Le Cantal, de Puy en puy

Les anciennes coulées de lave du Puy Mary ont formé un plateau vaste et désert au milieu du Cantal. À travers les paysages du parc naturel régional des volcans d’Au­vergne, je m’élance jusqu’au sommet des Monts du Cantal.

Les anciennes coulées de lave du Puy Mary ont formé un plateau vaste et désert au milieu du Cantal. Je m’élance à travers les paysages du parc naturel régional des volcans d’Auvergne jusqu’au sommet des Monts du Cantal.

Bouta­resse – Marcenat – Saint Bonnet de Condat – Lugarde – Pier­re­basse – Cheylade

J’ai rentré sur mon télé­phone l’itinéraire zigza­guant qui me mènera jusqu’au sommet du Puy Mary à travers le parc naturel régional des volcans d’Auvergne.

Depuis que j’utilise le GPS, j’ai le senti­ment d’avoir un peu trahi l’idée que je me faisais de mon voyage. Accepter les chemins comme ils se présentent, le nez au vent, me semblait la seule manière valable d’aller de l’avant. Mais le temps n’est plus à la flânerie. Je dois boucler ma traversée avant l’arrivée du froid. Pour la première fois, j’ai remis mon collant et mon chèche autour du cou. Il faut avancer.

À Marcenat, je fais l’impasse sur le monas­tère ortho­doxe – pas sur les choux à la crème. Depuis mon arrivée dans le Cantal, c’est mon pêché mignon.

Bleu safran

À Lugarde où je cherche un endroit où dormir, un portail barriolé de panneaux attire mon atten­tion. « Drive-in ». Le patron qui arrive en trot­ti­nant a la mous­tache frétillante, un drôle d’accent alsa­cien et toutes les réponses aux ques­tions que je n’ai pas posées.

Stéphan est origi­naire du Bas-Rhin et cultive le safran de père en fils. Tous les cinq ans, son exploi­ta­tion démé­nage pour disposer d’une terre toujours fertile. Thaïti, bora-bora, Bas-Rhin-Bas-Rhin… Le Cantal ? La terre de Lugarde est idéale pour l’épanouissement de ses fleurs de crocus. Il a l’air ravi, me vend la fête du bleu de Riom-es-Montagne comme la huitième merveille du monde. Toute la France s’y presse, on vien­drait même depuis les Pays-Bas…

« Tu vas flasher partout, c’est sûr ! »

Je me contente de sa truf­fade, honnête, et plante la tente au terrain de foot, bercé par le tinte­ment des cloches du trou­peau voisin.

Au pied des Monts du cantal

Réveil par les gars du club. La saison va reprendre ce week-end, on apprête le terrain comme une mariée. Les bières et les saucisses attendent à la buvette l’érection des poteaux.

Pour moi aussi, aujourd’hui, c’est jour de fête : le vent souffle dans mon dos !! Je file à travers champs, obser­vant à loisir les reliefs du plateau du Cantal, traver­sant des hameaux de granit désertés. 

Des dates taillées dans la pierre ornent le fronton des maisons, la plupart érigées au tour­nant du XXème siècle. 

Un siècle plus tard, c’est le désert.

Sur le bord de la route, un retraité à la carrure de sportif, cycliste à ses heures, profite avec moi de la vue sur les sommets.

« Avant, juste à côté, il y avait un école avec cent enfants. Cinq cents à Rioms-es-montagne. Pour recruter pour le rugby, c’était bon. Aujourd’hui, ils sont à peine cent alors, que voulez vous, on fait avec… »

Les villages sont enguir­landés, beau­coup célèbrent leur fête votive… Ça sent le chant du cygne et l’arrivée de temps moins cléments. J’appuie sur les pédales.

L’ascension du Puy Mary

La bande­role qui vole au vent à l’entrée de Lapeyre marque le début de l’ascension du Puy Mary. Je suis du regard la route qui esca­lade la pente, s’enfonce dans les sapins, réap­pa­raît, plus haut, plus loin.

Je jette un dernier regard au sommet du Puy Mary où je serai en fin de journée. Petit plateau, grand pignon. Je ne chan­gerai plus de vitesse jusqu’au col du pas de Peyrol. Qu’on ne me parle plus. Je ne veux ni de ces condes­cen­dants « Tu es presque arrivé » ni de ces « Allez » rageurs. Je veux juste qu’on me foute la paix, qu’on me laisse esca­lader la pente petit à petit, virage après virage.

Surtout ne pas regarder le GPS. Le pire serait de savoir tout ce qu’il reste encore d’effort à fournir, d’espérer la fin au bout du virage et se tromper.

« Ils ne savaient pas que c’était impos­sible alors ils l’ont fait ».

C’est ma devise du jour. Derrière la buée de mes lunettes, je ne suis qu’un souffle et deux cuisses en mouve­ment. Le panneau annon­çant les mille trois cent soixante quatre mètres du col de Serre est le drapeau de ma victoire.

