages, tartes, gnôle… J’en ressor­tirai le ventre bien tendu… Pour être honnête, j’ai quand même préféré les petits plats d’Hélène et les histoires de Jean.

Mon côté citadin, sans doute…

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Bravo, tu as su capter en image et en mots, toutes les raisons pour lesquelles j’ai décidé de poser mes valises il y a peu dans le Cantal.…
Tes photos me font vibrer presque autant que quand je suis devant ces paysages (je n’ai juste pas les cheveux dans le vent, là, devant mon écran)
Et je suis ravie de lire que ce petit bout de France te plait…
Main­te­nant je me doutais que j’ai­merai la Mongolie et j’ai­merai y aller, je crois que ton article confirme bien mon ressenti aussi.
🙂

Merci Sandrine ! Je suis ravi 😀
Oh oui, cette balade m’a beau­coup plu, comme les photos en témoignent !
Fina­le­ment, pas besoin d’aller jusqu’en Mongolie quand on a ça à portée de la main, non ?
Je t’envie d’être sur place… En hiver, sous la neige, le plateau doit être tout aussi incroyable !!!

je te dirai ça très vite car cela ne fait même pas 2 ans que je suis en Auvergne, et frai­che­ment installée dans le Cantal depuis seule­ment 3 mois.
Affaire à suivre ! (il me faut des pneus neige et VITE) 🙂

Bonjour
Très tentant ! Merci pour ce récit. Auriez-vous la descrip­tion du parcours ? Ou la trace ?
Merci d’avance 👍
Laurent

Bonjour Laurent, avec plaisir !
Je n’ai pas la trace de cette traversée mais si vous avez une carte, vous retrou­verez faci­le­ment l’iti­né­raire dont voici le détail : Murat-Chali­nargues-Alanche-Pradiers-Buron de Paillas­sère Bas-Bouta­resse-Jassy-Brion Haut.
Bonne balade !

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