Une randonnée à ski au pied des sommets du parc de la Vanoise. On ne distingue plus les reliefs et le ciel. Jour blanc. Dans la solitude des cimes, j’ouvre des portes insoupçonnées.
Mettez-vous dans l’ambiance
Rincé, cuit, lessivé. J’engloutis avidement mon thé au génépi au bar du Bochor. La chaleur me pénètre de l’intérieur et se diffuse dans chacune de mes cellules. J’en ai des frissons. Mes muscles se relâchent. Je ferme les yeux. Sentiment d’accomplissement.
Je me revois là-haut, ce corps qui avance lentement, un ski puis l’autre, et ainsi de suite, inlassablement, jusqu’au col de la Vanoise. Dans ma capuche-scaphandrier, mon souffle régulier résonne comme dans un haut-parleur. En dehors du plastic de mes chaussures qui grince et de la neige qui crisse, je suis branché directement sur mon corps.
Des sommets et des hommes
A l’extérieur, un voile s’est posé sur la montagne. Quelques tâches grises affleurent. Le vent balaye la neige qui n’est pas encore suffisamment épaisse pour recouvrir toutes les pierres. Aujourd’hui, c’est jour blanc. On ne distingue plus les reliefs, les sommets, le ciel. Tout est blanc. Plus ou moins blanc, mais blanc. Nous pénétrons dans le parc de la Vanoise.
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Les reliefs, si impressionnants de loin, reprennent taille humaine. Je pense à mon pote Seb, un passionné de montagne, à la manière dont il évoque ses sommets : avec respect et en même temps comme s’il me parlait de ses vieux amis. Dans la roche cinglée par les vents, la neige s’insère dans chaque infractuosité et crée des signes cabalistiques. Mystères et boules de neiges.
Méditation du corps
Le blizzard qui me fouette le visage rebondit sur ma veste en un petit picotement joyeux. Je reprends la méditation du corps, le rythme lent, humble, obstiné, cent fois répété. Baisser la tête, faire glisser un ski devant l’autre, inlassablement. Faire le vide. N’être plus qu’un corps qui avance. 250 mètres à l’heure. Sous le regard des chamois. Remettre un peu de carburant. Sucres rapides et sucres lents. Dans ce décor de sucre impalpable, j’avance à la pâte d’amande, au caramel et au chocolat.
Mon guide Jean-Pierre se retourne, l’oeil malicieux : “On arrive au refuge”. Quelque part en moi, une porte s’ouvre en claquant et un flot d’émotions désordonnées s’engouffre comme un courant d’air. Est-ce le ton de sa voix et son regard bienveillant ? L’ivresse de la fatigue ? La joie de toucher au but ? Le coeur au bord des yeux, je sanglotte en silence.
Saucisson et jambes de bois
Le meilleur reste à venir : confort fruste d’un refuge de montagne, tranches épaisses d’un saucisson au cantal, triple ration de chocolat au lait. Je l’aime bien, ce perchoir rustique, j’y passerais bien la nuit. Mais la météo se gâte. Pas de temps à perdre, il faut déjà redescendre.
A regret. Malgré la visibilité nulle, les ampoules et deux jambes de bois, j’ai aimé cet effort lent, me fondre dans ce décor, m’oublier un peu. Et puis désormais, il y a cette petite porte ouverte qui m’intrigue comme une boîte de Pandore. Il faudra revenir.