Au refuge d’altitude, le vent souffle en rafales et la tempé­ra­ture avoi­sine les zéros degrés. Je cale la tente avec de grosses pierres emprun­tées au mur d’enceinte. La nuit sera fraîche.

Mais pourquoi il s’inflige ça ?

Je repense à cette ques­tion qu’une psy avait posé.

« Mais pour­quoi il s’inflige ça ? »

À coup sûr, la dame n’était pas une adepte des randon­nées en pleine nature. Je ne « m’inflige » pas « ça », pas plus les odeurs de sève que la fraî­cheur des vallées, pas plus le souffle du vent que la bruyère sous les rayons du soleil. Éprouver le terrain dans son corps fait parti inté­grante du plaisir de la montagne. Sentir les efforts néces­saires à l’ascension, recourir à des moyens humains me ramène à mon échelle et donne son prix à la victoire, aussi infime soit-elle.

En chemin, je ramasse quelques uns des innom­brables paquets de ciga­rettes expulsés du véhi­cule par des chauf­feurs coupés du monde du dehors. Dans leur habi­tacle, ce petit monde confor­table où le vent n’existe pas plus que le froid, ils sont venus « consommer du paysage » comme me le disait mon pote Gilles, le baron des Pyré­nées.

Consommer du paysage

Ils n’ont pas compris qu’il ne sont pas ici chez eux. Ils sont venus avec leurs chiens pour boire un coup avec vue, déplorent qu’on ne trouve pas de coca, repartent, pas complè­te­ment convaincus, vers un ailleurs peut-être plus spectaculaire.

Depuis le col du pas de Peyrol, je regarde la foule gravir en file inin­ter­rompue les deux cents derniers mètres d’escaliers bétonnés qui mènent au sommet du Puy Mary. Là, elle s’agglutine entre quatre barrières, dans des odeurs entê­tantes de crème solaire, en prenant la pose pour la photo souvenir…

Partout ailleurs, la montagne est vide. Je descends dans la vallée du Falgou où j’espère rendre visite aux moines boud­dhistes retirés dans les hauteurs.

Renaud avait raison. La foule abime tout :

« En Espagne, en Grèce ou en France,
Ils vont polluer toutes les plages,
Et par leur unique présence,
Abimer tous les paysages. »

Renaud

Et moi, à force de voyager hors des sentiers battus, je deviens asocial…

Le livre d’un voyage exotique en France

Peut-on faire un voyage exotique dans son propre pays ? Pour y répondre, j’ai traversé la France à pied à travers la diago­nale du vide.

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Commentaires

Comme toujours tes photos sont magni­fiques ! Tu m’as même donné envie de remonter en haut du Puy Mary et pour­tant mon genou et moi on garde pas un bon souvenir de la dernière fois !
Merci pour cette balade dans mon si cher Cantal 🙂

Merci Pauline !
Ah mais je suis ravi de donner envie aux Canta­lous de redé­cou­vrir leur propre département !
Qu’est-ce qui s’est passé avec ton genou ? Tu as raté une marche en montant (ou pire, en descendant) ?
J’es­père que ça ne t’empêchera pas de remonter… Moi je regrette de ne pas avoir été au sommet pour le lever du soleil. Mais il faisait telle­ment froid, impos­sible de quitter le sac de couchage !

c’est la première fois que je vous « rencontre« grace à un partage.vous faites de magni­fique photos de notre si beau département,et je vais me faire un plaisir de le partager à mon tour.merci

Merci Joëlle 😀 Enchanté alors !
Je me suis régalé dans le Cantal, vrai­ment. Seul petit regret, avoir traversé en vélo alors que le tour du Cantal à pied a l’air sublime…
Il faudra que je revienne, je n’en ai pas fini avec votre dépar­te­ment, dont le poten­tiel photo­gé­nique a l’air inépui­sable. À bientôt par chez vous !

Coucou Mat,
Toujours un plaisir par ici.
Tes News­let­ters ont du bon : elles sonne comme une invi­ta­tion dans ma boîte mail et m’amènent à te lire et décou­vrir ces trésors hospitaliers.
Ps : ils étaient bien équipés pour des touristes en quête de cocoa ces hussards du Puy Mary (cf les photos) !
Bien à toi

Hello Alex 🙂
Ah c’est bien ça ! Content de t’ou­vrir des petites fenêtres sur ailleurs.
Oui bonne remarque, ils étaient bien équipés ! Parmi eux, il y en a (pas beau­coup) qui avaient suivi le GR pour arriver là, faut bien le recon­naître. Mais faut bien recon­naître aussi que quand on joue au randon­neur, on se met dans les habits du randon­neur. Même si au final la rando se limite à monter et descendre les marches qui mènent au sommet. Bâtons, casquettes, sac à dos, chaus­sures de montagne, c’est le moment de faire prendre l’air à son maté­riel et de ne pas passer pour un touriste ! Manque­rait plus que ça 😉

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